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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

« À propos de la mesure du gaspillage alimentaire »

2 Septembre 2017 , Rédigé par Seppi Publié dans #Article scientifique

« À propos de la mesure du gaspillage alimentaire »

 

 

Les incertitudes statistiques en deux images pour la France (1)

 

 

« On the Measurement of Food Waste » (à propos de la mesure du gaspillage alimentaire) est un article de Marc F. Bellemare, Metin Çakir, Hikaru Hanawa Peterson, Lindsey Novak et Jeta Rudi publié dans American Journal of Agricultural Economics. Le premier est professeur associé au Département d'Économie Appliquée de l'Université du Minnesota.

 

Voici le résumé (nous découpons en paragraphes) :

 

« Selon l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture, un quart à un tiers de tous les aliments produits dans le monde est gaspillé. Nous développons un cadre simple pour réfléchir de manière systématique au gaspillage alimentaire en fonction du cycle de vie d'un produit alimentaire typique. Sur la base de notre cadre, nous identifions les problèmes liés aux mesures existantes du gaspillage alimentaire et proposons une approche plus cohérente et plus pratique. Ce faisant, nous montrons d'abord que les mesures existantes et largement citées du volume et de la valeur du gaspillage alimentaire ne sont pas cohérentes et exagèrent le problème du gaspillage alimentaire.

 

En dirigeant et en affectant mal certaines des ressources actuellement consacrées aux efforts de réduction du gaspillage alimentaire, cette surestimation du problème pourrait avoir de graves conséquences pour les politiques publiques.

 

Notre cadre permet ensuite de documenter les points d'intervention pour les politiques visant à réduire l'étendue du gaspillage alimentaire dans le cycle de vie des aliments et à identifier les interdépendances entre les leviers de politique potentiels. »

 

 

Les incertitudes statistiques en deux images pour la France (2)

 

 

Les auteurs proposent comme définition du gaspillage la différence entre la quantité produite et la somme des quantités utilisées à une fin productive quelconque, en tant qu'aliment ou non. Mais laissez-vous séduire par la formulation...

 

 

 

 

Rappelons que, pour la FAO :

 

« Les gaspillages alimentaires

 

Les pertes alimentaires peuvent être définies comme «la diminution de nourriture en quantité ou en qualité». La partie des pertes alimentaires appelée « gaspillage alimentaire » se réfère aux aliments qui sont sains et nutritifs, produits pour la consommation humaine mais qui sont jetés ou détournés vers des utilisations non alimentaires le long de la chaîne d’approvisionnement, de la production primaire jusqu’au niveau du consommateur final. Le gaspillage alimentaire est reconnu comme une partie distincte des pertes alimentaires parce que le forces directrices que les génèrent sont différentes de celles qui génèrent les pertes alimentaires. (FAO, 2014)

 

Environ un tiers des aliments produits dans le monde pour la consommation humaine chaque année est perdu ou gaspillé. Les études de la FAO ont estimé que le gaspillage par personne au niveau des consommateurs est actuellement entre 95 et 115 kg par an en Europe et en Amérique du Nord, tandis qu’en Afrique Sub-Saharienne, en Asie du Sud et du Sud-Est, chaque personne jette seulement 6 à 11 kg par an. (FAO, 2011) »

 

Voici la définition du projet européen FUSIONS :

 

« Le gaspillage alimentaire est constitué par les aliments, et les parties non comestibles, éliminés de la chaîne d'approvisionnement alimentaire à récupérer ou à éliminer (y compris à composter, à mettre en terre/non récoltés, à utiliser en digestion anaérobie ou pour la production de bioénergie, la cogénération, l'incinération, l'élimination par les égouts, les décharges ou les rejets en mer). »

 

Sur la base d'un modèle, les auteurs ont présenté les résultats, en termes de volume et de valeur, de l'application de leur définition et de quatre autres couramment employées. Ce qui est d'intérêt ici, ce ne sont pas les valeurs en soi (qui dépendent des coefficients utilisés dans le modèle), mais les écarts entre définitions.

 


 

 

 

M. Bellemare a produit récemment un article, « Is ‘Food Waste’ Really Such a Waste? » (le « gaspillage alimentaire » est-il un tel gaspillage ? ») dans le Wall Street Journal » (derrière un péage). En sous-titre, assez provocateur : « La quantité optimale de gaspillage n'est pas zéro ».

 

M. Jason Lusk en a reproduit deux paragraphes sur son blog :

 

« En outre, la quantité optimale de gaspillage alimentaire n'est pas nulle. Même la chaîne d'approvisionnement la plus efficace n'est pas sans frottement. Si vous êtes comme moi, vos achats de fruits et légumes frais reflètent plus souvent ce que vous souhaitez manger plutôt que ce que vous mangez réellement. Lorsque vous sortez dîner, vous courez le risque de ne pas aimer votre repas, ou vous pouvez commander trop et ne pas ramener les restes à la maison. Certaines de ces questions peuvent être résolubles en théorie, mais plus on tend vers le zéro gaspillage, plus ce sera coûteux de chercher à éliminer complètement le gaspillage.

 

Il est particulièrement important de comprendre cela étant donné que "sauver" des aliments comestibles de la poubelle n'est pas la même chose que les envoyer pour nourrir les affamés. Les discussions populaires semblent souvent supposer implicitement que les aliments gaspillés pourraient être réaffectés d'une manière ou d'une autre pour nourrir les pauvres à peu ou pas de frais. Mais si des niveaux inférieurs de gaspillage alimentaire ont un effet positif sur la sécurité alimentaire, cela est loin d'être évident. L'ONU dit que les 5,9 milliards de personnes qui vivent dans les pays en développement et les 1,2 milliard des pays industrialisés perdent à peu près la même quantité de nourriture : environ 715 millions de tonnes par an. À mesure que la nourriture devient une fraction de plus en plus petite du budget d'un ménage, le gaspillage de nourriture devient de moins en moins cher par rapport aux autres dépenses. »

 

Ce dernier paragraphe est intéressant car il nous livre une illustration des incohérences dans les mesures et évaluations. Nous n'avons pas trouvé la source des 715 millions de tonnes. Dans « SAVE FOOD: Initiative mondiale de réduction des pertes et du gaspillage alimentaires », un page malheureusement non datée, la FAO écrit :

 

« Les pays industrialisés et en développement perdent environ la même quantité de nourriture, respectivement 670 et 630 millions de tonnes. »

 

« ...perdent... » est une traduction fautive de « ...dissipate... », un terme sémantiquement peu approprié qui a pour but d'englober les pertes et le gaspillage.

 

Prenons les chiffres de M. Bellemare pour les pays industrialisés : cela ferait près de 600 kg de pertes et gaspillage par habitant, tout au long de la chaîne alimentaire. Crédible ? Comparez avec le graphique suivant tiré du même document de la FAO.

 


 

 

 

Nous ajouterons un dernier point : perdre ou gaspiller un kilo de tomates n'est pas la même chose en termes alimentaires que perdre ou gaspiller un kilo de riz. Les comptes en termes de poids ne sont qu'un indicateur très imparfait.

 

 

Post scriptum

 

Un site qu'on peut visiter sur les calculs de pertes et gaspillage alimentaires : http://flwprotocol.org/

 

 

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