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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

La controverse sur la viande rouge : il y a un os, mais où ?

28 Octobre 2019 , Rédigé par Seppi Publié dans #Alimentation, #élevage

La controverse sur la viande rouge : il y a un os, mais où ?

 

Chuck Dinerstein*

 

 

Image Ivo Kruusamagi

 

À ce jour, la plupart d’entre nous savent que Annals of Internal Medicine a publié quatre méta-analyses imbriquées des effets de la viande rouge et de la viande transformée sur notre santé. Si les recommandations nutritionnelles sont l’Empereur, les nouvelles études montrent clairement que l'Empereur est nu et que le « vêtement » de preuves fait cruellement défaut ; et les auteurs des recommandations, comme les courtisans de l’Empereur, sont réduits à postillonner en signe de protestation.

 

« Cela suscitera certainement des controverses, mais cela repose sur l’examen le plus complet des preuves à ce jour. Parce que cet examen est inclusif, ceux qui cherchent à le contester auront beaucoup de mal à trouver les preuves appropriées à partir desquelles construire un argument. »[1]

 

Je pense que cela pourrait changer la donne pour la conduite des futures recherches nutritionnelles ; cela mérite un examen plus approfondi.

 

Chacune des quatre méta-analyses examine un échantillon complet de la littérature acceptée et elles constituent, dans leur ensemble, la base des recommandations « incendiaires ». Le groupe de travail a utilisé des techniques standard pour examiner la littérature et les résultats rapportés sont cohérents avec les preuves utilisées dans la formulation de nos recommandations nutritionnelles. Les faits scientifiques sont les mêmes. Ils diffèrent des autorités en matière de diététique en ce qu'on a rapporté des résultats sous forme de différences absolues et associé les effets à une mesure différente, mais largement acceptée, de la certitude des preuves. Le changement ne réside pas dans les repères scientifiques, mais dans la manière de les relier.

 

 

Absolu versus relatif

 

La publication de différences relatives et non absolues est une technique standard dans la littérature médicale et représente l'une des deux manières différentes d'exprimer un résultat. Un exemple rapide : si le risque initial de résultat défavorable est de 10 % et que le traitement donne un résultat amélioré, 8 %, vous pouvez indiquer la différence absolue, 2 % (points de pourcentage) ou la différence relative, 25 % – laquelle des deux est la plus suggestive ? Si vous écriviez un article, quelle valeur voudriez-vous rapporter ? J'ai reformulé le tableau des résultats des études ci-dessous.

 

 

 

 

La source du tableau est la méta-analyse principale, « Red and Processed Meat Consumption and Risk for All-Cause Mortality and Cardiometabolic Outcomes » (consommation de viande rouge et transformée, risque de mortalité toutes causes confondues et résultats cardiométaboliques). L'astérisque indique que le suivi correspond aux années médianes.

 

Dans presque tous les cas, la réduction de 3 portions par semaine de la consommation de viande rouge et de viande transformée a réduit ces effets néfastes sur la santé. Les « nouvelles » études ont trouvé les mêmes repères scientifiques que les anciennes. Mais regardons la différence entre l’effet absolu (colonne jaune) et l’effet relatif (colonne verte) de réduire notre consommation de viande rouge et transformée. Ils expriment tous les deux la même conclusion. Les auteurs de l'article commenté ici ont décrit la réponse absolue et l'ont qualifiée de « petite », les auteurs de la recommandation décrivent la réponse relative et la qualifie de « modérée ». Pour mon argent, l'effet est petit. Vous pouvez prendre votre propre décision

 

 

Certitude

 

Dans quelle mesure pouvons-nous être sûrs que ces résultats, petits ou moyens, sont corrects ? Déterminer la certitude de la preuve est également problématique. De nombreuses études s'appuient sur des inférences statistiques, en particulier des niveaux de confiance. Par exemple, nous pouvons être certains que, dans 95 % des cas, notre résultat déclaré de 0,9 se situe en réalité entre 0,87 et 1,0. Ayant suivi plusieurs cours de statistiques, je comprends le concept, mais la communication à son sujet reste difficile. Les auteurs des travaux examinés ici ont utilisé des critères reconnus, « Gradings of Recommendations, Assessment, Development, and Evaluation, GRADE (cotation des recommandations, déterminations, développements et évaluations – voir aussi ici, en français). La méthode est considérée comme une pratique exemplaire et est utilisée dans le monde entier. Il s'agit d'un processus subjectif qui augmente ou diminue la certitude des preuves, en fonction des composants de la conception de l'étude, et exprime un niveau de certitude dans le langage de tous les jours.

