Mobilisation des apiculteurs : tapage médiatique monstre pour un non-événement
Jeudi 7 juin 2018 : journée nationale de mobilisation des apiculteurs face à l'hécatombe (alléguée) des abeilles. Ils demandent au gouvernement un plan de soutien exceptionnel aux sinistrés (au-delà des traditionnels dispositifs de calamité agricole) et un « environnement viable pour les colonies d'abeilles ».
C'est, après tout, de bonne guerre dans un pays où quasiment chaque corporation en difficulté fait appel à un État nounou (tout en pestant d'ailleurs contre son omniprésence et surtout sa propension à nous piquer des thunes).
C'est de bonne guerre aussi car le triste sort de Maya l'Abeille fait pleurer dans les chaumières ; la partie de la profession qui s'exprime généralement est très affûtée sur le plan de la communication ; elle bénéficie de nombreux relais médiatiques ; et la « sensibilité écologiste » au sein du gouvernement et de la majorité parlementaire trouvera peut-être une occasion de se profiler comme défenseurs de l'environnement.
Les soutiens politiques sont nombreux... le profit électoraliste est grand...
Savez-vous qu'il s'est créé un « comité de soutien des élus à l’abeille et aux apiculteurs » ? Il serait né en 2010, « à l’initiative de l’Union Nationale de l’Apiculture Française et de plusieurs associations de protection de l’environnement ». Il dispose d'un site internet qui brille par l'absence de données sur son titulaire, mais la personne à contacter est Mme Anne Furet, à l'UNAF...
Il va de soi que l'UNAF est enregistrée dans le répertoire des « représentants d'intérêts » de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique ; mais l'inscription doit échapper à son moteur de recherche... Et on peut penser que les députés et sénateurs lobbyistes ne manqueront pas de s'inscrire également.
« En rejoignant le comité de soutien, les élus s’engagent notamment à soutenir l’action de l’UNAF et des associations de protection de l’environnement auprès des pouvoirs publics et à favoriser une agriculture réellement respectueuse de l’environnement. »
Comment faut-il interpréter cela ? Des entités de lobbying extérieures aux deux chambres du Parlement français ayant constitué des groupes de lobbying internes avec des élus qui, certes volontairement, « s'engagent »... Que disent les déontologues ?
Mais retour aux manifestations. Vingt-cinq personnes à Paris selon M. Gil Rivière-Wekstein ; 200 paraît-il à Quimper, devant la préfecture du Finistère.
(Source)
Elles ont donc reçu un écho largement favorable dans les médias. Voici par exemple une vidéo du Parisien :
Cependant, ce qui est gênant pour l'observateur dans cette affaire, c'est en premier lieu qu'on ne dispose pas d'indications précises sur l'existence d'un sinistre.
Cela peut paraître une déclaration fracassante. Mais le fait est que les plaintes relatives à la mortalité hivernale se répètent d'année en année, de préférence en crescendo.
L'observateur est prié de croire sur parole les représentants d'une partie de la profession, plus précisément une union qui se singularise par son activisme et son discours à l'appui des causes anticapitalistes (« altermondialistes » en politiquement correct) et anti-pesticides.
Nous ne mettrons pas en doute la parole des apiculteurs qui ont subi des pertes hivernales anormalement importantes. Mais nous sommes obligés de croire sur parole le diagnostic général (la généralisation de diagnostics particuliers) en l'absence de statistiques globales, ni nationales, ni relatives aux régions les plus touchées (cette année, il semble que ce soit la Bretagne).
Et le fait est qu'en parcourant les médias, on trouve des chiffres très différents, certes liés à des faits différents. Il faut se rendre à l'évidence : une apicultrice qui perd 200 de ses 260 ruches est-elle représentative d'une région dont un autre apiculteur dit qu'elle a vu 30 % de son cheptel crever ? Le Monde ou Ouest France ?
Il y a une initiative essentiellement européenne de suivi des mortalités apicoles, les études Coloss (en abrégé : pertes de colonies) de l'Association pour la recherche apicole. Une association de portée mondiale, mais dont le chapitre français brille par l'absence des « personnalités » médiatiques ou simplement connues dans le monde de la recherche apicole (à part MM.Yves Le Conte et Bernard Vaissière). L'illustre David Goulson n'en est pas membre non plus. Nous en concluons que cette association se livre à des travaux sérieux...
L'association publie annuellement un état des lieux, établi par des sondages qui sont de grande envergure quand les apiculteurs répondent. Le dernier porte sur l'hiver 2016-2017. La carte ci-dessous est parlante : les apiculteurs français, dans leur majorité, ne participent pas à la construction de la connaissance. Selon l'article, ils avaient été 459 à répondre, alors que les Suisses étaient 1348 et les Allemands... 11.322 (avec toutefois beaucoup de réponses incomplètes).
