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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Interdiction de tuer les poussins mâles : que sont devenus les couvoirs ?

21 Mars 2023 Publié dans #Elevage

Interdiction de tuer les poussins mâles : que sont devenus les couvoirs ?

 

Willi l'agriculteur*

 

 

 

 

L'Allemagne est le seul pays de l'UE où l'abattage des poussins mâles a été interdit par la loi, et ce depuis le 1er janvier 2022. Maintenant, un an plus tard, je me suis entretenu avec Markus, exploitant d'un petit couvoir qui a dû faire face à cette situation. Une interview très longue, intense et pleine d'émotions.

 

Ma note : L'élimination des poussins mâles est aussi interdite en France depuis le 1er janvier 2023. Dans un communiqué, le ministère de l'agriculture avait osé utiliser le mot « broyer »...

 

 

Bonjour Markus, nous nous sommes déjà entretenus il y a quelques mois. Raconte aux lecteurs ce que tu faisais à l'époque.

 

Nous avons ici, en Westphalie orientale, une structure d'exploitations avicoles assez unique en Europe. Nous aimons qualifier la région située entre Gütersloh et Paderborn de « poulailler d'Allemagne ». C'est à partir d'ici que l'ensemble du territoire allemand est approvisionné en toutes les volailles que souhaitent les éleveurs amateurs. Des poules de toutes les couleurs, des volailles d'engraissement, des volailles d'eau, des pintades et des cailles. Il s'agit d'une multitude d'entreprises, toutes différentes, mais qui se complètent toutes.

 

Nous étions ici 6 couvoirs qui ont fourni des poussins aux éleveurs. Les parents sur place. Une belle biodiversité. Un mélange de couleurs allant des bruns et blancs normaux, des noirs, des gris, des poules naines et des verdiers. Je faisais partie de ces petits couvoirs.

 

 

Tu as aussi tué des poussins à l'époque. Qu'est-il advenu de ces animaux ? Est-ce que tu t'en était débarrassé ?

 

Tout d'abord, il n'y a jamais eu de broyage de poussins. Ni chez moi, ni dans aucun autre couvoir en Allemagne. Cela a toujours été un mensonge, construit par des ONG comme PETA et NABU et répété par les médias jusqu'à ce que cela fût entré dans la tête des gens. Les poussins étaient euthanasiés par le gaz carbonique dans un appareil spécialement conçu à cet effet. C'est le même principe que celui utilisé dans les abattoirs pour étourdir les animaux. Sauf que chez nous, la concentration de gaz carbonique était plus élevée. L'inconscience survenait ainsi beaucoup plus rapidement, la machine surveillait la concentration et la durée.

 

Regarde les reportages des médias. Presque sans exception, on y trouve le mot « broyer », et si ce n'est pas le cas, on utilise quelque image des années 60 où des poussins sont étouffés dans de grandes cuves. Tu as déjà vu ça dans des reportages sur la fertilisation : il y a toujours la photo de la tonne à lisier avec le déflecteur.

 

J'ai eu un grand nombre d'acheteurs pour les poussins tués. Des centres d'accueil pour rapaces, des fauconniers, bref, tous les éleveurs dont les animaux ont des poussins d'un jour au menu. Une cliente a géré son centre d'accueil pour oiseaux sauvages blessés pour le compte de la NABU avec mes poussins.

 

 

Tu as écrit au monde politique, à Mme Ophelia Nick [Verts, Secrétaire d'État parlementaire]. Elle est vétérinaire. Quelle a été sa réaction ?

 

J'ai expliqué en détail à Madame Dr. Nick ce que nous faisons ici. Une grande variété d'animaux. Des poules robustes dont il n'est pas nécessaire d'extraire le dernier œuf. Elles doivent simplement être belles, pour que les gens puissent avoir chez eux une foule de poules colorées, pour le plaisir d'avoir des animaux. Nous, les petites entreprises, sommes toutes des entreprises familiales qui travaillent avec le cœur. Nous avons des circuits courts, tout ce que son parti souhaite tant.

 

J'ai également expliqué en détail pourquoi aucune des alternatives n'est utilisable pour nous. L'équipe de son bureau m'a confirmé par écrit et par téléphone qu'elle reconnaissait ma/notre situation et l'importance de notre travail ici. Après 10 semaines, nous avons reçu de la part du Dr Nick une réponse standard composée de passages copiés-collés. Notre situation particulière n'a pas du tout été abordée. On n'a pas parlé de solutions. Au fond, il s'agissait de la même correspondance qu'auparavant avec la CDU [qui avait lancé l'initiative].

