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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Chocolat et cadmium : c'est le consommateur qui est chocolat !

16 Septembre 2025 Publié dans #Santé

Chocolat et cadmium : c'est le consommateur qui est chocolat !

 

 

 

 

Atlantico m'a sollicité pour commenter la dernière éruption d'anxiogenèse. Il a titré : « Et les chocolats contenant le plus de cadmium sont… les chocolats bio ». Voici mes réponses.

 

 

Comment expliquer que le chocolat bio, censé être plus sain et respectueux de l’environnement, se révèle souvent plus contaminé au cadmium que le chocolat conventionnel ? Cette présence élevée de cadmium dans le cacao bio est-elle liée aux pratiques agricoles ou surtout à la géographie des sols (zones volcaniques d’Amérique latine) ?

 

Plantons d'abord le décor.

 

L'UFC-Que Choisir a choisi de sonner le tocsin sur le chocolat dans son numéro de septembre 2025. Selon la couverture du magazine, il serait un « plaisir toxique », tablettes, poudres, céréales et gâteaux étant « bourrés de cadmium ».

 

Cela fait suite à un autre article hautement anxiogène publié par le Monde le 5 juin 2025, « La France malade du cadmium, une "bombe sanitaire", alertent les médecins libéraux » – en l'occurrence une ci-devant largement inconnue Conférence Nationale des Unions Régionales des Professionnels de Santé-médecins Libéraux (URPS-ML) depuis lors retombée dans le quasi-anonymat. Mais, écrivait le Monde en chapô, « Les Français, en particulier les enfants, sont massivement contaminés par ce cancérogène présent dans les engrais phosphatés, à travers la consommation de céréales, de pain ou de pâtes ». Non sans ajouter témérairement que « Santé publique France fait le lien avec l’explosion des cancers du pancréas ».

 

Le chocolat n'était pas ciblé dans cet article : pas de lien avec les engrais phosphorés utilisés en France.

 

L'UFC-Que Choisir a donc trouvé un bon filon, le cacao étant largement connu comme pouvant être très chargé en cadmium. Si nous avons bien compris, son article est un recyclage de données issues de tests effectués en 2021 et 2022.

 

On a joué à fond la carte de l'anxiogenèse en présentant les résultats sous la forme de pourcentages de la valeur toxicologique de référence (VTR) apportée par une « portion ». Ainsi, une « portion » de chocolat Éthiquable 70 % bio, au cacao originaire du Pérou, de 20 grammes (en gros une barre) apporterait 87 % de l'apport journalier pour un enfant et 35 % pour un adulte, de la « dose quotidienne à partir de laquelle les experts reconnaissent un risque » (voir ci-dessous).

 

On aura sans doute déterminé la teneur en cadmium, au départ, en analysant une seule tablette. Se pose ici la question de l'éthique et de la déontologie du consumérisme : quelle est la représentativité de cette tablette de chocolat, s'agissant tant de la marque que de l'origine de la matière première et de la classification commerciale ? Il est pourtant clair que les caractéristiques du produit dépendent, pour une partie plus ou moins importante, de l'arrivage de la matière première.

 

Autre manière de présenter les choses : comment a-t-on arbitré entre l'objectif affiché d'informer les consommateurs, d'une part, et la nécessité de faire prospérer le fonds de commerce de l'association ?

 

En bref, ce sont les consommateurs, mais aussi les opérateurs de la filière de production et de commercialisation, qui sont... chocolat !

 

Il se trouve que l'UFC-Que Choisir a « épinglé » plusieurs produits issus de l'agriculture biologique, particulièrement pour les tablettes de chocolat : sur 23 références, les neuf les plus chargées en cadmium sont des références « bio ».

 

On pourrait trouver cela curieux, le monde du consumérisme, et notamment l'UFC-Que Choisir, ayant été contaminé de longue date par le virus de la promotion et de la défense de l'agriculture biologique. Mais cela a aussi allumé quelques critiques du « bio » sur les réseaux sociaux, les médias, à l'instar de Libération (avec AFP) par exemple, ayant plutôt mis une sourdine sur le « bio ».