 

Il y a un certain nombre de raisons pour réduire notre « certitude » concernant les études scientifiques.

 

  • Risque de biais – « limitations inhérentes à la conception ou à la conduite d’une étude ». C’est la plus grande faiblesse de la recherche nutritionnelle. La limitation la plus fréquente consiste à recueillir des informations sur l'apport alimentaire d'un participant au moyen d'enquêtes auto-déclarées ou uniquement au début d'une étude de 10 ans ; après tout, pouvez-vous dire avec assurance que votre régime n’a pas changé au cours de cette période ?

     

  • Imprécision – lorsque, dans les limites des niveaux de confiance statistiques, le résultat passe d'un avantage à aucun avantage.

     

  • Incohérence – lorsque plusieurs études utilisées dans l'analyse montrent des effets différents.

     

  • Caractère indirect – lorsque la population étudiée est différente de celle des personnes pour lesquelles des recommandations ont été formulées, comme le montrent par exemple les études génétiques menées auprès d’Européens, qui ont moins de pertinence pour la génétique des Asiatiques. Ou lorsque des critères de substitution sont utilisés à la place de résultats spécifiques, par exemple un taux de LDL inférieur pris comme indicateur d'une mortalité cardiovasculaire inférieure.

     

  • Biais de publication – lorsque les résultats influencent la décision de publication, il s'agit là souvent d'une critique concernant les recherches financées par l'industrie.

 

Dans presque tous les cas, il a été constaté que les articles examinés dans la méta-analyse concluaient à un effet faible, « le véritable effet est probablement très différent de l'effet estimé » ou très faible, « le véritable effet pourrait être nettement différent de l'effet estimé ». [C'est nous qui graissons.] Le plus souvent, les études ont été déclassées lorsque les informations sur l’alimentation n’avaient été collectées que initialement au cours de la période d’étude. D'autres études ont été déclassées parce qu'elles étaient imprécises, avec un résultat bénéfique et non bénéfique dans les intervalles de confiance rapportés. Je pense que ce sont des évaluations raisonnables. Qu'en pensez-vous ?

 

En utilisant le système GRADE, il y a beaucoup moins de raisons d'augmenter la certitude de notre confiance dans les conclusions d’une étude ; lorsqu'il y a un effet important, nous devrions avoir le sentiment que nous voyons un signal, pas un bruit, ce qui augmente notre certitude ; mais aucune des études sous-jacentes n'a montré des effets importants. Même les défenseurs de l’Empereur disent que les effets trouvés sont modérés.

 

Vous pouvez augmenter votre confiance lorsqu'une étude met en évidence un « gradient dose-effet » : réduire d'une portion a un effet mineur et réduire de plusieurs portions a un impact plus important. Les médicaments présentent des gradients dose-effet. Mais comme le rapporte le New York Times, le Dr Hu, de Harvard, a déclaré : « Les études sur la nutrition, a-t-il ajouté, ne devraient pas être soumises aux mêmes normes rigoureuses que les études sur les médicaments expérimentaux. » Mais je tiens à souligner que les études nutritionnelles sont utilisées pour établir des recommandations, des réglementations, des taxes et des subventions nationales – et je souhaite un peu plus de confiance dans le fondement de ces décisions.

 

Les deux études suivantes, « Reduction of Red and Processed Meat Intake and Cancer Mortality and Incidence: A Systematic Review and Meta-analysis of Cohort Studies » (réduction de la consommation de viande rouge et transformée et mortalité et incidence du cancer : revue systématique et méta-analyse d’études de cohortes) et « Patterns of Red and Processed Meat Consumption and Risk for Cardiometabolic and Cancer Outcomes: A Systematic Review and Meta-analysis of Cohort Studies » (modèles de consommation de viande rouge et transformée, et risque de survenue de troubles cardiométaboliques et cancéreux : revue systématique et méta-analyse des études de cohorte) démontrent des effets nocifs faibles similaires et une certitude faible ou très faible pour l'effet de la réduction de la consommation de viande rouge et transformée sur le cancer et les maladies cardiovasculaires, que ce soit considéré séparément ou dans le cadre d'un régime alimentaire.