 

 

Quelle aurait été pour toi une alternative ?

 

Tout d'abord, nous aurions aimé avoir la possibilité d'utiliser la reconnaissance du sexe dans l'œuf. Le tri de nos « exotiques » était un travail extrêmement laborieux et coûteux. Une installation qui nous décharge de ce travail avant l'éclosion aurait été un rêve, et nous aurions pu réunir à plusieurs quelques moyens financiers pour cela. Mais il n'y avait absolument aucune installation que nous aurions pu acheter pour nos besoins. Et c'est toujours le cas aujourd'hui.

 

De plus, toutes les alternatives à l'abattage des poussins sont conçues pour réduire les coûts de vente des œufs au supermarché, si le poussin rapporte au maximum 1 euro. Mais si l'identification du sexe ou l'élevage de coqs coûtent 3 ou 4 euros, n'importe qui ayant fait deux ans de mathématiques à l'école primaire peut calculer que cela ne fonctionne que si quelqu'un le paie. Parmi les poussins que j'ai fait éclore ici, aucun œuf n'est jamais arrivé au supermarché. L'interdiction ne s'applique donc que dans les cas où le client le demande de toute façon.

 

En France, on a d'ailleurs pensé à une autre solution. Pour chaque œuf vendu au supermarché, de l'argent est versé dans un fonds. Pour chaque poussin qui n'est pas tué, le couvoir reçoit de l'argent de ce fonds. Même si le poussin se retrouve dans un tout autre secteur. Nous aurions ainsi pu continuer à exister.

 

 

Tu as parlé de la France. On dit toujours que d'autres pays suivent l'interdiction de tuer les poussins. Comment cela se passe-t-il là-bas ?

 

Outre le fait que le couvoir est remboursé des frais encourus, il existe encore d'autres différences. Si une détection des œufs est effectuée, quelques pour cent de coqs non détectés « passent » toujours à travers la grille. Si un couvoir fait éclore 20.000 poussins de poules, il peut facilement y avoir 1.000 coqs dans le lot. Dans ce cas, il faut les placer dans un élevage de « coqs frères ». En France, on peut les tuer et les commercialiser comme poussins d'alimentation. De même, l'interdiction totale ne s'applique pour l'instant qu'à l'élevage à haut rendement. Pour tous les animaux exotiques, on obtient une autorisation en France si les mâles sont utilisés pour l'alimentation animale.

 

En Autriche, les éleveurs, le monde de la protection des animaux et le monde politique sont parvenus ensemble à la solution suivante : on ne peut pas remettre un poussin tué pour qu'il soit éliminé, mais il doit toujours y avoir une valorisation judicieuse. On s'éloigne tout simplement par étapes judicieuses de la simple mise à mort. Et surtout, on ne fait pas le dernier pas avant le premier.

 

 

D'autres couvoirs, généralement de petite taille, ont connu le même sort que toi. Que fais-tu aujourd'hui ? Qu'en est-il de tes installations ? Sont-elles à l'arrêt ?

 

En Allemagne, seul le groupe Lohmann possédait de très grands couvoirs. Il suffit de regarder les chiffres. Pour que chaque habitant de la République fédérale reçoive ses quatre œufs par semaine, il faut qu'au moins 60 millions de poussins éclosent chaque année. En janvier 2022, on se vantait encore de pouvoir sauver la vie de 40 millions de poussins par an. En décembre, on se rend compte qu'il n'y a eu que 15 à 16 millions de poussins femelles éclos en un an. Et Mme Klöckner [ancienne ministre de l'agriculture, CDU] avait pourtant affirmé qu'elle avait donné aux couvoirs des alternatives pour éviter une migration vers d'autres pays. Apparemment, ces alternatives n'étaient pas aussi bonnes qu'elle le prétendait. Outre le groupe qui possède plusieurs sites, il en existe encore 2 ou 3 plus petits en Allemagne dans le secteur conventionnel, plus 3 ou 4 dans le secteur bio. Mais même ces derniers ne fonctionnent plus à plein régime depuis longtemps.