 

Qu'on se rassure : il y a eu une parade dans Que Choisir. Le « bio » n'utilise pas « des engrais et des additifs (sic) de synthèse » et « est souvent issu de filières équitables » (c'est M. Charles Pernin, du SYNABIO, syndicat national des entreprises agroalimentaires bios qui est à la manœuvre). Alors, il faudrait choisir « bio », mais en veillant à la bonne origine des fèves. Et modérer et varier sa consommation, sachant par ailleurs que « la culture du cacao particip[e] de façon non négligeable à la destruction des forêts tropicales ».

 

Tout ça pour un problème d'une simplicité quasi biblique.

 

Le cacaoyer est une espèce qui absorbe bien les métaux lourds, en particulier le cadmium. Et il le transporte dans les fèves dont on tire le cacao. D'une manière générale, les sols des plantations d'Amérique du Sud et Centrale sont riches en cadmium... et le cacao des produits « bio » vient plus particulièrement d'Amérique du Sud et Centrale.

 

On trouve ici ce qu'on appelle en science un facteur de confusion : la teneur élevée en cadmium des tablettes de chocolat « bio » testées (a priori une par marque, répétons-le) n'est qu'accidentellement liée à l'étiquette « AB » mais dérive de l'origine de la matière première.

 

Si on veut incriminer l'agriculture biologique ici, ce n'est pas sur ses fondements, mais sur la stratégie commerciale.

 

Des travaux sont menés pour réduire la teneur en cadmium des fèves. Ils relèvent principalement de la génétique (sélection de clones absorbant peu de cadmium ou le transportant moins dans les fèves) et de l'agronomie (modification des caractéristiques des sols pour réduire la biodisponibilité du cadmium). Mais ce sont des travaux de longue haleine. Et il restera un fait : les cacaos du Nouveau Monde sont plus chargés en cadmium que ceux d'Afrique (typiquement 0,5 à 2 mg/kg de fèves contre moins de 0,1 mg à l'heure actuelle).

 

 

Le bio est souvent perçu comme meilleur pour la santé : existe-t-il néanmoins des risques sanitaires liés à certains produits bio, par exemple à cause de la nature des sols ou des contaminations naturelles ?

 

La perception – l'aura de qualité sanitaire ainsi que gustative dont l'idéologie et le marketing ont entouré les produits biologiques – est un premier problème.

 

Il faut ensuite distinguer le danger – une propriété intrinsèque d'une substance, d'un agent ou d'une situation – du risque. Celui-ci dépend bien sûr de l'existence d'un danger, mais aussi de l'exposition qui, elle, peut dépendre des mesures de prévention, d'atténuation ou de mitigation.

 

Illustrons cela par les œufs. Le danger peut venir ici d'un sol pollué. On est exposé à un risque lorsque les poules pondeuses sont élevées en plein air et ont accès à un sol pollué. Exigeant un accès à un parcours, la production biologique (marquée « 0 ») sera forcément plus exposée que la production en poulailler ... mais autant que la filière « plein air » (marquée « »). Mais il n'y aura aucun risque si le sol a été contrôlé et trouvé sain. Et comme on fait attention en production commerciale, il n'y a (pratiquement) pas de risque (c'est différent pour la production familiale).

 

Le problème est similaire pour les contaminations naturelles, notamment par les bactéries pathogènes, les mycotoxines et des substances toxiques comme les alcaloïdes tropaniques du datura.

 

L'interdiction faite par le cahier des charges de l'agriculture biologique des produits de synthèse, notamment les produits de protection des plantes (« pesticides »), augmente les risques. Mais les mesures de bonne gestion des productions et de contrôle les diminuent, sans toutefois les éliminer complètement.

 

On retrouve ici le problème de la perception : face au bénéfice allégué de l'absence de résidus de produits de protection des plantes de synthèse, on trouve des risques accrus d'une autre nature. Le bénéfice est illusoire car ces résidus sont soumis à des limites très protectrices de la santé ; les risques accrus sont contrôlés par une bonne gestion des filières.

 

Et, malgré tout, d'un côté comme de l'autre, il y a des accidents. Qu'on se rassure cependant : quel que soit le mode de production, la qualité de notre alimentation est excellente au niveau de la distribution. À la sortie du réfrigérateur, c'est peut-être une autre affaire...