Voici aussi une partie du tableau relatif à l'hiver 2015-2016 (avec une perte hivernale de 13,4 %, les apiculteurs français répondants se trouvaient dans la normale).
Alors, mauvaise information sur le programme en France ? Mauvaise volonté ? Raisons plus systémiques d'un secteur qui ne brille pas par l'organisation et la transparence (il s'est engagé à faire mieux dans le cadre des États Généraux de l'Alimentation) ?
Dans ce genre de situation, il est facile de déclarer, comme l'a fait M. Gilles Lanio, président de l'UNAF à l'AFP :
« Il faut arrêter de tergiverser, car aujourd'hui, ça a pris de telles proportions que dans certaines régions l'apiculture n'est plus viable. »
La dépêche de l'AFP se poursuit par :
« Les apiculteurs, environ 70.000 en France dont une majorité de petits producteurs, subissaient des pertes d'environ 30% de leurs cheptels ces dernières années, selon lui. "Aujourd'hui, on a franchi un cap supplémentaire", avec des taux de mortalité pouvant grimper à 80%, s'est-il alarmé. »
Toujours le même principe de l'enfumage : comparer une moyenne du passé avec des maximums du moment..
Nous pouvons contester l'affirmation relative au passé sur la base des résultats de COLOSS (voir ci-dessus), et aussi de ceux d'une enquête menée dans le cadre de l'Union Européenne, EPILOBEE.
Ce serait un calvaire que de passer en revue les articles de presse. Tout comme c'est un calvaire d'entendre et de voir (par exemple par les banderoles) le discours insatiablement ressassé des pesticides et, plus particulièrement des néonicotinoïdes.
Il n'y a guère que le Figaro qui mette en première place l'explication climatique :
« Trois facteurs pourraient expliquer cette mortalité exceptionnelle. Il s'agit tout d'abord du climat. "L'an dernier, à cause des mauvaises conditions climatiques pendant l'été trop humide, les abeilles ont accumulé des réserves de nettement moins bonne qualité, indique Paul Fert. L'hiver rigoureux et long alors que les besoins en pollen des abeilles étaient importants a fragilisé un peu plus encore les abeilles". Pourtant les apiculteurs ont déjà connu d'autres années compliquées en ce qui concerne la météo sans pour autant que la mortalité des abeilles ne soit affectée. »
Les « pratiques intensives agricoles » arrivent en deuxième position, avec plus spécifiquement la disparition des haies et les pesticides, dont les néonics. Et c'est suivi du frelon asiatique d'autres ravageurs comme le varroa.
Procédons dans l'ordre : la disparition des haies ne s'est pas faite en un jour. De même, il n'y a pas de recrudescence ou de bouleversement exceptionnels dans l'utilisation des pesticides. Les néonicotinoïdes ont été interdits sur toutes les cultures attirant les abeilles et leur implication dans la surmortalité de cet hiver est en toute logique douteuse. Leur persistance a bons dos – notez aussi la façon, fort laborieuse, dont ils ont été mis en cause dans la vidéo du Parisien. Le frelon asiatique et la mortalité hivernale...
Le constat principal qui s'impose est qu'on ne sort pas du discours panurgique ou pavlovien. Il s'agit d'un déni de réalité.
Une réalité qui peut prendre deux formes : ou bien la cause principale de la surmortalité alléguée – rappelons-le : d'une ampleur exceptionnelle – est à chercher dans l'année climatique – la première explication de M. Fert ; ou bien un facteur nouveau est intervenu et, une fois de plus, le discours de nature politique, qui fait fi des intérêts syndicaux, est en passe d'occulter une nouvelle réalité et de plonger encore davantage la profession apicole dans le marasme.
L'AFP a écrit :
« Les abeilles souffrent de divers maux mais les principaux accusés sont les néonicotinoïdes, des insecticides qui s'attaquent au système nerveux des insectes, désorientent et affaiblissent les pollinisateurs. »
N'y a-t-il pas d'apiculteurs pour dénoncer cette dénonciation systématique de coupables fort improbables ?
Mais poursuivons avec l'AFP :
« "Avant, on mettait ces sujets sous le tapis et là on les a sortis", a dit Nicolas Hulot, qui s'est invité par surprise à la manifestation. "Je ne veux plus qu'on diffère ces sujets (...). Je veux être votre meilleur médiateur et ambassadeur", a promis le ministre de la Transition écologique. »
Le pot aux roses est découvert : il s'agit d'une opération politico-médiatique, sans nul doute bien organisée en amont. Le Ministre de la Transition Écologique (et Solidaire) – sur un dossier qui n'est pas le sien, ce qu'il reconnaît en se déclarant « médiateur et ambassadeur » – se fait militant et lobbyiste... Qu'en pense Jupiter Macron ?
