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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Protection des obtentions végétales et semences de ferme : la CJUE intervient

22 Mars 2023 Publié dans #amélioration des plantes, #Union Européenne

Protection des obtentions végétales et semences de ferme : la CJUE intervient

 

 

La photo d'introduction du site de la SICASOV – très jolie formule

 

 

Le régime de protection des obtentions végétales (variétés de plantes) de l'Union Européenne (règlement n° 2100/94) prévoit un mécanisme à trois étages pour la production (reproduction ou multiplication) de semences et plants d'une variété protégée :

 

  1. Toute production (autre qu'à des fins non commerciales dans un cadre privé) est soumise à l'autorisation du titulaire du droit (obtenteur) – ce qui implique en particulier le paiement d'une redevance ;

     

  2. Il est permis aux agriculteurs de produire leurs propres semences (semences de ferme) dans le cas de deux douzaines d'espèces (les autogames les plus importantes sur le plan agricole), moyennant paiement d'une « rémunération équitable, qui doit être sensiblement inférieure au montant perçu pour la production sous licence de matériel de multiplication de la même variété dans la même région » ;

     

  3. Les « petits agriculteurs » sont dispensés du paiement de cette rémunération.

 

L'inobservation de ces dispositions entraîne le risque de se voir poursuivi en contrefaçon. Le règlement – très disert, puisque européen – prévoit notamment :

 

« Toute personne qui agit de propos délibéré ou par négligence est en outre tenue de réparer le préjudice subi par le titulaire. En cas de faute légère, le droit à réparation du titulaire peut être diminué en conséquence, sans être toutefois inférieur à l’avantage acquis par l’auteur de la contrefaçon du fait de cette contrefaçon. »

 

Et, bien sûr, cette disposition fait l'objet d'un règlement d'application (n° 1768/95). Dans sa partie pertinente ici (article 18), il dispose :

 

« 2.  Si, à plusieurs reprises et intentionnellement, [un producteur de semences de ferme] n’a pas rempli son obligation [de payer une rémunération], la réparation du dommage subi par le titulaire, […] représentera au moins un montant forfaitaire qui sera calculé sur la base du quadruple du montant moyen perçu pour la production sous licence de matériel de multiplication de variétés protégées de l’espèce végétale concernée dans la même région, sans préjudice de la compensation de tout autre dommage plus important. »

 

Un agriculteur allemand a été pris dans les filets de la Saatgut-Treuhandverwaltungs GmbH, analogue à la française SICASOV, un groupement d'obtenteurs chargé par ses membres de défendre leurs droits et, en particulier, de présenter en son nom propre des demandes d’information ainsi que des demandes de paiement.

 

Et l'affaire est montée à la Cour de Justice de l'Union Européenne sur la base d'une question péjudicielle (arrêt – affaire C-522/21, Saatgut-Treuhandverwaltung (KWS Meridian)).

 

Voici le communiqué de presse, qui a le mérite de la clarté :

 

« Protection des obtentions végétales : pas de fixation d’une indemnisation forfaitaire minimale

 

La disposition prévoyant un montant forfaitaire minimal calculé sur la base du quadruple de la redevance de licence en réparation d’une violation répétée et intentionnelle est invalide

 

STV est un groupement de titulaires de variétés végétales protégées, chargé par ses membres de défendre leurs droits et, en particulier, de présenter en son nom propre des demandes d’information ainsi que des demandes de paiement.

 

Il demande devant les juridictions allemandes des dommages-intérêts à un agriculteur ayant mis en culture, sans autorisation, une variété végétale protégée, l’orge d’hiver KWS Meridian.

 

La juridiction saisie de l’affaire a des doutes quant à la validité d’une disposition contenue dans un règlement d’exécution adopté par la Commission. Celle-ci prévoit que le titulaire peut réclamer, en cas de violation répétée et intentionnelle, un montant forfaitaire minimal calculé sur la base du quadruple de la redevance de licence 1 . Elle a alors interrogé la Cour de justice à cet égard.

 

Dans son arrêt rendu le 16 mars 2023, la Cour a constaté que la disposition litigieuse est invalide.

 

En effet, cette disposition fixe un montant forfaitaire minimal calculé par référence au montant moyen de la redevance de licence, alors que le montant de cette dernière ne saurait en soi servir de fondement à l’évaluation du préjudice puisqu’elle ne présente pas nécessairement de lien avec ce dernier.

 

En outre, l’institution d’un montant forfaitaire minimal pour la réparation du dommage subi par le titulaire est contraire à l’obligation de ce dernier de prouver l’étendue du préjudice subi. En effet, la disposition se contente de présupposer la preuve de l’existence d’une atteinte, répétée et intentionnelle, aux droits du titulaire.

 

Par ailleurs, cette disposition est contraire à l’interdiction d’une condamnation à caractère punitif prévue par le droit de l’Union. Or, en établissant le niveau de la réparation à un montant forfaitaire minimal calculé sur la base du quadruple du montant moyen de la redevance de licence, elle est susceptible de conduire à l’octroi de dommages-intérêts de nature punitive.

 

Enfin, elle limite de manière inadmissible le pouvoir d’appréciation du juge saisi, en instaurant une présomption irréfragable quant à l’étendue minimale du préjudice subi par le titulaire.

 

Pour ces raisons, la Cour constate que la Commission a outrepassé les limites de sa compétence d’exécution.

 

_____________

 

1 Article 18, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1768/95 de la Commission, du 24 juillet 1995, établissant les modalités d’application de la dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales (JO 1995, L 173, p. 14), tel que modifié par le règlement (CE) no 2605/98 de la Commission, du 3 décembre 1998 (JO 1998, L 328, p. 6).

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