Les OGM, un outil du colonialisme ? Démonter un mythe populaire sur la « justice sociale ».
Cameron English*
Certains militants de la justice sociale prétendent que les entreprises occidentales utilisent la biotechnologie pour « coloniser » le monde en développement. Il n'y a pas la moindre preuve à l'appui de cette accusation populaire mais très dangereuse.
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Image : SarahRichterArt via Pixabay
Aujourd'hui, de nombreuses discussions scientifiques sont imprégnées par une rhétorique de justice sociale, et le débat sur la sécurité alimentaire dans le monde en développement ne fait pas exception. Selon cette rhétorique, combattre la faim ne consiste pas seulement à augmenter le niveau de vie, en partie en donnant aux agriculteurs l'accès à des technologies importantes comme les cultures biotechnologiques, mais aussi à affronter les « héritages coloniaux » et à adopter les « systèmes de connaissances indigènes ». Ceux d'entre nous qui remettent en cause ce récit auraient adopté une version technocratique de la réforme qui « est coloniale dans sa dépendance et sa perpétuation de la logique de conquête ».
C'est ce qu'affirme Benjamin R. Cohen, professeur d'ingénierie au Lafayette College, dans un essai publié sur The Counter intitulé Decolonizing the GMO debate. Sa rhétorique byzantine est issue de la théorie critique, qui cherche à « rendre visibles les présupposés, hypothèses et dynamiques de pouvoir de la société sous-examinées ou invisibles et à les remettre en question, les critiquer et, surtout, les problématiser ». Partant de ce point de vue, la plainte spécifique de Cohen semble être que les défenseurs occidentaux des OGM sont trop investis dans la production de plus de nourriture :
« En soutenant que l'efficacité, la quantité et l'échelle sont les caractéristiques les plus importantes d'un système alimentaire – c'est ainsi que l'on nourrit une population en constante augmentation, selon l'argument – on s'appuie confortablement sur un idéal centenaire axé sur la production qui repose lui-même sur les relations coloniales, les métriques du marché d'exportation et certains types de production oppressive de connaissances. »
Ce sont des absurdités déguisées en langage académique. Le fait est que nous devons produire plus de nourriture pour nourrir plus de gens – et l'innovation technologique fait partie intégrante de cet effort, lequel est souvent mené par des scientifiques et des agriculteurs dans les pays en développement. Il n'y a rien d'« oppressif » là-dedans.
À l'appui de sa thèse, M. Cohen a fait valoir que les « partisans des OGM » ont indûment présenté le débat « comme une question de culture scientifique ». Il s'en prend plus particulièrement à l'Alliance pour la Science (AFS) de l'Université Cornell, une organisation à but non lucratif qui réfute avec compétence les mythes anti-biotechnologie et défend le progrès scientifique dans les pays en développement. Selon M. Cohen, l'AFS et d'autres partisans des cultures biotechnologiques ont embrassé une sorte de « scientisme » qui promeut des « solutions techniques à des problèmes plus que techniques ».
C'est faux à tous égards. Des groupes comme l'AFS soutiennent que la biotechnologie permet de résoudre des problèmes très spécifiques. Le niébé résistant à des insectes, par exemple, aide les agriculteurs à protéger leurs cultures contre les ravageurs, donnant ainsi aux Africains pauvres l'accès à un aliment de base riche en protéines qu'ils ne pourraient peut-être pas se permettre autrement. En revanche, les interdictions malavisées des cultures biotechnologiques privent les pays en développement de plusieurs millions de dollars qui leur permettraient d'améliorer leur niveau de vie.
Il est certainement vrai que la science peut être mal appliquée à une variété de maux sociaux qu'elle ne peut pas résoudre. Dans le même ordre d'idées, la biotechnologie n'est pas une panacée pour les problèmes du monde, mais ses défenseurs n'ont jamais – je répète, ils n'ont jamais – prétendu le contraire. Cela dit, les activistes (et les professeurs d'ingénierie) qui s'opposent aux cultures biotechnologiques développées par Monsanto et d'autres entreprises occidentales sont du mauvais côté de la preuve ; ils ont laissé leur idéologie anti-entreprises obscurcir leur analyse. L'utilisation de la rhétorique du bien-être pour critiquer les « héritages coloniaux » et défendre les « systèmes de connaissances indigènes » est à la mode en ce moment, mais elle nuit également aux personnes dont les militants de la justice sociale prétendent se préoccuper.
