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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

La dernière livraison de M. Stéphane Foucart : « C'est bien connu: "Les poissons, ça ne va pas butiner dans les rizières" »

14 Septembre 2020 , Rédigé par Seppi Publié dans #critique de l'information, #Activisme, #Néonicotinoïdes, #betteraves

La dernière livraison de M. Stéphane Foucart : « C'est bien connu: "Les poissons, ça ne va pas butiner dans les rizières" »

 

 

Nous allons subir ces prochains temps un torrent de désinformation et de propagande contre le projet gouvernemental d'autoriser pour une durée limitée l'enrobage de semences de betteraves avec l'un ou l'autre des néonicotinoïdes pour lutter contre les pucerons vecteurs d'une jaunisse virale dévastatrice.

 

 

La contribution de la semaine de M. Stéphane Foucart

 

Dans le Monde du 12 septembre 2020 (date sur la toile), M. Stéphane Foucart vient d'apporter sa contribution avec « Les néonicotinoïdes sont des substances trop efficaces et trop persistantes pour que leur usage puisse être contrôlé » (les guillemets sont dans le titre). Dans le journal papier des 13 et 14, c'est « Ces poissons qui butinent dans les rizières ».

 

En chapô (version électronique) :

 

« Certes, les abeilles ne butinent pas dans les champs de betteraves. Mais cet argument, utilisé comme élément de langage par le gouvernement, masque une réalité étayée par des centaines de travaux scientifiques récents. »

 

 

Une seule étude pour nous édifier... et tout l'édifice est là

 

Première tromperie, qui n'est peut-être pas de son fait, dans le chapô : l'article évoque certes un empilement d'études sur l'extrême dangerosité (alléguée) des néonicotinoïdes, mais c'est dans une ancienne déclaration hystérique de Mme Barbara Pompili.

 

L'article est en fait construit sur le picorage (cherry-picking) d'un seul grain : « Neonicotinoids disrupt aquatic food webs and decrease fishery yields » (les néonicotinoïdes perturbent les réseaux alimentaires aquatiques et diminuent les rendements de la pêche) de Masumi Yamamuro et al.

 

 

Cum hoc, propter hoc...

 

En bref, les auteurs de l'article scientifique ont fait un lien cum hoc, propter hoc (en même temps que, donc à cause de) entre l'utilisation de semences de riz enrobées dans les rizières du bassin d'alimentation du lac Shinji, préfecture de Shimane, et l'effondrement du zooplancton et des captures de deux espèces de poissons, le wakasagi (Hypomesus nipponensis) et l'anguille japonaise (Anguilla japonica).

 

 

 

 

 

 

Nous n'analyserons pas cet article en détail. Le lien de cause à effet – suggéré par les auteurs – n'est pas impossible (quoique, le zooplancton semble avoir baissé avant l'apparition de l'imidaclopride, et les prises d'anguilles étaient aussi en baisse tendencielle). Ils ont écarté d'autres facteurs hydrologiques (mais les ont-ils capturés tous) ; ils ne se sont pas intéressés à d'autres situations comparables, d'autres lacs. Ils n'ont pas fait de tests en aquarium ou mésocosme pour faire le lien entre utilisation de l'imidaclopride (et d'autres néonicotinoïdes par la suite) et effondrement du zooplancton.

 

Ils se fondent aussi sur la littérature militante de la Task Force on Systemic Pesticides (groupe de travail sur les pesticides systémiques), constituée dans le but spécifique de faire du lobbying pour l'interdiction des néonicotinoïdes et du fipronil. Et ils citent Rachel Carson en conclusion... Une délicate odeur de militantisme...

 

 

Un enfumage simple comme bonjour

 

Mais revenons au Monde de M. Stéphane Foucart.

 

Le mécanisme de l'enfumage est simple : la première utilisation d'une petite quantité d'imidaclopride aurait suffi pour provoquer le désastre, alors pensez donc...

 

« Selon les chiffres colligés par les chercheurs japonais, un peu moins d'une centaine de kilos d'imidaclopride furent utilisés en 1993 à l'échelle des 6700 km2 de la préfecture de Shimane - c'est-à-dire presque rien. En tout cas presque rien comparé aux quelque 25 tonnes de néonics qui seront appliquées, dès 2021, sur plus de 450000 hectares de betteraves à sucre françaises. »

 

Il faut oser un tel amalgame entre des rizières assez directement connectées à un lac et des champs de betteraves !

 

 

Bien sûr, ce n'est pas tout !

 

Étape 1 : on ne saurait questionner la validité des travaux de recherche, « qui n'ont fait l'objet d'aucun démenti depuis leur publication ». Remarquez, ils auraient été contestés qu'ils auraient acquis un brevet de pertinence... pile, je gagne, face, tu perds...

