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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Publié depuis Overblog

12 Avril 2025 Publié dans #Communication

Lutter contre la désinformation scientifique en développant la conversation et la communauté, et non en répétant les faits

 

Anne Toomey, Alliance Cornell pour la Science*

 

 

 

 

La désinformation scientifique, y compris les faussetés telles que les vaccins causent l'autisme et le changement climatique est un phénomène entièrement naturel, est une question dont les scientifiques discutent de plus en plus. La désinformation généralisée peut entraîner une confusion sur les questions de santé publique et d'environnement et gêner ceux qui s'efforcent de résoudre les problèmes sociétaux.

 

En tant que spécialiste des sciences sociales de l'environnement qui étudie l'impact que la science peut avoir sur la société, je cherche des moyens efficaces de lutter contre la désinformation.

 

De nombreuses approches peuvent fonctionner dans une certaine mesure : par exemple, contrebalancer les informations erronées par des déclarations sur des sujets scientifiques fondées sur des recherches de qualité qui indiquent que la majorité des experts sont d'accord, et « inoculer » les gens en les préparant à repérer les erreurs dans les informations erronées avant qu'ils n'y soient exposés pour la première fois.

 

Mais l'un des moyens les plus importants pour contrer la désinformation concerne moins les faits que la manière dont ces faits circulent au sein des réseaux sociaux et des communautés. En d'autres termes, il ne suffit pas que la science soit juste, il faut aussi qu'elle soit acceptée dans les cercles sociaux pour avoir un impact significatif.

 

 

Les faits peuvent-ils faire évoluer les esprits ?

 

La plupart des gens ont tendance à penser que leurs connaissances et leurs idées reposent sur une analyse rationnelle et objective des informations. Et c'est parfois le cas – s'il neige dehors, les gens n'insistent pas sur le fait qu'il fait beau et chaud, même s'ils aimeraient que ce soit le cas.

 

De même, si une personne tombe sur un fait nouveau dans les nouvelles, comme la découverte d'un nouveau type de plante en Amazonie, elle peut simplement absorber cette information et continuer à vaquer à ses occupations.

 

Mais la rationalité et la capacité à accueillir de nouvelles informations disparaissent lorsqu'elles se heurtent à des idées qui remettent en cause les visions du monde ou les identités sociales préexistantes d'une personne. Ces informations peuvent être ressenties comme une attaque personnelle, ce qui conduit l'organisme à libérer du cortisol, une hormone associée au stress. Ainsi, certains faits peuvent sembler menaçants ou offensants.

 

À ce qui se passe dans le cerveau s'ajoute ce qui se passe dans les communautés. L'homme est un animal social qui se tourne vers des personnes de confiance pour l'aider à comprendre ce qui se passe. Les gens sont à l'écoute de ce qui est considéré comme normal ou acceptable dans leur environnement social, de sorte que si leur groupe social défend une croyance particulière, ils sont plus susceptibles d'adopter cette croyance également.

 

Les identités culturelles et politiques d'une personne dictent souvent la manière dont elle interprète la même information, ce qui entraîne des désaccords même lorsque les mêmes preuves lui sont présentées.

 

Ces identités culturelles expliquent pourquoi, par exemple, les recherches montrent que les comportements sceptiques à l'égard de la science, tels que l'hésitation face aux vaccins et le négatisme climatique, ont tendance à se regrouper dans des poches sociales et géographiques. Dans ces poches, le scepticisme des gens est renforcé par d'autres personnes ayant des croyances similaires dans leur réseau social. Dans de tels cas, fournir davantage de preuves sur un sujet donné ne sert à rien et peut même inciter les gens à s'enfoncer davantage dans le déni.

 

Alors, si les faits ne font pas nécessairement changer les esprits, qu'est-ce qui le fera ?

 

 

Tirer parti des réseaux communautaires

 

Des recherches récentes offrent une solution aux scientifiques et aux agences qui espèrent corriger la désinformation : plutôt que de lutter contre la nature sociale de l'être humain, il faut travailler avec elle. Lorsque les gens voient que des personnes de confiance au sein de leurs réseaux sociaux défendent une certaine croyance, cette croyance devient plus crédible et plus facile à adopter. L'exploitation de ces connexions communautaires peut permettre à de nouvelles idées de gagner du terrain.

 

La manière dont la polio a été éradiquée en Inde constitue un excellent exemple d'utilisation des réseaux sociaux pour lutter contre la désinformation. En 2009, l'Inde était l'épicentre de la polio dans le monde, avec la moitié des cas recensés. Ces cas étaient principalement concentrés dans les régions du pays où les vaccins sont peu nombreux. En 2011, soit deux ans plus tard, l'Inde ne comptait plus qu'un seul cas et le pays a officiellement célébré l'éradication de la polio en 2014.

