L'ADEME co-construira-t-elle de la fake science
Selon l'altermonde, les « lobbies » sont dotés de moyens immenses et de ressources inépuisables pour influencer – évidemment dans le mauvais sens – le destin du monde. Mais l'altermonde n'est pas privé de moyens propres ni de voies particulières pour en faire de même... oui... pour influencer – évidemment dans le mauvais sens (de notre point de vue). Un sens qu'il croit être bon quand il est animé de bonnes intentions ou qu'il promeut avec cynisme quand il sait qu'il n'est pas bon mais a l'immense intérêt d'être profitable.
L'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie (ADEME) est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) dont la mission est de « susciter, animer, coordonner, faciliter ou réaliser des opérations ayant pour objet la protection de l'environnement et la maîtrise de l'énergie » (cité de Wikipedia). En fait, elle étend ses activités à un large spectre des politiques de l’environnement – déchets, pollution des sols, transport, qualité de l’air, bruit, qualité environnementale – mais pas de la maîtrise de l'eau, des risques et des paysages.
L'altermonde a de très bonnes raisons d'être dans les meilleurs termes avec l'ADEME. Cela ne doit pas être trop difficile dans une société où l'« environnementalisme » a tissé de solides relations et constitué des réseaux tentaculaires.
Le dernier exemple en date, un appel à projets, est un étrange attelage (enfin, étrange pour le citoyen rationaliste et sourcilleux de l'impartialité de l'Administration) :
« L’ADEME, la Fondation de France, Agropolis Fondation et la fondation Charles Léopold Mayer – FPH, ont souhaité créer en 2018 un dispositif novateur de soutien à la recherche participative, et lance l'appel à projets de recherche participative "CO3. Co-Construction des Connaissances". »
Notez bien qu'il s'agit ici d'un projet collaboratif particulier : l'ADEME abandonne une partie de son pouvoir de décision sur l'orientation de ses programmes et l'utilisation des fonds publics à elle alloués à des « partenaires ». Et, parmi les partenaires, « L’étrange fondation de la famille Calame », comme l'écrivait Agriculture et Environnement » en 2006 :
« En dépit de sa discrétion, la Fondation Charles-Léopold Mayer pour le progrès de l’homme (FPH) est devenue ces dernières années un acteur important dans les débats sur l’agriculture. Si la FPH – une fondation de droit suisse mais dont le bureau exécutif se trouve à Paris – finance généreusement une pléiade d’associations contestataires anti-OGM ou altermondialistes, elle entretient aussi des liens étroits avec de nombreux acteurs issus de l’administration française ou de la fonction publique. »
Cet article reste d'actualité dans ses grandes lignes.
Notons un intertitre éloquent sur les buts poursuivis par la fondation : « En finir avec l’agriculture productiviste ». Illustration pratique : la fondation finance assidûment Inf'OGM, la vitrine de l'anti-OGMisme en France ; StopOGM, une « alliance » suisse pour une agriculture sans génie génétique ; l'ENSSER, l'association de la science parallèle, notamment anti-pesticides et anti-OGM ; ou encore les « travaux » de M. Gilles-Éric Séralini (y compris l'« infameuse » étude sur les rats) et le cas échéant leur médiatisation.
Il est ainsi permis de s'interroger sur la pertinence de la décision de l'ADEME de s'associer à la Fondation Charles Léopold Mayer. Et sur l'identité et le positionnement idéologique du ou des auteurs de la décision.
Le rasoir d'Ockham voudrait que ce soit de la bêtise... L'habitué de questions protocolaires trouve curieux que les représentants des partenaires dans le comité de pilotage soient présentés dans l'ordre suivant : ADEME, Fondation Charles Léopold Mayer, Agropolis Fondation, Fondation de France.
Il n'y a pas que l'attelage :
Cet appel à projets de recherche participative s’adresse aux chercheurs et organisations de la société civile qui souhaitent s’engager ensemble dans un processus de co-construction de connaissances favorisant la transition écologique et solidaire.