 

 

Les recommandations s'adressent aux individus et non aux décideurs

 

« Le public cible de notre déclaration d'orientation sont les personnes qui consomment de la viande rouge non transformée ou de la viande transformée dans leur régime alimentaire. Le panel a pris pour approche la prise de décision individuelle plutôt que celle de la santé publique. »

 

Contrairement aux autres lignes directrices et recommandations diététiques, le public cible n'est pas les décideurs ni les scientifiques, ce sont des individus, le patient assis de l'autre côté de mon bureau.

 

Les choix alimentaires ont une forte composante culturelle. La plupart des recommandations ignorent ces préférences. Plutôt que de présumer de manière paternaliste qu'ils savent ce qu'il y a de mieux pour vous du fait de leur éducation et de leur expérience, les auteurs ont mené une méta-analyse finale, « Health-Related Values and Preferences Regarding Meat Consumption: A Mixed-Methods Systematic Review » (valeurs et préférences liées à la santé concernant la consommation de viande : un examen systématique à méthodes mixtes), pour éclairer leur opinion avec nos préférences. [2] Quelle idée pratique que d'adapter les conseils aux individus plutôt qu'aux populations.

 

Une fois encore, ils soulignent que les preuves rassemblées ont un niveau de certitude faible. Mais les omnivores parmi nous,

 

« considèrent la viande comme un élément essentiel d’un régime alimentaire sain ; ils aiment manger de la viande, ils pensent que la viande fait partie de leurs traditions et croient ne pas avoir les connaissances et les compétences en cuisine nécessaires pour préparer un repas adéquat sans viande. Les participants à l’étude sont généralement peu disposés à modifier leur consommation de viande en réponse à des problèmes de santé. [] Nos résultats soulignent l'inadéquation de la supposition que des personnes informées choisiraient de réduire la consommation de viande en se fondant sur des avantages pour la santé de petite taille et lointains, en particulier si les avantages sont incertains. » [C'est nous qui graissons.]

 

Comme je l'ai indiqué précédemment, 17 années de recommandations nutritionnelles ont à peine modifié les habitudes alimentaires des Américains.

 

 

La recommandation

 

« Pour les adultes de 18 ans et plus, nous suggérons de continuer à consommer de la viande rouge non transformées [et de la viande transformée] (recommandation faible, preuves peu fiables). Onze des 14 membres du panel ont voté pour une poursuite de la consommation actuelle de viande transformée et 3 ont voté pour une recommandation faible visant à réduire la consommation de viande transformée [et rouge]. »

 

Compte tenu de la couverture médiatique, est-ce cela que vous vous attendiez à lire ? C'est une déclaration assez humble à mon avis, reconnaissant d'emblée que la recommandation est faible, que la preuve est incertaine et qu'il y a eu désaccord, pas consensus. Et cela nous amène à une autre distinction par rapport aux recommandations nutritionnelles antérieures : la réelle transparence de leurs résultats. Ils ont mis en évidence cet effort de deux manières. Premièrement, le panel réuni n’avait aucun conflit d’intérêt financier ou intellectuel reconnu. L'absence de ce dernier signifie flexibilité de la pensée, absence d’agenda prédéfini. La plupart des comités établissant des recommandations sont composés d'experts du domaine. Lorsque vous consacrez votre carrière à la vérification d'une hypothèse, vous faites un investissement intellectuel considérable. Pensez simplement à ce que Ptolémée aurait dû ressentir lorsque Copernic et ce nouvel arrivant, Galilée, remirent en cause son travail montrant que la Terre était le centre du système solaire. Les auteurs sont allés jusqu'à rapporter les portions de viande rouge ou transformée dans le régime de chaque panéliste.

 

Deuxièmement, et c'est peut-être plus important encore, ils ont exposé en termes simples la justification de leur recommandation.