 

Étape 2 : la fabrique du doute, de la suspicion et du complot est mise en route : 

 

« Le second enseignement est un corollaire immédiat du premier [le lien entre néonicotinoïdes et effondrement piscicole] : aucune confiance ne peut être accordée aux systèmes d'évaluation réglementaire des risques environnementaux. Une faillite de cette magnitude est simplement impardonnable. »

 

Et pan ! Dans les dents ! Un échec (allégué) suffit à condamner le tout.

 

Pour le militantisme on ne peut donc pas faire confiance à un organisme telle que l'ANSES française, qui avait écrit pour le Gaucho la phrase de risque suivante :

 

« R50/53 : Très toxique pour les organismes aquatiques, peut entraîner des effets néfastes à long terme pour l'environnement aquatique. »

 

On ne saurait la croire quand elle écrit dans un long document, « Risques et bénéfices relatifs des alternatives aux produits phytopharmaceutiques comportant des néonicotinoïdes », pour les usages sur betteraves contre les ravageurs des parties aériennes (dont les pucerons) :

 

« Organismes aquatiques

 

Les Indicateurs de risque des néonicotinoïdes (imidaclopride, thiaméthoxame, thiaclopride) sont inférieurs [meilleurs] à ceux des alternatives chimiques autorisées. »

 

 

Bien sûr, ce n'est pas tout (bis) !

 

« Enfin, et c'est sans doute le plus intéressant, le troisième enseignement est de nature épistémologique. L'effondrement du lac Shinji montre que des innovations techniques - les néonics en l'occurrence - peuvent avoir des effets négatifs qui, bien qu'énormes, peuvent demeurer longtemps sous le radar sans être documentés. »

 

Ce serait exact s'agissant du seul lac Shinji s'il y avait effectivement une relation de cause à effet. Une seule étude... un peu bricolée... audacieuse dans la conclusion du résumé :

 

« En utilisant des données sur le zooplancton, la qualité de l'eau et les rendements de la pêche à l'anguille et à l'éperlan, nous montrons que l'application de néonicotinoïdes aux bassins hydrographiques depuis 1993 a coïncidé avec une diminution de 83 % de la biomasse moyenne de zooplancton au printemps, ce qui a provoqué l'effondrement de la récolte d'éperlans de 240 à 22 tonnes dans le lac Shinji, dans la préfecture de Shimane, au Japon. Cette perturbation se produit probablement aussi ailleurs, car les néonicotinoïdes sont actuellement la classe d'insecticides la plus utilisée dans le monde. »

 

Mais le message subliminal de l'article du Monde est autre, plus général.

 

C'est nous prendre doublement pour des blaireaux. Nous sommes invités à croire que des effets négatifs « énormes » n'auraient pas été perçus, nulle part dans le monde, avant que Masumi Yamamuro et al. ne s'y attellent (sur un seul lac). Implicitement, il n'y aurait pas eu d'études, du moins conclusives et allant dans ce sens.

 

Citons-en une, d'étude : « A freshwater mesocosm study into the effects of the neonicotinoid insecticide thiamethoxam at multiple trophic levels » (une étude en mésocosme d'eau douce sur les effets de l'insecticide néonicotinoïde thiamethoxam à plusieurs niveaux trophiques) de Meaghean C. Finnegan et al. Conclusion :

 

« Aucune indication d'effets directs ou indirects écologiquement significatifs aux concentrations dans l'environnement. »

 

Une telle étude n'a évidemment pas droit de cité dans la littérature militante du Monde.

 

Ajoutons que le lobby incorporé sous l'appellation « groupe de travail sur les pesticides systémiques » a bien cherché, mais n'a rien trouvé de bien croustillant. Il est rapporté dans sa littérature qu'un groupe (Main et al., 2014) a fait des prélèvements dans la région des cuvettes de la prairie canadienne. Évidemment – décidément, cet adverbe est incontournable ! –, on nous fait part en priorité des concentrations maximales relevées : 1.490 nanogramme par litre pour le thiamétoxame (moyenne :40,3 ng/L). Finnegan et al. avaient testé jusqu'à 100 μg/L (100.000 ng/L).

 

 

Extrait de « Environmental fate and exposure; neonicotinoids and fipronil » (Devenir dans l'environnement et exposition ; néonicotinoïdes et fipronil), J.-M. Bonmatin et al.