En plus, ses déclarations sont d'une remarquable stupidité : qui peut croire que la mortalité des abeilles a été mise sous le tapis par le passé ? En janvier 2016, M. Stéphane Le Foll avait présenté un Plan de Développement Durable de l’Apiculture rénové (il avait été initié en 2013 et « élaboré en concertation avec les acteurs de l’amont à l’aval [et il] constitue un engagement "sans précédent", preuve du volontarisme des pouvoirs publics dans ce secteur. »).
On peut trouver que c'est de la poudre aux yeux, mais c'est indubitablement la réfutation du propos démagogique de bateleur d'estrade du ministre-militant-médiateur-ambassadeur.
Mais M. Hulot a aussi invité les apiculteurs à chiffrer leurs pertes pour pouvoir identifier « les mesures d'urgence » à prendre. Ce qui nous ramène à un des points de départ : l'inorganisation de la filière.
Une inorganisation organisée ? Fin avril 2018, l'UNAF tirait la sonnette d'alarme, sur le mode pleure-misère avec des informations partielles et la sempiternelle mise en cause de l'agriculture, des pesticides et des néonicotinoïdes. Le 25 mai 2018, elle écrivait :
« Depuis lors, interrogé par des parlementaires, le Ministre de l’Agriculture refuse de reconnaitre la gravité de la situation et la détresse de nos collègues apiculteurs. Il indique que "le dispositif de surveillance ne permet pas, à cette heure, de corroborer une généralisation de la dégradation de l’état sanitaire des colonies d’abeilles". Et pour cause : le dispositif en place depuis plus de 20 ans est passé à côté des principaux phénomènes de mortalités massives groupées de colonies. »
Le 5 juin 2018, l'UNAF écrivait encore :
« Malgré les interpellations, l’Etat n’a pour l’heure apporté aucune réponse à ce désastre tant économique qu’écologique. »
Si, si, il a répondu ! Mais serait-ce la faute au « dispositif »... ? La profession n'aurait-elle pas pu pallier cette insuffisance alléguée... au point de se voir intimée par M. Hulot quelque temps après de chiffrer les pertes ?
Il est aussi vrai que ce « dispositif » est politiquement très incorrect en ce qu'il attribue les mortalités à des facteurs qui ne sont pas ceux qu'avance l'UNAF…
Notons aussi cette forte pensée du 1er juin 2018 :
« En sortie d’hiver, dans de nombreuses régions, l’apiculture a fait le constat de mortalités catastrophiques. C’est un drame économique pour les apiculteurs. C’est une catastrophe écologique pour l’Abeille. »
Il y a sans nul doute un drame économique pour les apiculteurs affectés. Mais il y a aussi des solutions dans une filière organisée qui fait face au lieu de geindre. Et pour la catastrophe écologique, soyez sérieux... l'abeille est domestique, sous le contrôle de l'humain. Encore faut-il que l'erreur ne se tienne pas debout derrière la ruche.
On lira aussi avec intérêt : « La Mortalité des abeilles en 2018: un sujet piquant ».
Au soir du 7 juin 2018, le Ministère de l’Agriculture a annoncé que :
« Les services du ministère de l’agriculture vont établir un état des lieux précis des mortalités, sur l’ensemble du territoire, via les services déconcentrés de l’Etat. Ce recensement effectué dans les meilleurs délais, associera les représentants des apiculteurs. Il permettra d’expertiser les dispositifs d’accompagnement les plus adaptés au regard de la situation des exploitants. »
Et aussi :
« Les conseillers du Ministre ont expliqué qu’il est nécessaire de disposer d’une connaissance précise des niveaux de mortalités et d’en identifier les causes afin de prendre les mesures adéquates, tant en terme de prévention que d’accompagnement. »
Il y a deux lectures possibles : une petite ouverture ou un coup de pied en touche.
Que fera le militant-ministre-médiateur-ambassadeur ?
Tout est bon pour incriminer le glyphosate : « Glyphosate retrouvé dans du miel : des apiculteurs portent plainte contre Bayer ». Lisez par exemple :
« Jean-Marie Camus [l'avocat] espère qu’elle conduira à l’ouverture d’une enquête qui permettra de savoir quel taux de glyphosate a été retrouvé dans ce miel, si d’autres substances ont été détectées, si cette contamination est accidentelle ou pas et quelles conséquences elle pourrait avoir sur la santé des consommateurs. »
On annonce une plainte contre Monsanto/Bayer – alors que sa responsabilité n'est en rien engagée, le glyphosate étant en outre dans le domaine public – le jour de l'acquisition du premier par le second et le jour de la « mobilisation », sur la base d'informations lacunaires et on « espère ». Et la presse répercute sans recul ni esprit critique.
Mais cette stupidité du syndicat L’Abeille de l’Aisne aura eu un effet : les médias se sont précipités sur elle... pensez donc... du glyphosate dans le miel... ça fait le miel des médias…