 

 

Doit-on, pour des raisons de santé, limiter sa consommation de chocolat bio, ou existe-t-il des alternatives plus sûres selon l’origine des fèves (Afrique de l’Ouest, Asie) ?

 

On doit tout d'abord raison garder.

 

Il serait utile d'en savoir plus sur les chiffres avancés par l'UFC-Que Choisir. Sont-ils représentatifs de la réalité ou y a-t-il des valeurs que l'on peut qualifier d'aberrantes ?

 

Ensuite, la valeur toxicologique de référence – 2,5 µg/kg de poids corporel par semaine, soit environ 0,36 µg/kg/j selon l'OMS/FAO et l'EFSA – a été établie en appliquant une marge de sécurité, certes pas très importante (un facteur 5), à une dose de référence provoquant un effet rénal chez 5 % de la population, effet mesuré par des biomarqueurs de toxicité. En bref, cette valeur est protectrice.

 

Mais il y a d'autres sources de cadmium... En tenant compte aussi d'autres problèmes comme la densité calorique, il faut sans doute prêcher la modération, par rapport non pas au chocolat « bio » mais à l'origine Amérique Latine et Centrale (si tant est qu'elle puisse être déterminée).

 

Mais il n'y a tout de même pas matière à créer la panique. On est loin du « plaisir toxique » évoqué par le magazine en couverture. Il est difficile d'en dire plus, l'UFC-Que Choisir ayant choisi de communiquer sur des expositions alléguées plutôt que sur la teneur mesurée en cadmium des produits testés.

 

Et le chocolat, c'est si bon...

 

Je pense que dans une situation similaire, le Bundesinstitut für Risikobewertung (BfR) allemand – l'équivalent de notre ANSES – procéderait à des analyses, informerait le public de ses constatations et ferait des recommandations de bien meilleure qualité que celles de l'auteur de ces lignes.

 

L’ANSES a indiqué début juin à l’AFP qu’elle devrait publier « en fin d’année » ses travaux en cours visant à évaluer l’exposition humaine au cadmium, afin de définir « des leviers d’action pour réduire l’imprégnation de la population française ».

 

 

Comment concilier les atouts environnementaux et sociaux du bio avec cette problématique sanitaire des métaux lourds ?

 

Je ne suis pas convaincu des atouts environnementaux et sociaux du « bio ».

 

Le cahier des charges du « bio » est aussi un carcan qui limite voire empêche le développement et les progrès. Imaginez le désastre si les producteurs « bio » se voyaient privés d'une solution OGM ou issue des nouvelles techniques génétiques, ou encore d'une solution chimique à une nouvelle maladie grave...

 

Les prix payés peuvent paraître équitables – aux yeux des opérateurs de la filière « bio » et de ses clients – à l'instant présent, mais ils ne le sont pas réellement pour les producteurs s'ils ne leur offrent pas de réelles perspectives d'avenir.

 

Je suis en revanche convaincu que les filières conventionnelles peuvent faire beaucoup mieux. Elles s'y emploient du reste. Mais c'est un autre sujet.

 

Notons cependant, pour conclure, que s'il y a un problème sanitaire de métaux lourds dans la filière du chocolat « bio », la solution se trouve aussi... dans cette filière.

 

D'une part, selon les données de l'UFC-Que Choisir, la teneur en cadmium des tablettes « bio » (mesurée en pourcentage de dose de référence) varie du simple au double. D'autre part, rien n'interdit de développer une filière « bio » en Afrique – où le problème du cadmium ne se pose pratiquement pas – et de mélanger les provenances.

 

En tout cas, le tapage autour du cadmium serait susceptible... de ruiner la production cacaoyère d'Amérique Latine et Centrale et, partant, la filière « bio » actuelle.

 

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A
« la culture du cacao particip[e] de façon non négligeable à la destruction des forêts tropicales ». C'est une véritable blague. La plante du cacao doit vivre à l’abri d'une foret donc c'est exactement le contraire. Les blagues des ONG e des média se multiplient: Greenpeace vient de publier que si disparaissent les abeilles on n'aura plus de tomate en oubliant que la domestication e la sélection faite en Europe a rendu la tomate presque totalement autogame.
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