 

Comment l'Inde est-elle passée de la moitié des cas mondiaux à un seul cas en moins de deux ans ? Les agences de santé publique ont demandé à des volontaires issus de communautés résistantes au vaccin de mener une campagne d'écoute et de devenir des ambassadeurs du vaccin. Les volontaires ont été formés aux techniques de communication interpersonnelle et chargés de passer du temps avec les parents. Ils ont établi des relations de confiance et des rapports grâce à des visites régulières.

 

Comme les volontaires étaient connus au sein des communautés, ils ont pu progresser là où les agents de santé des zones urbaines ne l'avaient pas fait. Au fur et à mesure qu'ils établissaient des relations, les parents hésitants partageaient leurs préoccupations, qui allaient généralement au-delà de la polio et incluaient d'autres problèmes de santé.

 

Au fil du temps, de plus en plus de parents ont décidé de faire vacciner leurs enfants, jusqu'à ce que la vaccination devienne une norme sociale. La campagne a notamment permis d'atteindre des taux de vaccination systématique complets dans certaines régions à haut risque du pays.

 

L'incroyable succès de l'Inde souligne l'importance des interactions personnelles pour faire évoluer les mentalités, ce qui signifie qu'il faut aller au-delà de la simple présentation des faits. L'éradication de la polio en Inde s'est appuyée sur la confiance, l'écoute des préoccupations et un dialogue constructif avec les communautés.

 

 

Le pouvoir des conversations

 

Un autre exemple de l'utilisation du pouvoir des réseaux sociaux pour parler de sujets scientifiques controversés provient d'une méthode appelée « deep canvassing » (prospection en profondeur). Le démarchage en profondeur est une méthode de communication unique qui consiste à faire du porte-à-porte pour discuter avec des membres du public.

 

Mais contrairement au démarchage traditionnel, qui vise souvent à rallier les partisans existants, le démarchage en profondeur cherche délibérément à s'engager auprès de ceux qui ont des points de vue différents, en concentrant ses efforts sur les communautés où le sujet est controversé.

 

Les solliciteurs sont formés pour poser des questions afin de mieux comprendre les expériences et les points de vue de l'autre personne sur le sujet, puis ils partagent leurs histoires personnelles. Cela permet de créer un lien humain, où les deux parties se sentent écoutées et respectées. Ce lien peut contribuer à réduire les émotions négatives qui peuvent surgir lorsqu'une personne est amenée à repenser ses croyances.

 

Un exemple notable de démarchage approfondi en action est le travail de Neighbours United (les voisins unis), une organisation environnementale à but non lucratif au Canada. Cette organisation a utilisé une approche de démarchage approfondi pour engager les gens dans des conversations sur le changement climatique.

 

Cette méthode a été testée dans une communauté rurale et conservatrice appelée Trail, où se trouve l'une des plus grandes fonderies de zinc et de plomb au monde. Les efforts antérieurs visant à impliquer les membres de la communauté n'avaient pas eu beaucoup d'effet, car agir sur le changement climatique était largement perçu comme étant en conflit avec la façon dont de nombreuses personnes gagnaient leur vie.

 

Mais la méthode de prospection en profondeur a fonctionné. En faisant du porte-à-porte, les solliciteurs ont écouté les préoccupations des habitants, ont partagé leurs propres histoires sur l'impact du changement climatique et ont mis en avant les réussites locales en matière d'environnement.

 

Résultat : un habitant sur trois a changé d'avis sur l'importance de prendre des mesures pour lutter contre le changement climatique. Ce large soutien communautaire a conduit le conseil municipal à voter en faveur d'une transition vers une énergie 100 % renouvelable d'ici à 2050.

 

Le sociologue Anthony Giddens a décrit les interactions interpersonnelles entre les experts, tels que les médecins ou les scientifiques, et le public comme des points d'accès. Selon lui, ces points sont essentiels pour maintenir la confiance dans les institutions gouvernementales et scientifiques, telles que les Centres de Contrôle et de Prévention des Maladies ou l'Agence de Protection de l'Environnement [aux États-Unis d'Amérique].

 

Ces interactions en face à face avec les experts peuvent aider les gens à les percevoir comme aimables, chaleureux et professionnels, ce qui peut susciter la confiance. Ces exemples montrent qu'il ne suffit pas de présenter des faits pour susciter un soutien en faveur d'attitudes et de comportements fondés sur la science. Il faut créer un dialogue constructif entre les groupes sceptiques et les messagers scientifiques. Ils nous rappellent également que si les réseaux sociaux peuvent servir à propager la désinformation, ils peuvent aussi être un outil important pour y remédier.

 

________________

 

Anne Toomey est professeur associé d'études et de sciences environnementales à l'Université Pace.

 

Cet article a été publié à l'origine par The Conversation.

 

Source : Address science misinformation by building conversation and community not by repeating the facts - Alliance for Science

 

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