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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Tout dans l'agriculture est affaire d'arbitrage

16 Mars 2016 , Rédigé par Seppi Publié dans #Agronomie, #Andrew Kniss, #Glyphosate (Roundup)

Tout dans l'agriculture est affaire d'arbitrage

 

Andrew Kniss*

 

Préparatifs pour une alternative "écologique" et "biologique" aux herbicides

 

 

Le concept de compromis est familier. Aucun d'entre nous ne dispose d'argent, de temps ou d'énergie en quantité illimitée. Nous prenons chaque jour des décisions sur la façon de dépenser notre argent, notre temps et notre énergie. Vais-je acheter la chemise rouge ou la chemise bleue ? Est-ce que je regarde le match de football ou vais-je au concert ? Dois-je prendre mon vélo pour aller travailler ou ai-je de bonnes chances de trouver une place de parking ? Dois-je appeler un plombier ou essayer de réparer l'évier moi-même ? Le chili ou les pâtes ? Toutes ces décisions ont des coûts (et, espérons-le, des avantages) ; certains financiers, certains sociaux – et d'autres digestifs.

 

De même, les agriculteurs sont confrontés presque tous les jours à des décisions de production. L'agriculture est complexe. Toute décision ou presque prise sur une exploitation a des effets induits tout au long du système ; les décisions auront une influence sur le rapport coût/bénéfice de nombreuses décisions futures. Cette complexité rend les changements rapides difficiles et est une des raisons principales pour lesquelles de nombreux agriculteurs ont tendance à être assez prudents dans leurs décisions de stratégie agricole. Même si un agriculteur veut essayer quelque chose de nouveau (une nouvelle technologie ou une nouvelle culture, par exemple), cette option peut être exclue par les décisions qu'il a prises l'année précédente, ou même il y a de nombreuses années.

 

Exécution

 

Les mauvaises herbes font partie du quotidien des agriculteurs du monde entier, et elles influencent beaucoup de décisions que les agriculteurs prennent, directement ou indirectement. Si nous ignorions tout simplement les mauvaises herbes, la production alimentaire mondiale diminuerait vraisemblablement de 20 à 40 pour cent. Bien sûr, un agriculteur pourrait décider de ne rien faire sur les mauvaises herbes. Ce serait le fruit d'un arbitrage : laisser les mauvaises herbes réduira le rendement des cultures. Il est presque toujours plus opportun de faire quelque chose pour gérer les mauvaises herbes que de perdre un énorme pourcentage de la récolte. Mais alors, l'agriculteur doit décider ce qu'il doit faire pour contrôler les mauvaises herbes. Les arracher à la main ? Une façon culturale ? Les brûler ? Après le semis ou la plantation pour désavantager les mauvaises herbes ? Une rotation des cultures pour empêcher les mauvaises herbes d'augmenter leur stock au fil du temps ? Récolter précocement pour empêcher la montée à graines des mauvaises herbes ? Pulvériser un herbicide ? Quel herbicide ? Sur chaque exploitation que je connais, les agriculteurs ne se contentent pas de choisir une de ces solutions, mais une combinaison de plusieurs, voire beaucoup, de ces pratiques.

 

Au cours des 30 dernières années, l'un des choix les plus courants faits par les agriculteurs dans le monde a été d'inclure l'herbicide glyphosate (communément appelé Roundup) dans leur programme de gestion des mauvaises herbes. Ce choix a de nouveau mis le glyphosate dans les actualités. Selon un article de Charles Benbrook, près de 8,6 milliards de kilogrammes de glyphosate ont été épandus dans le monde depuis 1974 et le glyphosate est devenu « le pesticide le plus largement épandu » de l'histoire. Il est difficile de contester que l'augmentation de l'utilisation du glyphosate depuis sa découverte a été assez remarquable. Et, pour être franc, une telle augmentation spectaculaire de l'usage d'un herbicide particulier est une tendance quelque peu préoccupante.

 

Résultat (sur le maïs) -- voir aussi la vidéo

 

« Les agriculteurs devraient cesser d'utiliser autant de glyphosate. »

 

Je suis plutôt d'accord que les agriculteurs devraient cesser d'utiliser autant de glyphosate. C'est une demande raisonnable, au moins du point de vue général. Une forte dépendance à un seul pesticide n'est probablement pas une bonne chose. Mais zoomons sur le point de vue des agriculteurs. L'image ci-dessous est tirée d'un livre pour enfants sur comment prendre des décisions. « Savoir comment prendre des décisions implique de comprendre le processus de prise de décision. » Les agriculteurs n'utilisent pas autant de glyphosate sans raison, et si nous voulons vraiment qu'ils changent, nous devons comprendre leur processus de prise de décision. Si les agriculteurs cessaient d'utiliser le glyphosate, les mauvaises herbes ne cesseraient pas simplement de pousser, et donc il faut faire autre chose pour les contrôler. La décision aura un coût.

