Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Relations entre le gaspillage alimentaire, la qualité du régime alimentaire et la durabilité environnementale

7 Juin 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #Alimentation

Relations entre le gaspillage alimentaire, la qualité du régime alimentaire et la durabilité environnementale

 

 

Des chercheurs états-uniens – Zach Conrad, Meredith T. Niles, Deborah A. Neher, Eric D. Roy, Nicole E. Tichenor et Lisa Jahns, du Centre pour la Nutrition Humaine de Grand Forks, qui dépend du Département de l'Agriculture, et de divers centres de recherche universitaires – ont étudié les relations entre le gaspillage alimentaire, la qualité du régime alimentaire et la durabilité environnementale, et ce, dans le contexte états-unien et sur la période 2007-2014. « Relationship between food waste, diet quality, and environmental sustainability » a été publié dans Plos One.

 

 

Le résumé

 

Voici le résumé, que nous découpons en paragraphes pour plus de lisibilité :

 

« L'amélioration de la qualité du régime alimentaire tout en réduisant simultanément l'impact environnemental est un objectif essentiel à l'échelle mondiale. Les mesures reliant la qualité de l'alimentation et la durabilité se sont généralement concentrées sur une série limitée d'indicateurs et n'ont pas inclus le gaspillage alimentaire. Pour combler cette lacune importante de la recherche, nous avons examiné la relation entre le gaspillage alimentaire, la qualité de l'alimentation, le gaspillage d'éléments nutritifs et de multiples mesures de durabilité : utilisation des terres cultivées, de l'eau d'irrigation, des pesticides et des engrais.

 

Les données sur l'apport alimentaire, le gaspillage alimentaire et les taux d'application des intrants agricoles ont été recueillies auprès de diverses sources gouvernementales américaines. La qualité du régime alimentaire a été évaluée à l'aide du Healthy Eating Index-2015.

 

Un modèle de simulation biophysique a été utilisé pour estimer la quantité de terres cultivées associées aux aliments gaspillés.

 

Cette analyse révèle que les consommateurs américains gaspillent 422g de nourriture par personne et par jour, correspondant à 12 millions d'hectares de terres cultivées utilisées pour produire cette nourriture chaque année. Cela représente 30 % des calories quotidiennes disponibles pour la consommation, un quart de la nourriture quotidienne (en poids) disponible pour la consommation et 7% de la superficie annuelle des terres cultivées.

 

Des régimes alimentaires de meilleure qualité étaient associés à un plus grand volume de gaspillage alimentaire et à une plus grande quantité d'eau d'irrigation gaspillée et de pesticides, mais moins de gaspillage de terres cultivées. Cela est dû en grande partie aux fruits et légumes, qui favorisent la santé et nécessitent de petites quantités de terres cultivées, mais des quantités importantes d'intrants agricoles.

 

Ces résultats suggèrent que des efforts simultanés pour améliorer la qualité de l'alimentation et réduire le gaspillage alimentaire sont nécessaires. Accroître les connaissances des consommateurs sur la façon de préparer et de stocker les fruits et légumes sera l'une des solutions pratiques pour réduire le gaspillage alimentaire. »

 

 

Les principaux résultats

 

Les résultats ne sont évidemment pas à prendre comme des indicateurs à graver dans le marbre car ce travail est le fruit d'une haute voltige statistique. Mais ils fournissent des enseignements, au moins pour ceux qui sont disposés à sortir des schémas de pensée convenus.

 

La quantité totale du gaspillage est importante : plus de 400 grammes et 30 % des calories quotidiennes disponibles. Cependant, le détail (figure ci-dessous) montre que plus de la moitié – 56 % – du gaspillage provient des fruits et légumes (163,9g) et des produits laitiers (72,3g). Les plats de viande (56,8g) et de céréales et autres graines (50,8g) totalisent 26 % du gaspillage.

 

 

Gaspillage alimentaire journalier (en grammes ; n = 35,507)

 

 

La figure suivante illustre ce que cela représente en termes de surface cultivée.

 

 

a) Pourcentage de la surface totale gaspillée par catégorie d'aliments avec, à droite, les surfaces en millions d'acres (1 acre = 0,4047 hectare).

b) Surface gaspillée pour chaque catégorie d'aliments en pourcent de la surface totale respective (en tout, 30,02 millions d'acres ou 12,15 millions d'hectares).

 

 

Les fruits et légumes – le plus grand poste de gaspillage (39 %) en poids – ne représentent que 14 % de la surface totale cultivée pour alimenter le gaspillage. Mais c'est plus de la moitié des surfaces dédiées aux fruits (61,2 %) et aux légumes (56 %) qui passe in fine à la poubelle.

 

En pourcentage de la surface totale gaspillée, les produits de l'élevage représentent un colossal 69 %. Mais l'image est très différente si on rapporte le gaspillage à la surface de production en cause : 6,8 % des terres consacrées à la production de céréales et d'oléagineux fourragers, 16 % des prairies permanentes (« hay ») et 10,5 % des prairies temporaires sont ainsi perdus.

 

Sans surprise, la quantité gaspillée augmente avec la qualité du régime alimentaire, car il est plus riche en fruits et légumes. Pour la même raison, la surface perdue à cause du gaspillage diminue.

 

 

Gaspillage alimentaire journalier en grammes par quintile de Healthy Eating Index-2015.

 

 

Surface totale en millions d'acres utilisée pour produire le gaspillage alimentaire, par quintile de Healthy Eating Index-2015.

 

 

Les fruits et légumes expliquent aussi en grande partie les résultats pour la « durabilité » : avec l'augmentation de la qualité du régime alimentaire, le gaspillage d'eau d'irrigation et de pesticides augmente, celui de l'azote est plutôt stable, et celui du phosphore et de la potasse décroît, mais pas de manière spectaculaire.

