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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Cuba, le paradis du bio

8 Juin 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #Ludger Wess, #Agriculture biologique, #Agronomie, #Agro-écologie

Cuba, le paradis du bio

 

Ludger Weß*

 

 

 

Ferme urbaine dans une banlieue de La Havane : culture de ciboule de Chine (Allium ramosum) et d'ail faux poireau (Allium ampeloprasum)

Arnoud Joris Maaswinkel CC BY-SA 4.0

 

 

 

Ma note : Cet article a été publié en octobre 2016. Une partie est devenue obsolète... Le Donald a mis fin aux rêves du Biobusiness états-unien en interrompant le processus de normalisation avec Cuba. Mais la description de la situation à Cuba reste d'actualité.

 

 

Les ONG occidentales considèrent Cuba comme un paradis du bio. Mais la pauvreté et les pénuries sont à la fois la cause et la conséquence du renoncement aux méthodes modernes.

 

Vous souvenez-vous encore du paradis qu'était jadis l'Allemagne de l'Est ? Un pays où tout le monde avait assez à manger, où le pain et le logement n'étaient pas chers, où l'État n'oubliait personne, où l'obésité n'était pas un problème et où chacun avait le droit de partir en vacances ? La protection de l'environnement y a été ancrée dans les objectifs de l'État bien plus tôt que dans la République fédérale et, deuxième pays d'Europe à le faire, la RDA introduisit en 1970 une loi-cadre ambitieuse sur l'environnement. Bien sûr, il y avait une limitation de vitesse dans la mise en œuvre. Qu'est-il devenu de ce pays exemplaire ? Des terres contaminées par les pesticides avec des gens qui n'ont aucune perspective. La machine capitaliste a même réussi à évincer complètement les petites voitures pratiques et économiques de la production régionale.

 

La même chose menace maintenant Cuba, selon les mises en garde d'initiatives occidentales, d'agro-écologistes et d'experts de l'économie durable. Parce que, disent-ils, le rapprochement entre les États-Unis et le petit pays socialiste voisin initié par le président américain Obama met en danger la meilleure réalisation du pays (après le maintien en circulation des belles limousines) : l'agriculture 100% bio-organique, un modèle pour le monde entier !

 

« L'agriculture durable de Cuba est en danger en cette période de dégel », écrit l'agro-écologue Miguel Altieri, de l'Université de Californie à Berkeley, qui est en mesure de rapporter des choses étonnantes : depuis l'abandon des grandes exploitations et le retour aux petites structures agricoles, de 1996 à 2005, Cuba aurait connu une croissance impressionnante de 4,2 % par an de la production vivrière par habitant. Depuis que l'« agriculture urbaine » a été ajoutée, ces nouvelles formes d'agriculture produiraient jusqu'à 1,5 million de tonnes de légumes par an ; dans les grandes villes, jusqu'à 70 % des légumes et des fruits consommés proviendraient de ces projets. Mais maintenant, il y a des pressions pour produire de la nourriture destinée à l'exportation et à l'approvisionnement des masses de touristes qui affluent désormais à Cuba. Les grandes entreprises agricoles et alimentaires, avec leurs ambitions de « big business », se tiendraient prêtes pour prendre d'assaut le marché cubain et d'en balayer les petits agriculteurs, leurs méthodes agricoles traditionnelles et leurs variétés locales.

 

« Lorsque les entreprises agroalimentaires investissent dans les pays en développement, elles cherchent à réaliser des économies d'échelle. Cela encourage la concentration des terres entre les mains de quelques sociétés et la normalisation des systèmes de production à petite échelle. À leur tour, ces changements forcent les petits agriculteurs à quitter leurs terres et entraînent l'abandon des cultures locales et des méthodes agricoles traditionnelles. L'expansion des cultures transgéniques et des agrocarburants au Brésil, au Paraguay et en Bolivie depuis les années 1990 sont des exemples de ce processus.

 

Si l'agriculture industrielle des États-Unis se répand à Cuba, il y a un risque qu'elle détruise le réseau social complexe de petites fermes agro-écologiques que plus de 300.000 campesinos se sont construites au cours des dernières décennies grâce à des échanges de savoirs horizontaux, de paysan à paysan. Cela réduirait la diversité des cultures que Cuba produit et nuirait aux économies locales et à la sécurité alimentaire. Si les grandes entreprises supplantent les petits agriculteurs, l'agriculture se tournera vers les cultures d'exportation, augmentant le nombre de chômeurs. »

 

Si, au contraire, plus de terres étaient cultivées selon les « méthodes agro-écologiques », Cuba pourrait approvisionner non seulement tous les résidents et renoncer aux importations de produits alimentaires, mais aussi nourrir les touristes et même – quoique dans une moindre mesure – exporter des produits bien choisis.

 

Les avertissements d'Altieri sont actuellement largement diffusés dans des publications et sur la toile – après tout il est affirmé depuis 1997 que Cuba a inventé une nouvelle agriculture durable et productive au milieu de la crise. Année après année, des groupes d'ONG se rendent en pèlerinage à Cuba, où ils apprennent comment nourrir une population à 100 % en biologique, et donc d'une manière extrêmement saine, grâce à des jardins paradisiaques proches de la nature. Et c'est cela qui devrait être cassé maintenant ?