 

« Les panélistes ont considéré que 3 portions par semaine constituaient une réduction réaliste de la consommation de viande (par exemple, passer de 7 à 4 portions, ou de 4 à 1 portion) sur la base d’une consommation moyenne de 2 à 4 portions par semaine en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest. []

 

La raison d'être de notre recommandation de continuer plutôt que de réduire la consommation de viande rouge non transformée ou de viande transformée repose sur les facteurs suivants. Premièrement, la certitude des preuves des effets néfastes potentiels sur la santé associés à la consommation de viande était faible à très faible, […] Deuxièmement, il y avait une réduction du risque absolu très petite et souvent triviale basée sur une diminution réaliste de 3 portions de viande rouge ou transformée par semaine. Troisièmement, si le très faible effet d'exposition est vrai, étant donné l'attachement des gens à leur régime alimentaire à base de viande, la réduction du risque associée ne fournira probablement pas une motivation suffisante pour réduire la consommation de viande rouge ou de viande transformée chez des individus parfaitement informés ; et la faible, et non forte, recommandation est fondée sur la grande variabilité des valeurs et des préférences des gens concernant la viande. »

 

 

Les protestations des partisans de l’Empereur

 

La recherche et le développement de recommandations nutritionnelles restent un domaine d’étude actif, doté d'un financement de 1,8 milliard de dollars des NIH pour 2018 (un montant comparable aux dépenses des National Institutes of Health (NIH) sur les maladies cardiovasculaires), et créant des perspectives de carrière pour de nombreux scientifiques. Gina Kolata, écrivant dans le New York Times Science [texte complet ici] a rapporté :

 

« L’American Heart Association, l'American Cancer Society, la Harvard T.H. Chan School of Public Health et d’autres groupes s'en sont pris aux résultats et au journal qui les a publiés.

 

Certains ont appelé les rédacteurs de la revue à retarder complètement la publication. Dans un communiqué, des scientifiques de Harvard ont averti que les conclusions compromettaient la crédibilité de la science de la nutrition et érodaient la confiance du public dans la recherche scientifique. »

 

Retarder la publication, nuire à la crédibilité (du travail des protestataires), éroder la confiance, irresponsable, contraire à l’éthique – autant de termes que nous pouvons retenir du passé, lorsque Galilée se tenait devant les inquisiteurs du pape Urbain VIII, obligé de se rétracter pour sa position hérétique sur la Terre et le Soleil.

 

Je suis d'accord avec l'éditorial quand ils écrivent,

 

« Nous avons saturé le marché avec des avertissements sur les dangers de la viande rouge. Il serait difficile de trouver quelqu'un qui "ne sait pas" que les experts pensent que nous devrions tous en manger moins. Continuer à diffuser ce fait, avec de plus en plus d’études fragiles vantant des risques relatifs minimes, ne changera le point de vue de personne. »

 

L'étude fournit un exemple de ce que nous devrions faire pour communiquer des informations nutritionnelles. Cette étude reprend cette décision des mains des décideurs politiques et la met carrément entre celles des particuliers. Des gens choisissent de ne pas manger de viande pour diverses raisons, pour leur santé, leurs préoccupations éthiques en matière de bien-être animal ou d'intelligence, et pour l'impact environnemental d'une agriculture à l'échelle industrielle. C’est votre affaire, mais les bienfaits pour la santé semblent faire l’objet d’une surenchère.

 

[1] Éditorial des Drs Aaron Carroll et Tiffany Doherty ayant accompagné les études.

 

[2] En fait, les préférences décrivent celles des consommateurs de viande des pays occidentaux à revenu élevé.

 

___________

 

Le Dr Charles Dinerstein, M.D., MBA, FACS est Senior Medical Fellow à l'American Council on Science and Health ( ACFH – Conseil Américain sur la Science et la Santé). Il a plus de 25 ans d'expérience en tant que chirurgien vasculaire. Il a complété son MBA avec distinction dans le programme de MBA en soins de santé de l'Université George Washington et a été consultant pour des hôpitaux. Bien qu'il ne soit plus actif sur le plan médical, ses écrits ont été présentés à KevinMD et à Doximity.

 

Source : https://www.acsh.org/news/2019/10/08/red-meat-controversy-wheres-beef-14318

 

 

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