Les tribunaux n'établissent pas les faits scientifiques
Fallacy Man*
Ce n'est probablement pas du glyphosate qui est épandu ici.
La plupart des gens ont probablement vu les dernières nouvelles : Monsanto a été condamné à payer 289 millions de dollars suite à la décision d'un jury californien que le glyphosate de Monsanto (alias Roundup) est dangereux et a probablement contribué au cancer de Dewayne Johnson. Je pourrais écrire de nombreux articles sur la raison pour laquelle cette décision est erronée. Je pourrais parler des nombreuses études scientifiques qui ont échoué à trouver des preuves que le glyphosate cause le cancer (par exemple cette vaste étude de cohorte à long terme avec plus de 50.000 participants, non financée par Monsanto, qui n'a pas permis d'établir un lien entre l'utilisation du glyphosate et le cancer parmi les agriculteurs [Andreotti et al. 2017]. Je pourrais parler du fait bien établi que la toxicité du glyphosate est assez faible. Je pourrais parler du fait que nombre d'organismes scientifiques très respectés ont examiné les preuves et ont conclu qu'elles ne suggèrent pas que le glyphosate cause le cancer. Je pourrais également parler de la façon dont le rapport scientifique dissident (c’est-à-dire celui du CIRC de l’OMS) a sélectionné ses preuves et est parvenu à une conclusion qui a été largement critiquée par la communauté scientifique. Beaucoup d'autres pages l'ont déjà fait, alors je ne vais pas y consacrer plus de temps. Je veux plutôt discuter de la raison pour laquelle des procès comme celui-ci sont intrinsèquement problématiques. Citer des décisions de justice est une tactique extrêmement répandue parmi les négateurs de la science (les anti-vaccins le font tout le temps), mais ce n’est pas une tactique pertinente du point de vue logique car les tribunaux ne déterminent pas ce qui est ou n’est pas un fait scientifique.
Le premier problème majeur est tout simplement que les jurys ne sont pas composés d'experts dans le domaine scientifique concerné. Comme je l'ai déjà dit, la science est compliquée. Il faut des années de formation minutieuse, d'études et d'expérience pratique pour apprendre tout ce que vous devez savoir pour pouvoir évaluer correctement les preuves scientifiques. L'idée qu'un jury non formé va maîtriser cela au cours d'un procès est absurde. C'est en outre particulièrement ridicule si l'on considère que les règles du prétoire impliquent fondamentalement deux parties opposées qui se présentent comme si elles avaient un mérite équivalent. En d'autres termes, il est extrêmement facile de sélectionner des preuves pour faire croire que la science n'est pas concluante pour un problème donné ou, pire encore, que le consensus scientifique est le contraire de ce qu'il est en réalité ; dans un prétoire, les avocats font précisément cela. Ils sont obligés de plaider en faveur d'une position donnée, que cette position soit ou non étayée par des preuves.
Laissez-moi donner un exemple. Imaginez que vous ayez un problème avec votre cœur que vous voulez faire diagnostiquer, et quelqu'un vous a suggéré que cela pourrait être dû à un aspect particulier de votre alimentation (vous mangez du X, et ils pensent que X est mauvais pour votre cœur). Vous pouvez donc prendre deux approches pour déterminer si votre régime en est la cause. Dans la première approche, vous demandez à plusieurs organisations scientifiques respectées d'examiner les preuves scientifiques que X peut entraîner des problèmes cardiaques. Ces organismes d’experts hautement qualifiés et expérimentés passent des mois, voire des années, à examiner systématiquement les études sur ce sujet. Ils examinent toutes les preuves qu'ils peuvent obtenir et, en fin de compte, ils concluent qu'il n'y a aucune preuve convaincante de la contribution de X aux problèmes cardiaques.
Pour la deuxième approche, vous formez un jury en utilisant les mêmes critères que dans un tribunal, puis vous sollicitez deux avocats pour débattre de la question comme dans une salle d'audience. L'un d'eux essaie de convaincre le jury que X cause des problèmes cardiaques, et l'autre tente de convaincre le jury que X ne cause pas de cancer. Plutôt que d’examiner systématiquement tous les éléments de preuve, les deux avocats sélectionnent celles qui étayent leur position, tentent de jouer sur les émotions du jury, font venir des témoins « experts » triés sur le volet, etc. À à la fin du procès, le jury conclut que X cause des problèmes cardiaques (ce qui est le contraire de ce que les comités scientifiques ont trouvé).
Quelle conclusion vous semble la plus fiable ? Celle sur laquelle les experts ont passé des mois à examiner soigneusement et systématiquement toutes les preuves disponibles, ou celle qui a été rédigée par des non-spécialistes en se fondant sur une comparaison de deux représentations extrêmement biaisées de la preuve ? Je pense que la réponse à cette question est assez évidente.
Soyons clairs : je ne dis pas que les scientifiques sont infaillibles ou que les conclusions des organisations scientifiques sont des affirmations définitives de la réalité. Ce serait un sophisme de l'appel à l'autorité. Ce que je veux plutôt dire, c’est que le système de la salle d’audience est fondamentalement imparfait et peu fiable pour déterminer des faits scientifiques. Qu'un jury ait décidé que X cause Y est complètement et à 100% sans importance dans un débat scientifique. Cela n'a aucune incidence sur la réalité, et il faut être fou pour lui faire confiance et ne pas se fier à de nombreuses études et revues de qualité et à des méta-analyses de ces études qui ont été systématiquement rassemblées par des équipes d'experts. Que quelque chose est ou non un fait scientifique doit être déterminé par la recherche, et l'opinion d'un jury sur cette recherche n'est pas pertinente.
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* Le blog d'origine s'est donné pour mission :
d'enseigner la pensée critique ;
d'expliquer comment la science fonctionne et pourquoi elle est fiable ;
d'utiliser la pensée critique pour défendre la science contre les nombreuses attaques à la logique défectueuse dont elle fait l'objet.
L'auteur a souhaité rester anonyme. Le nom de plume est tiré des BD Existential Comics.
Source : https://thelogicofscience.com/2018/08/11/courts-dont-determine-scientific-facts/
Ajout du 14 août 2018 (en réponse à au moins un commentaire) :