 

Les cinq collègues de chez nous mentionnés plus haut ont, tout comme moi, également arrêté. Certains ont déjà démonté leurs installations. Chez moi, elles sont encore en place. Elles ont aussi été en service pendant quatre semaines à l'automne dernier. Il y avait des œufs de poule pondeuse qu'un collègue n'avait pas le droit de livrer à la frontière à cause de la grippe aviaire. Mais ce n'était qu'une urgence ponctuelle. Ici aussi, les installations seront probablement démantelées dans un avenir proche. Après tout, la technique ne s'améliore pas en restant immobile.

 

 

D'où viennent les poussins maintenant ?

 

Pour mes clients, je vais maintenant chercher des poussins une fois par semaine en Hollande et en Belgique. D'autres anciens couvoirs ici, en Westphalie orientale, reçoivent leurs poussins de France, d'Autriche, de Hongrie, de République Tchèque et de Pologne. Avec 450 km de distance, c'est moi qui parcourt la plus petite distance.

 

 

Qu'est-ce que cela t'a fait d'avoir soudain une exploitation vide ?

 

Au début, c'est bien sûr étrange. Là où l'on entendait auparavant le bruit des moteurs et des ventilateurs, tout est soudain silencieux. Mais on s'habitue très vite aux choses agréables. On ne doit plus se tenir prêt 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, parce qu'il y a un problème technique quelque part. On n'est plus en route le dimanche matin pour aller chercher des œufs à couver et occupé le dimanche soir à disposer les œufs dans les installations. Et c'est la même chose pour les autres collègues. Nous avions tous fait cela avec cœur et beaucoup de passion. Mais on ne voulait plus le faire. Alors on laisse tomber. En fait, nous sommes vraiment la dernière génération.

 

 

Certains défenseurs des animaux pensent que seule la poule à deux fins est la bonne solution. Tu es d'accord ?

 

On peut bien sûr le faire. Mais il faut alors dire toute la vérité. La poule pondeuse conventionnelle normale pond aujourd'hui 320 œufs par an, la poule à double usage 230. Il faut donc élever un tiers de poules en plus. Nous n'avons donc pas besoin de 60 millions de poussins chaque année, mais de 80 millions. Et cela n'a rien à voir avec l'élevage intensif. Peu importe qu'un éleveur ait 60 millions de poules ou que 60 millions d'éleveurs aient une poule.

 

Le fait que les mâles doivent être élevés et nourris pendant 17 semaines, au lieu de 6 semaines comme pour les hybrides d'engraissement, vient encore s'ajouter à cela.

 

 

Pourquoi n'avez-vous pas attiré plus clairement l'attention sur cette problématique avant ?

 

D'une part, nous pensions que les faits étaient si clairs que l'on n'allait tout de même pas permettre que la quasi-totalité de l'approvisionnement en poussins parte à l'étranger. Ensuite, les politiques nous ont fait croire, jusqu'à la veille du vote au Bundestag, qu'une réglementation spéciale serait mise en place pour les poussins destinés à l'alimentation animale. Il s'agissait d'une recommandation du Bundesrat et, selon la réponse du ministère, elle était également soutenue par le gouvernement fédéral. Lors de l'adoption de la loi, ce point avait soudainement disparu.

 

De plus, nous avions tout simplement peur de nous rendre vulnérables si nous déclarions publiquement que nous tuions des poussins. Ce n'est que lorsque l'enfant était tombé depuis longtemps dans le puits que j'ai commencé à expliquer les raisons pour lesquelles on tue les poussins. J'ai ensuite expliqué publiquement, par le biais de lettres de lecteurs, de reportages dans les journaux et à la télévision et sur les réseaux sociaux comme ton blog, que je tuais ici un million de poussins par an. Et je n'ai eu aucune réaction négative.

 

Notre député, M. Ralph Brinkhaus, m'a dit un jour qu'il n'était tout simplement plus possible de faire comprendre à la population que les poussins sont tués directement après l'éclosion. Ce n'est pas vrai. Si l'on explique clairement la problématique, on peut la faire comprendre à presque tout le monde.

 

Nous avons tout simplement commencé trop tard. Maintenant, nous pouvons seulement servir d'exemple pour d'autres secteurs. Même si l'on rétablit l'égalité des chances, nous ne reviendrons pas.

 

______________

 

 

* Source : Verbot des Kükentöten - und was wurde aus den Brütereien? - Bauer Willi

 

 

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