Petit retour sur les pesticides dans les nuages
Un lecteur, que je remercie vivement, m'a mis sur la piste du texte de « Are Clouds a Neglected Reservoir of Pesticides? » (les nuages sont-ils un réservoir négligé de pesticides ?) d'Angelica Bianco et al. De quoi en apprendre un petit peu plus sur les « étonnantes » découvertes.
En bref, on tombe des nues !
Notre analyse, «140 tonnes de pesticides dans les nuages ? » était fondée sur le résumé de l'étude et le tapage qu'elle a suscité dans certains médias.
Nous pouvons donc ajouter que les échantillons ont été collectés les 13 et 22 septembre 2023 et les 3, 15, 20 et 25 avril 2025.
Il y a sans doute eu des contraintes logistiques – il fallait bien sûr qu'il y ait du brouillard, ou des nuages. Mais on peut s'interroger sur la pertinence de la collecte de quatre échantillons en l'espace de trois semaines en avril – et de l'absence de recherches les mois suivants. Cette collecte semble montrer en tout cas que les substances présentes dans les nuages sont très variables dans le temps.
Les résultats de l'étude sont condensés dans le graphique reproduit ci-dessus. C'est un peu plus expressif que le résumé en image reproduit dans notre article précédent (rappel : sans échelles et sans explications), mais on reste sur sa faim.
Les résultats détaillés – l'élément le plus important de la recherche – ont été fournis dans les informations complémentaires (ci-dessous).
Nous ne dirons pas que c'est curieux : c'est une stratégie de publication... On publie sans vraiment publier...
Rappelons ce que disait le résumé :
« Nous avons mesuré la concentration de 32 pesticides à l'observatoire du Puy de Dôme (France) dans une fourchette comprise entre moins de 1 μg L–1 et le μg L–1 [in the sub μg L–1 to μg L–1 range] dans l'eau des nuages, provenant en grande partie d'un transport allant du régional à la longue distance [largely arising from regional to long-range transport] qui implique également des pesticides actuellement interdits à l'usage agricole en France. »
Sans surprise, on a trouvé différentes substances, en nombre moindre, dans les échantillons. Respectivement 12 ; 16 ; 4 ; 3 ; 8 ; 5 (en plus du 2,4-dinitrophénol, mesuré quatre fois). Rappel : on avait recherché 446 substances.
Présentés ainsi, les résultats ont une tout autre allure s'agissant de l'anxiogenèse.
Mais remarquez : en prenant une sélection de substances présentes à dose quasi homéopathiques, les activistes doivent pouvoir nous ficeler un bel argument d'un effet cocktail endocrinien...
Les concentrations mesurées sont aussi très variables, de l'ordre du nanogramme/litre (par exemple 0,0049 µg/L = 4,9 ng/L pour l'anthraquinone dans le premier échantillon) à la centaine de nanogrammes (0,62 µg/l = 620 ng/L pour la mésotrione, toujours dans le premier échantillon).
Les marges d'erreur des mesures interrogent : elles sont quasi systématiquement de ± 50 % !
Les totaux ont été arrondis à deux chiffres après la virgule, avec des marges d'erreur qui restent fondamentalement à ± 50 % (mais la dernière valeur est fausse (0,15± 0,0)).
Selon le résumé, « [l]es estimations de la quantité de pesticides dans les nuages au-dessus de la France, comprises entre 6,4 ± 3,2 et 139 ± 75 tonnes, suggèrent que leurs quantités dans la phase aqueuse des nuages sont potentiellement élevées [...] »
Voici ce qu'écrivent les auteurs à propos de la méthodologie :
« Évaluation de la concentration totale de pesticides dans les nuages au-dessus de la France. Des pesticides ont été détectés dans tous les échantillons d'eau de nuage analysés, à des concentrations variables. En supposant que la concentration totale trouvée à PUY soit représentative des nuages de basse et moyenne altitude, composés d'eau liquide et surfondue, la quantité de pesticides dans les nuages au-dessus de la France peut être estimée de manière provisoire [tentatively estimated]. La quantité d'eau liquide et surfondue a été récupérée à partir de la réanalyse ERA-5 du CEPMMT pour les dates et les heures d'échantillonnage correspondant aux échantillons d'eau des nuages présentés. Ce calcul donne le nombre de kilogrammes d'eau liquide et surfondue dans la colonne d'air pour une surface de 1 m2, fournissant une valeur en kg d'eau m−2. La concentration de pesticides au-dessus de la France a été calculée en multipliant la concentration en phase aqueuse en μg L−1 par la quantité d'eau en kg d'eau m−2, en supposant une densité de 1 g cm−3. L'intégration des concentrations sur toute la surface permet d'estimer la quantité de pesticides dans les nuages au-dessus de la France. L'erreur indiquée pour cette estimation tient compte des incertitudes liées à la concentration des pesticides et à l'évaluation de l'eau liquide et surfondue, comme indiqué dans le texte S7. [...] »
Bref... C'est de la très haute voltige.