 

 

Quantité annuelle de : a) eau d'irrigation, b) engrais azotés, c) phosphore (P2O5), d) potasse (K2O), et e) pesticides appliqués aux surfaces utilisées pour produire le gaspillage alimentaire, par quintile de Healthy Eating Index-2015.

 

 

Les enseignements

 

Les états-uniens jettent, nous jetons aussi. C'est en partie – mais en partie seulement – le prix à payer pour avoir une alimentation abondante, de qualité et saine.

 

On ne peut que souscrire à la conclusion du résumé : les efforts d'amélioration de la qualité du régime alimentaire et de réduction du gaspillage doivent être simultanés. C'est l'évidence.

 

 

S'agissant des consommateurs

 

Les auteurs notent aussi qu'il est important que la réduction du gaspillage alimentaire au niveau du consommateur ne se fasse pas au détriment de préoccupations légitimes de sécurité alimentaire (liées à la santé).

 

Le détail du gaspillage est aussi intéressant : une grande partie, notamment en fruits et légumes et produits laitiers, est liée à une mauvaise gestion des achats et du réfrigérateur par les consommateurs. Et à un étiquetage et une information sur le sens de ce qui est mentionné sur l'étiquette qui pourraient être améliorés ; on peut y ajouter la taille des portions vendues, pas toujours adaptées.

 

Les auteurs notent que les consommateurs doivent réaliser un équilibre délicat entre suivre des recommandations diététiques pour augmenter leur consommation de fruits et légumes (et en acheter plus) et en gaspiller moins. Cela peut être particulièrement difficile pour les personnes ayant peu de temps et d'argent, ainsi que pour les familles avec enfants qui font face à des préférences alimentaires concurrentes dans le ménage. Et cela nécessite des actions à mettre en œuvre qui vont au-delà des traditionnelles incantations, style yaka, fokon, des élitistes de l'alimentation.

 

Pour notre part, nous soulignerons le défi particulier de l'engouement politique et médiatique actuel pour les produits frais et les circuits courts. Selon les auteurs de l'étude, il faudrait aviser les consommateurs que les fruits et légumes surgelés ou en conserve peuvent être une façon saine de suivre les recommandations diététiques.

 

 

S'agissant des répercussions dans le monde agricole

 

Le gaspillage de fruits et légumes représente proportionnellement moins d'hectares que pour d'autres types de denrées alimentaires, mais plus d'eau (un facteur qui est important quand elle est rare) et de pesticides.

 

L'image est plus compliquée pour les produits de l'élevage. Ainsi, le gaspillage de céréales et oléagineux destinés à l'alimentation animale, en termes d'hectares (7,7 millions d'acres ou 3,1 millions d'hectares), est plus du double de celui lié aux céréales pour la consommation humaine (3,4 millions d'acres ou 1,38 millions d'hectares). En pourcentage des soles qui leur sont dédiées, c'est grosso modo équivalent : 6,8 % et 5,8 %, respectivement. Mais il convient de tenir aussi compte des fourrages des prairies permanentes et temporaires.

 

Peut-on en conclure – comme nous y invite un axiome sociopolitique fort répandu – qu'il suffit de réduire le gaspillage et surtout la consommation de viande et de produits laitiers pour améliorer la balance de la production alimentaire et répondre au défi de nourrir une population croissante (et ayant des exigences plus élevées) ?

 

Ce n'est pas si simple ! S'il est un enseignement que l'on peut retirer de cette étude, c'est que les raisonnements fondés sur des pourcentages globaux de pertes et de gaspillage – et des poids de produits sans égard pour leur contenu diététique – conduiraient à de sérieux déboires s'ils étaient appliqués.

 

Les activités agricoles sont complexes et incluent des éléments importants de gestion des milieux et des territoires. Ainsi, une grande partie des prairies permanentes sont impropres à la mise en culture, et elles contribuent à une part importante de la biodiversité ; les prairies temporaires entrent dans des rotations longues (ce que l'on préconise dans le concept d'« agroécologie ») ; les cultures d'oléagineux sont à deux fins (huile pour l'alimentation humaine et l'énergie, et tourteaux pour les animaux) ; les animaux valorisent des produits et sous-produits impropres à la consommation humaine.

 

Et les animaux produisent aussi de la matière organique, sans laquelle l'agriculture biologique aurait de la peine à prospérer... une agriculture qui gaspille aussi des hectares (et certains intrants) du fait de ses rendements inférieurs.

 

Que l'on soit bien clair : notre propos est nuancé. D'une part, rien ne s'oppose à un objectif de réduction des pertes et du gaspillage, bien au contraire ; d'autre part, les équilibres agricoles et alimentaires peuvent varier, toutefois dans des limites qui excluent les oukases des raisonnements simplistes et les prescriptions à l'emporte-pièce des idéologies.

 

 

Limitations et points de repère

 

Cette étude porte sur le gaspillage par le consommateur. Elle n'inclut pas les pertes qui se situent en amont, dans la chaîne qui va du producteur au distributeur. Elle comporte des limitations que les auteurs ont décrites en détail. Ils ont également mentionnés les résultats d'autres équipes, ce qui permet une contextualisation et une mise en perspective.

 

Le gaspillage par les consommateurs a été estimé à 30,02 millions d'acres, soit 12,15 millions d'hectares. Cela représente, pour une population de 325,7 millions d'habitants, 384m2 par personne.

 

La surface agricole utile de la France est de quelque 27 millions d'hectares. En Allemagne, les surfaces cultivées représentent 11,8 millions d'hectares (pour 17,2 millions d'hectare de SAU).

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article