Proposition de loi Duplomb-Ménonville : l'AFP et la déontologie bafouée
La liberté de la presse est un des principes fondamentaux de nos démocraties. Pas touche ! L'Agence France Presse est indépendante et dispose depuis 1957 d’un statut d’organisme autonome de droit privé sui generis. Elle reçoit un soutien public au titre de ses missions d’intérêt général. Mais est-elle à la hauteur de ces missions ?
Répétons-le : c'est fou comme la proposition de loi dite « Duplomb-Ménouville » rend fou !
Dans un (presque) ultime assaut contre cette proposition, une série d'acteurs de l'opposition irréductible ont organisé des manifestations ou des événements.
Presque ultime assaut, parce que la proposition de loi qui sortira (sans doute) de la Commission Mixte Paritaire – qui se réunit à l'heure où j'écris – devra être adoptée par l'Assemblée Nationale et le Sénat ; cela permettra à ces acteurs de gesticuler encore et d'obtenir du temps de cerveau, surtout reptilien et donc d'indignation, par médias complaisants ou complices interposés.
L'Agence France Presse (AFP) a cru bon de produire une dépêche qui a, bien sûr, été reprise par les médias complaisants, voire complices, ou tout simplement frénétiquement à la recherche de matériau pour alimenter leur page web.
Prenons-le de notre organe de (dés)information favori, le Monde : « Des milliers d’opposants à la loi Duplomb mobilisés ce week-end en France ».
En chapô (c'est le texte du Monde, pas de l'AFP) :
« Selon Collectif Nourrir, à l’origine de la mobilisation, environ un millier de personnes se sont réunies à Paris et 10 000 sur l’ensemble du week-end dans 60 villes, à la veille de l’examen du texte en commission mixte paritaire. »
Mille personnes, selon les organisateurs ? Admettons...
Il n'y a pas eu de véritable plan large dans cette séquence. Notez aussi le texte du post de BFMTV. Les opposants acharnés n'ont pas besoin de plus de données épidémiologiques... (Source et source)
Cela laisse 9.000 pour 60 villes, soit en moyenne 150 personnes par ville... Un événement d'importance nationale, digne d'une dépêche de l'AFP, on vous dit... À supposer aussi qu'il y ait eu des événements dans 60 villes (c'est plus de 110 pour Générations Futures).
(Source)
La dépêche de l'AFP déroule quelques déclarations enflammées sur – ou plutôt contre – cette proposition de loi. À commencer par :
« "C’est un coup de force antidémocratique pour faire passer cette loi qui est une régression radicale", aussi bien pour l’environnement que pour la santé publique, ainsi qu’une "négation des faits scientifiques sur la dangerosité des pesticides", a déclaré le collectif Scientifiques en rébellion, présent dimanche sur l’esplanade des Invalides, à Paris. »
Admettons – fort volontiers – que le pisse-copie soit ignare en matière de « faits scientifiques », et même qu'il ignore que les « faits scientifiques » ont été à la base de la décision des autorités européennes de ré-homologuer l'acétamipride jusqu'en 2033 ; en revanche, il a sans doute suivi un cursus qui a dû le familiariser avec les règles de la Constitution de la Cinquième République. Sciences Po, par exemple, suivi par une école de journalisme.
Depuis le temps que c'est la capharnaüm à l'Assemblée Nationale, il a aussi dû capter l'expression « Commission Mixte Paritaire »... d'ailleurs, il l'évoqie dans son premier paragraphe :
« Agriculteurs, ONG, scientifiques… Des milliers d’opposants à la proposition de loi agricole dite Duplomb se sont rassemblés partout en France, samedi et dimanche 29 juin, pour demander l’abandon de ce texte qui doit être examiné lundi en commission mixte paritaire. La commission, qui réunira 14 sénateurs et députés, aura la charge de trouver un compromis, après un rejet tactique pour contourner un "mur d’amendements" des écologistes et des "insoumis". »
Pourquoi, alors, ouvre-t-il sa litanie de récriminations avec une déclaration qu'il devrait savoir, ou sait, manifestement fausse et outrancière – et qui, du reste, n'est pas à l'honneur de Scientifiques en Rébellion ?
Cela pose un problème de déontologie.
Sans surprise – car, à vrai dire, nous sommes devenus blasés – il n'y a pas le moindre élément de mise en perspective ou d'équilibrage de l'« information ».
Cela pose aussi un problème de déontologie.
(Source)
Le problème de déontologie est d'autant plus important que l'AFP n'est pas la gazette de Trifouillis-les-Oies mais le producteur de textes appelés à se retrouver dans de nombreux médias.
Selon le ministère de la Culture :
« L'AFP est une agence de presse indépendante, créée initialement sous forme d’établissement public mais disposant depuis 1957 d’un statut d’organisme autonome de droit privé sui generis. Héritière de l’agence Havas, elle est aujourd’hui l’une des trois grandes agences de presse mondiales d’information, la seule européenne.
[...]
Aux termes de la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957 portant statut de l’Agence France Presse, cette mission consiste pour l’agence à rechercher, tant en France qu'à l'étranger, "les éléments d'une information complète et objective", et :
-
à ne pas tenir compte "d'influences ou de considérations de nature à compromettre l'exactitude ou l'objectivité de l'information", ni "passer sous le contrôle de droit ou de fait d'un groupement idéologique, politique ou économique" ;
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à "développer son action et parfaire son organisation en vue de donner aux usagers français et étrangers, de façon régulière et sans interruption, une information exacte, impartiale et digne de confiance" ;
-
[...] »
Il y a « un conseil supérieur chargé de garantir la pérennité de l'Agence France-Presse et de veiller au respect des obligations énoncées à l'article 2 ». Il serait temps que ce conseil – ainsi que le ministère de tutelle – se saisisse de cette question. La dépêche évoquée ici n'est qu'un exemple parmi de nombreux autres de dérive politicienne et partisane et de véritable désinformation.
Une manifestation qui semble avoir été bien suivie. Un membre de la FDSEA a pu s'exprimer, dans un calme qui mérite d'être souligné. (Source)
France 24 a interviewé un personnage dont nous tairons le nom ici. Très franchement, il y a des limites à ne pas dépasser... Et c'est encore une fois le service public.
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