L’objectif fondamental du dispositif CO3 communément mis en place est de donner une place plus visible à la recherche participative dans l'espace public et de soutenir des projets de recherche. Il s'agit de dynamiser ces nouvelles formes de recherche participative, par des partages d’expériences, la mutualisation des moyens et l’innovation dans l’accompagnement. Au-delà de la production de connaissances sur le sujet spécifique de chaque recherche, le soutien apporté aux projets aura donc pour ambition :
de faciliter la construction scientifique des projets de recherche et faire reconnaître la robustesse des résultats acquis,
de capitaliser sur les méthodes et démarches de co-construction de la recherche entre acteurs de sphères différentes engagés au service de l'action sociétale,
de diffuser les enseignements sur la recherche participative auprès des différentes scènes d'acteurs afférentes (institutionnelles, académiques, professionnelles, citoyennes). »
Sont-ce vraiment là des objectifs entrant dans la mission de l'ADEME ? Nous pensons qu'il y a détournement de fonds publics. On pourra certes avoir un projet sur un « sujet spécifique » relevant de l'ADEME, mais sa mise en œuvre l'en fera sortir.
Que faut-il, en particulier, entendre par « acteurs de sphères différentes engagés au service de l'action sociétale » ? En un mot : « activistes ».
Il y a visiblement de l'argent à dépenser. Mais pour quoi ?
« Cette première édition portera un intérêt particulier, mais non exclusif sur les thématiques suivantes :
Agroécologie, agriculture et alimentation durables
Gestion intégrée des milieux
Santé et environnement »
La description du thème « agroécologie... » (ouvrir le premier PDF) est particulièrement tendancieuse :
« Agroécologie, agriculture et alimentation durables : les pratiques de l’agriculture intensive, sous-tendues par les orientations des marchés et des politiques agricoles, ont montré leurs limites en termes de durabilité par leur impact sur les ressources (eau, sols, biodiversité…), les milieux (écosystèmes, paysages et territoires…), la santé humaine et la situation économique des agriculteurs [...]. »
De qui est ce « constat » ? L'ADEME ou la Fondation Charles Léopold Mayer ?
Les ambitions sont aussi à la hauteur du « constat » :
« [...] Cet appel à projets soutiendra des démarches originales de co-construction et de mobilisation des connaissances visant à développer de nouveaux systèmes et pratiques agricoles et alimentaires, à raisonner collectivement leur place dans les territoires (localisation des productions, agriculture urbaine, économie circulaire…) et les filières, à éclairer les choix alimentaires des consommateurs et l’action publique. Ces démarches devront privilégier les approches combinant les enjeux environnement/santé/sociaux.
L'appel à projets a été lancé le 3 juillet 2018, en période de léthargie estivale, avec une date de clôture fixée au 12 septembre 2018. Pourquoi cette hâte ?
À titre de comparaison, l'appel à projets « Agriculture et industries agro-alimentaires éco-efficientes » a été lancé en mars 2018 avec des clôtures fixées à février et septembre 2019.
Les porteurs de projets potentiels ont donc 10 semaines pour définir un projet, trouver des partenaires et monter un dossier. Est-ce réaliste ? Nous pensons que non. Faut-il dès lors croire qu'il y a anguille sous roche ? Qu'il y a des sortes de délits d'initiés ?
Un étrange attelage, plus une étrange présentation du comité de pilotage, plus un étrange programme, plus une étrange présentation de la thématique « Agroécologie, agriculture et alimentation durables », plus une étrange hâte – on pourrait ajouter la limitation à des « projets en émergence » d’une durée maximale d’un an et des « projets de recherche participative déjà consolidés, pour un soutien et un accompagnement d’une durée inférieure ou égale à 3 ans » –, tout cela laisse présager un risque de voir des fonds publics servir à la production de fake science.
La question est actuellement sans réponse.