 

 

Masumi Yamamuro rapportent quant à eux un prélèvement de 0,072/mg L (72 µg/L) en juin 2018. C'est sans aucun doute leur meilleure capture. Et c'est à l'embouchure d'une rivière en provenance de champs de riz. Ils brodent ensuite, en commençant par :

 

« Ceci est suffisamment élevé pour induire des effets négatifs chroniques sur les invertébrés aquatiques sensibles. »

 

Pour cela, ils citent Christy A. Morrissey et al., c'est-à-dire... le fameux groupe de travail lobbyiste, « Neonicotinoid contamination of global surface waters and associated risk to aquatic invertebrates: a review » (contamination par les néonicotinoïdes des eaux de surface mondiales et risque associé pour les invertébrés aquatiques : un bilan). Conclusion du résumé : la fabrique du doute et de la peur...

 

« Par conséquent, il semble que les concentrations de néonicotinoïdes pertinentes pour l'environnement dans les eaux de surface du monde entier se situent bien dans la fourchette où les impacts à court et à long terme sur les espèces d'invertébrés aquatiques sont possibles à de larges échelles spatiales. »

 

Nous ne saurons pas quelles étaient ou sont aujourd'hui les concentrations réelles sur l'ensemble du lac Shinji, qui fait tout de même quelque 79 kilomètres carrés et pour lequel l'article fournit une donnée anecdotique de concentrations en néonicotinoïdes (0.072 µg/L en juin 2018 sur leur site d'échantillonnage).

 

Mais une chose paraît sûre : il est invraisemblable – même à supposer qu'ils aient tous été vendus pour le bassin versant du lac (et non pour l'ensemble de la préfecture de Shimane) et qu'ils se soient tous retrouvés dedans – que les quelque 100 kg initiaux d'imidaclopride de 1993 aient pu déclencher, quasi instantanément, un désastre écologique et piscicole.

 

Ces 100 kg sont à mettre en relation avec des ventes actuelles de quelque 3.500 à 4.000 kg de néonicotinoïdes – insistons : dans la préfecture de Shimane, bien plus grande que le bassin versant du lac Shinji.

 

« ...le troisième enseignement est de nature épistémologique », en fait toute la chronique, fait naufrage.

 

 

Bien sûr, ce n'est pas tout (ter) !

 

M. Stéphane Foucart écrit :

 

«  L'absence de preuve, la difficulté ou l'impossibilité d'administrer la preuve sont, en creux, interprétées comme autant de preuves de l'absence d'effets délétères. »

 

C'est encore doublement faux.

 

D'une part, nous avons de la littérature qui administre des preuves (à preuve... Finnegan et al. avec un essai en conditions contrôlées, ou encore C. Lobson et al., avec également une conclusion rassurante).

 

D'autre part, dans le contexte de l'hystérie européenne, la situation évoquée se traduirait dans les documents des institutions d'évaluation par « un risque élevé [ou inacceptable] n'a pas pu être exclu ».

 

 

Bien sûr, ce n'est pas tout (quater) !

 

Dans l'envolée finale, il est suggéré de manière subliminale que les chercheurs japonais sont d'héroïques résistants :

 

« Entre 1993 et la publication de novembre 2019 dans Science, un quart de siècle s'est donc écoulé sans que le lien entre les problèmes des communautés de pêcheurs du lac Shinji et l'introduction d'un nouveau pesticide soit mis en évidence. Ce lien, d'ailleurs, aurait très bien pu ne jamais être mis en évidence - cela n'a tenu qu'à la volonté de quelques chercheurs de travailler sur le sujet. »

 

 

Bien sûr, ce n'est pas tout (quinquies) !

 

Cela se termine par une supputation, gratuite mais probablement efficace sur le lecteur peu critique :

 

« Ainsi, pendant tout ce temps, si les pêcheurs du Shinji s'étaient plaints à leur ministre de tutelle des pratiques de leurs voisins riziculteurs, on leur aurait sans doute répondu avec assurance que leurs inquiétudes étaient infondées. C'est bien connu: "Les poissons, ça ne va pas butiner dans les rizières." »

 

Une pirouette destinée à marquer les esprits...

 

Mais c'est bien connu... Quand, en France, certains apiculteurs se sont plaints des pratiques de leurs voisins agriculteurs, nos ministres de l'agriculture et de l'environnement se sont fait un plaisir démagogique d'accéder à leurs revendications... et d'exporter leur démagogie à Bruxelles.

 

LES NÉONICS SONT DES SUBSTANCES TROP PERSISTANTES POUR QUE LEUR USAGE PUISSE ÊTRE CONTRÔLÉ

Le Monde de...

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J
La méthode scientifique: https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/neonicotinoides-le-retour-des-tueurs-dabeilles<br /> <br /> ça commence mal: le syndrome d'éffondrement des abeilles provoqué en grande partie par les NNI...
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J
M Foucard & cie va sous peu sortir un bouquin "anti science", il faut qu'il fasse le buzz pour le vendre... <br /> <br /> https://menace-theoriste.fr/la-raison-nest-pas-un-trophee-reponse-a-foucart-horel-laurens/
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