M. Cohen poursuit en se plaignant que
« La version technocratique de la réforme proposée par les partisans des OGM [...] place la nature dans la position d'un "autre", d'une sphère séparée qui doit être réparée ou améliorée non seulement par les humains, mais aussi par les humains occidentaux, orientés vers le marché. Nous ne faisons pas partie des écosystèmes, nous en sommes responsables. Les scientifiques "conçoivent" la nature. »
On peut se demander si M. Cohen pense la même chose des vaccins contre la Covid-19. Les « humains occidentaux, orientés vers le marché » de Pfizer et Moderna ont-ils redessiné la nature à tort en concevant des médicaments puissants qui sauvent des vies ? Les États-Unis ont-ils négligé les modes de connaissance indigènes en faisant don de millions de doses de vaccin aux pays en développement ? Il s'agit évidemment d'un questionnement absurde, mais il en va de même dans le contexte de la production alimentaire. Les innovations technologiques peuvent profiter au monde entier, quelle que soit leur origine.
L'auteur scientifique nigérian Uchechi Moses l'a souligné avec beaucoup d'éloquence dans un article récent qui démystifie l'affirmation selon laquelle les milliardaires occidentaux font main basse sur l'approvisionnement alimentaire :
« La vérité est que les agriculteurs africains ont besoin de cultures biotechnologiques pour se nourrir et nourrir leurs voisins, car le changement climatique fait de l'agriculture un métier de plus en plus difficile. Les consommateurs recherchent des produits dérivés d'OGM pour leur qualité supérieure et leur contenu nutritionnel plus important. La population du continent monte en flèche et les revenus augmentent, ce qui alimente la demande d'une plus grande variété d'aliments. C'est la science, et non les théories du complot, qui permettra à l'Afrique de relever ces défis. »
M. Moses a ajouté que des organisations telles que l'Institut International d'Agriculture Tropicale (IITA) et l'Agence Nationale de Gestion de la Biosécurité (NBMA) sont à l'origine d'efforts visant à développer les cultures biotechnologiques au Nigeria et dans d'autres pays. En d'autres termes, l'affirmation de M. Cohen selon laquelle les « multinationales des semences » promeuvent la biotechnologie dans les pays en développement au détriment des « connaissances agricoles afro-indigènes » est tout simplement fausse.
La réalité est que la recherche sur les cultures dans les pays développés est généralement axée sur les besoins des agriculteurs de ces pays, comme M. Moses l'a expliqué ailleurs. La bonne nouvelle, c'est que de nombreux pays en développement suivent la même stratégie et investissent massivement dans la recherche en biotechnologie qui profitera à leurs agriculteurs. Si ces efforts sont interrompus, les agriculteurs se procureront les semences améliorées de manière illégale – parce qu'ils les veulent.
Certains projets d'amélioration des cultures, dont le Riz Doré est l'exemple le plus marquant, ont nécessité la coopération d'entreprises biotechnologiques occidentales. Les agriculteurs africains cultivent également des variétés « locales » de maïs provenant d'autres régions du monde... et alors ? Il ne s'agit pas de « colonialisme » au sens propre du terme. Le terme le plus approprié est « commerce », qui a depuis longtemps fait ses preuves en matière d'enrichissement du monde.
Rien de tout cela ne nie les méfaits historiques du colonialisme ni n'excuse les méfaits de sociétés et de nations puissantes. Mais le récit selon lequel les Occidentaux paternalistes ont imposé des technologies indésirables au monde en développement est absurde. Il ne correspond pas aux faits et, surtout, n'offre aucune solution sérieuse au véritable problème de l'insécurité alimentaire, qui touche encore plus de 700 millions de personnes dans le monde. Au lieu de qualifier les entreprises occidentales de « colonisatrices », nourrissons davantage de personnes par tous les moyens possibles.
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* Cameron English, directeur de Bioscience
Cameron English est auteur, éditeur et co-animateur du podcast Science Facts and Fallacies. Avant de rejoindre l'ACSH, il était rédacteur en chef du Genetic Literacy Project.