 

« Une grande décision est plus facile à prendre pour une personne qui sait quoi faire. Savoir comment prendre une grande décision implique de comprendre le processus de prise de décision. »

 

Certains coûts de la non-utilisation du glyphosate seraient financiers. Ma propre recherche a montré que l'utilisation de glyphosate en association avec une culture résistante au glyphosate a considérablement renforcé les rendements économiques nets. La suppression de cette option réduirait donc la viabilité économique de nombreuses exploitations agricoles, au moins dans le cadre de la politique agricole actuelle. Comment réagiriez-vous si quelqu'un vous demandait d'accepter une réduction de 5 à 20% de votre salaire ? Si nous voulons que les agriculteurs prennent des décisions qui ont un impact négatif sur leur propre niveau de vie, alors nous devons imaginer un incitatif financier pour que cela se produise. Combien sommes-nous prêts à payer pour aider les agriculteurs à réduire leur utilisation de cet herbicide ?

 

Il y aura aussi des coûts sociaux de la réduction de l'utilisation de glyphosate. Au moins pour certaines cultures, les agriculteurs ne pourront plus assister aux matchs de base-ball ou de softball de leurs enfants parce que sans glyphosate, le contrôle des mauvaises herbes peut devenir beaucoup plus complexe, exiger plus de main-d'œuvre et prendre plus de temps. Le bien-être des agriculteurs est un indicateur clé de la durabilité agricole, et un principe majeur du mouvement de l'agro-écologie. Une raison pour laquelle de nombreux agriculteurs ont adopté cet herbicide en premier lieu est qu'il a amélioré leur existence. Leur demander de renoncer à ce gain est une décision à ne pas prendre à la légère.

 

L'utilisation du glyphosate dans les cultures résistantes au glyphosate a eu un impact important sur les agriculteurs. Cette figure montre le nombre d'agriculteurs ayant déclaré que les mauvaises herbes étaient leur pire problème de production dans la Red River Valley du Dakota du Nord et le Minnesota avant et après l'adoption de la betterave à sucre résistante au glyphosate.

 

Et qu'en est-il des coûts environnementaux de la réduction de l'utilisation du glyphosate ? Un étude estime que l'utilisation de l'herbicide glyphosate en conjonction avec du maïs et du soja résistants au glyphosate a permis que 18,6 milliards de kilogrammes de CO2 ne soient pas relâchés dans l'atmosphère entre 1996 et 2013. Il a été estimé que l'adoption du soja résistant au glyphosate avait augmenté les pratiques culturales de conservation du sol de 10 %, et l'adoption du sans-labour de 20 %. Ces pratiques contribuent à réduire l'érosion des sols et les nombreux problèmes environnementaux liés à l'érosion des sols. Est-ce que la réduction de l'utilisation du glyphosate vaut le prix de l'augmentation de l'érosion et l'aggravation du changement climatique ? Je reconnais que ce dilemme est beaucoup trop simpliste, car il existe des moyens d'atténuer ces impacts. Mais ces options ont aussi des coûts.

 

Parce que le glyphosate se décompose rapidement dans le sol, les agriculteurs qui en épandent peuvent adopter n'importe quelle autre culture l'année suivante (ou même dans la même année). Cela rend la gestion agricole plus souple, et les agriculteurs peuvent répondre plus facilement aux changements du marché. Il permet donc aux agriculteurs de diversifier plus facilement leurs rotations ; c'est du reste l'une des raisons pour lesquelles le glyphosate est couramment utilisé dans les systèmes de culture diversifiés. À l'inverse, de nombreux autres herbicides (dont l'utilisation augmenterait presque certainement si le glyphosate ne l'était plus) impliquent d'importantes restrictions dans les rotations de cultures. Par exemple, l'épandage d'atrazine, de nicosulfuron ou d'acétochlore (herbicides couramment utilisés pour le maïs conventionnel) empêcherait de semer de nombreuses cultures pendant deux campagnes parce qu'ils sont très persistants. Les restrictions quant aux herbicides peuvent être encore plus grandes dans le cas du soja ; appliquer de l'imazethapyr interdit de planter certaines cultures pendant 40 mois. Si nous voulons vraiment encourager la diversité des cultures, alors l'utilisation du glyphosate peut être un outil puissant pour promouvoir ces rotations de cultures diversifiées, tout en permettant une bonne gestion des mauvaises herbes.

 

Je suis convaincu que l'intérêt du public pour notre approvisionnement alimentaire est une très bonne chose. Et je reconnais aussi que l'agriculture moderne pose des problèmes. Le public a son mot à dire sur l'agriculture, si les décisions agricoles affectent les ressources publiques. Mais si nous, en tant que communauté de mangeurs de nourriture, nous voulons des changements à grande échelle dans la manière de produire notre nourriture, hurler et crier, et écrire des articles et des éditoriaux, ne marchera pas. Si nous voulons changer la façon dont les agriculteurs gèrent leurs affaires, alors nous ferions bien mieux de dialoguer avec les agriculteurs pour savoir pourquoi ils prennent leurs décisions. Nous devons comprendre les compromis impliqués si nous voulons comprendre comment mettre en œuvre au mieux les changements que nous voulons.

 

 

____________________

 

* M. Andrew Kniss est Professeur d'écologie et de gestion des mauvaises herbes à l'Université du Wyoming.

 

Source : http://weedcontrolfreaks.com/2016/03/everything-in-agriculture-is-a-trade-off/

 

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