Le texte se poursuit :
« La figure 4b illustre la répartition des pesticides dans les nuages pour les conditions météorologiques rencontrées lors de l'échantillonnage CW2, avec une concentration pouvant atteindre 1,0 mg m−2. »
En clair : il y aurait eu un milligramme (1 mg) de substances, dites « pesticides », sur nos têtes dans une colonne de nuage (la plus haute) qui ferait un mètre carré (1 m2) au sol.
C'est une illustration de la nécessité de relativiser : des fractions de milligramme par mètre carré au sol finissent par faire des tonnes sur les 543.940 kilomètres carrés de la France métropolitaine.
Mais ce sont les tonnes qui ont été mentionnées dans le résumé de l'étude et instrumentalisées par une certaine presse...
Rappel : c'est 6,4 ± 3,2 tonnes selon le résumé. Mais...
« […] L'échantillon CW2 était le plus concentré ; lorsque la même estimation a été effectuée pour l'échantillon CW4, qui présentait la concentration totale de pesticides la plus faible, la quantité était de 3,9 ± 1,3 tonnes (figure 4d). [...] »
La revue par les pairs a été efficace (ironie).
Les estimations figurant dans le résumé (et dans l'article) viennent avec une incertitude qui reste scotchée à 50 % ou 54 %.
Pour l'échantillon CW4, nous avons 3,9 ± 1,3 tonnes, pour une concentration totale de substances de 0.03 ± 0.01 µg/L. La concordance des chiffres est remarquable : tout se passe comme si les incertitudes sur les facteurs en aval de la concentration mesurée au Puy de Dôme étaient nulles !
Les auteurs n'ont pas éludé la question :
« […] Le sommet des nuages pour ces échantillons est estimé entre 4 et 8 km d'altitude, comme indiqué dans la figure S5. En réalité, les pesticides n'ont été mesurés qu'à PUY et les concentrations étaient cohérentes avec la trajectoire inverse des masses d'air. Cependant, les nuages couvrant le territoire français n'ont pas la même origine et, probablement, la concentration de pesticides n'est pas la même dans toute la colonne d'air. [...] »
« ...probablement... » ? Faut-il mettre ici un point d'exclamation de stupeur ou des points de suspension d'étranglement ?
Et donc...
« […] Cela conduit à des sous-estimations potentielles pour certaines régions et à une surestimation pour d'autres. »
« ...potentielles... » ? Bis !
Mais cela n'a pas conduit à l'indispensable prudence et à la modestie de bon aloi.
Selon la fin du résumé,
« Les estimations de la quantité de pesticides dans les nuages au-dessus de la France [...] suggèrent que leurs quantités dans la phase aqueuse des nuages sont potentiellement élevées et que ces composés pourraient affecter des zones qui ne sont pas directement touchées par les activités agricoles. »
Ah ! L'anxiogenèse...
La fin de l'article est un peu différente :
« Ces résultats fournissent la première estimation de la quantité de pesticides dans l'eau des nuages, qui peut être significative. Ils soulignent la nécessité de poursuivre les mesures des pesticides dans les nuages. »
« ... qui peut être significative... » ? Ter !
Nous pouvons formuler un autre avis : quel intérêt ? À notre sens, elles n'apportent pas beaucoup plus que les études sur l'eau de pluie (ou sur l'air que nous respirons) – qui ont en plus l'avantage d'être réalisables en tout lieu.
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