 

C'est vrai : les habitants de Cuba ont fait des choses incroyables. Après l'effondrement de l'Union Soviétique, la production agricole a été au bord de l'abîme. Il n'y avait plus de carburant ou de pièces de rechange pour les machines agricoles de fabrication soviétique (qui se sont révélées moins robustes que les voitures anciennes de la production capitaliste, encore réparables aujourd'hui), et il n'y avait plus de pesticides ni d'engrais minéraux. Les grandes fermes d'État se sont effondrées, plus ou moins, et le gouvernement a lancé une série de réformes, permettant à des résidents intéressés de cultiver la terre, ce qui a créé à une échelle modeste quelque chose qui ressemble à un marché.

 

Les délégations des ONG occidentales qui idolâtrent le mode de vie des petits agriculteurs, se laissent volontiers guider par des fonctionnaires dans les parcelles et se font expliquer que tout cela est solidaire, bon pour l'environnement et le climat, sain et nutritif. L'agriculture comme il y a 100 ans ! Tellement idyllique, et pourtant ça pousse ! N'est-ce pas la preuve qu'un pays peut croître et prospérer, et même être autosuffisant, avec une agriculture biologique ?

 

Des produits diversifiés au lieu de monocultures, sans utilisation d'engrais et sans recours à l'irrigation, sans pesticides et sans « chimie », cultiver de manière durable sans dépendre des grandes entreprises – une véritable « révolution de la durabilité », qui est naturellement admirée par les initiatives occidentales. Ici, le socialisme semble avoir vu le jour avec une écologie pas tout à fait humaine, mais au moins agro-écologique. Humberto Rios Labrada, le chanteur populaire et agronome cubain qui a le premier édulcoré la réalité cubaine avec de beaux slogans et l'a promue sans relâche depuis lors, a reçu en 2010 le Prix Goldman de l'Environnement, considéré comme le « Prix Nobel vert ».

 

Cuba a autant de réussite dans l'agriculture que n'en avait la RDA avec ses visites guidées des combinats VEB (propriété du peuple) Robotron et Microelectronik Erfurt en tant que leader mondial dans la technologie des semi-conducteurs. La réalité est autre.

 

Après la fin du soutien de l'URSS, du pays socialiste frère, Cuba a affecté à la production de nourriture, en pur désespoir de cause, presque tout ce qui pouvait l'être encore de ses ressources limitées. Le résultat de cette « révolution » : l'agriculture est fragmentée et ses méthodes sont archaïques. Des animaux tirent la charrue, les enfants doivent bien sûr participer à un âge précoce aux travaux des champs, les mauvaises herbes sont combattues manuellement, contre les infestations de parasites et maladies on a recours à des méthodes qui sont utilisées dans l'agriculture biologique mais ne sont pas particulièrement efficaces. Beaucoup de gens sont des « agriculteurs à temps partiel » qui passent leur temps libre sur leur lopin de terre. Plus d'un quart de la population est impliquée dans la production de nourriture, à temps plein ou partiel. Même dans les villes, on utilise tous les espaces disponibles pour cultiver des légumes et des fruits. On élève de petits animaux sur les balcons. Cela remplit de larmes de joie les yeux des amis de l' « agriculture urbaine ».

 

Mais selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM), Cuba doit importer de 70 à 80 % de la nourriture nécessaire pour ses quelque 11 millions d'habitants. Bien que la faim et la pauvreté aient été largement éliminées (le pays se classe 44e sur 187 dans l'indice de développement humain du PNUD de 2014), cela est principalement dû aux importations de nourriture. Le pays ne peut même pas produire lui-même suffisamment de haricots, l'une des sources de protéines les plus importantes pour la population. Bien qu'il y ait beaucoup de légumes et de fruits à acheter sur les marchés non subventionnés, les prix sont élevés et la situation de l'approvisionnement est toujours précaire. Avant tout, le riz, les céréales, les graines oléagineuses, le lait et les produits laitiers, ainsi que la viande, doivent être importés. Pour ce faire, Cuba dépense 1,5 milliard de dollars par an. Les importations de produits alimentaires représentent 20 % des dépenses d'importation de l'ensemble du pays.

 

Malgré le panier alimentaire hebdomadaire subventionné par l'État, le régime alimentaire n'est pas très varié. Beaucoup de Cubains, en particulier les tout-petits, les femmes enceintes et les personnes âgées, souffrent d'anémie et de maladies causées par l'absence de certains micronutriments. Depuis 2002, le gouvernement tente de combattre cela par des doses de vitamines, mais même en 2014, il a dû admettre que, dans les cinq provinces de l'est du pays (où on pratique beaucoup l'agriculture), 27 % des enfants de moins de cinq ans et jusqu'à 40 % des enfants de moins de six mois souffrent d'anémie.

 

Un ingénieur et sa femme, historienne de l'art, expliquent comment ils s'en sortent avec leur salaire mensuel de 1.800 pesos : « Il est impossible de vivre de son seul salaire. La nourriture du livret de rationnement ne coûte que 35 pesos par mois pour trois personnes, mais avec ce que vous obtenez dans le "panier de base", vous ne pouvez pas vivre, encore moins si vous avez un bébé. Pour les fruits, les légumes, le riz, le poulet et le porc, nous dépensons près de 900 pesos par mois. Avec la centaine de pesos qui restent après paiement de la facture d'électricité, nous devons payer le gaz, l'eau et le transport. Quand notre fils est malade ou qu'un appareil ménager tombe en panne, nous devons puiser dans nos réserves ou recourir à l'argent que nous avons gardé dans un placard. »

 

Les Cubains se moquent de l'un des nombreux plans du gouvernement pour l'alimentation : « La seule chose qui en a émergé est l'image d'un paysan portant un régime de bananes, sur le dos du billet de 20 pesos. »

 

Certes, la dernière des innombrables réformes agraires a conduit à des productions plus élevées pour le riz et le haricots (une augmentation de 29 % et 37 %, respectivement), mais cette augmentation est due à l'expansion des terres cultivées de 53 % et 48 %, respectivement. La productivité a baissé sur la même période (2007-2011) de 16% pour le riz et de 8% pour les haricots.

 

Et qu'en est-il des « jardins urbains » tant vantés ? La Havane a 97 jardins biologiques, 318 « jardins intensifs » dans lesquels on sème ou plante directement dans le sol et dans des planches enrichies par lombriculture (« boîtes à lombricompost »). Dans l'ensemble de Cuba, environ 40.000 personnes travaillent dans des projets agricoles urbains couvrant environ 33.000 hectares. Ces productions s'étendent sur 145.000 parcelles, 385.000 jardins familiaux, 6.400 jardins intensifs et 4.000 jardins biologiques urbains. Tous les jardins biologiques sont sous le contrôle du Ministère de l'Agriculture.

 

En y regardant de plus près, les «j ardins urbains » exemplaires s'avèrent être un désastre. La fertilisation est assurée par un vermicompost produit avec des déchets ménagers qui sont en partie issus des décharges. Il est souvent riche en cadmium, plomb et autres métaux lourds. Une étude qui a été menée en 2012 par des scientifiques de l'Institut des Sols de Cuba dans les jardins biologiques de La Havane et Guantanamo a révélé ceci : « Le compost obtenu à partir des déchets solides urbains originaires des ordures ménagères extraites des décharges sans tri préalable, et les sous-sols préparés à partir de ce compost contiennent des métaux lourds, en particulier du cadmium et du plomb, au-dessus des niveaux maximaux admissibles. »

 

À cela s'ajoute l'apport de polluants par le trafic routier – les catalyseurs sont inconnus à Cuba. En outre, le compost est souvent insuffisamment chauffé, de sorte que les agents pathogènes ne sont pas détruits. Complètement incontrôlée est l'utilisation des produits de traitement contre les ravageurs et les mauvaises herbes vendus au marché noir et des mélanges de fabrication artisanale.

 

Néanmoins, les lobbyistes de l'agriculture biologique continuent de répandre leurs contes de fées agro-écologiques. Dans l'arrière-plan, Big Biobusiness flaire déjà les bonnes affaires : si Cuba reste « bio-organique », les grandes chaînes de produits bio et de santé comme Honest Tea, Stonyfield Farm et Global Organics pourront vendre les produits des merveilleux agriculteurs biologiques cubains et de leurs jardins urbains sur le marché américain dont on peine, dit-on, à satisfaire l'appétit pour les produits biologiques. Et quoi de mieux que tout un pays complètement préservé de la chimie, des pesticides, de Monsanto et du capitalisme ! « Made in Cuba » pourrait devenir un label de qualité très spécial ! Ce paradis doit être préservé, c'est ce que disent aussi les ONG qui militent pour une agriculture de proximité, agro-écologique, durable et bio-organique et marchent la main dans la main avec Big Biobusiness. On ignore si les Cubains veulent que ce soit ainsi. Un sondage récent commandé par le Washington Post a révélé que près de 80 % des Cubains sont mécontents du système économique de leur pays et que 70 % attendent d'être finalement libres et d'être en mesure de démarrer leur propre entreprise. Il semble qu'ils sont déjà perdus pour la cause et que les jours d'un autre paradis sont comptés.

 

Les paradis sont toujours paradisiaques quand on ne doit pas y vivre.

 

____________

 

* Ludger Weß écrit sur la science depuis les années 1980, principalement le génie génétique et la biotechnologie. Avant cela, il a fait des recherches en tant que biologiste moléculaire à l'Université de Brême. En 2006, il a été un des fondateurs d'akampion, qui conseille les entreprises innovantes dans leur communication. En 2017, il a publié ses polars scientifiques « Oligo » et « Vironymous » chez Piper Fahrenheit. Cet article a été écrit par Ludger Weß à titre privé.

 

Source : https://www.salonkolumnisten.com/bio-paradies-kuba/

 

 

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