Point de vue : agriculture biologique ou intensive ? Le Brésil recadre le débat sur l'avenir le plus prometteur de l'agriculture
Jon Entine, Genetic Literacy Project*
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Crédit : Wikipedia Commons
Nous sommes en 2050 et la population mondiale vient de dépasser les 9 milliards d'habitants. La croissance économique a permis à des centaines de millions de personnes de sortir de la pauvreté. Mais cette tendance encourageante a un revers : la population mondiale a augmenté de 70 %, entraînant un doublement de la demande d'aliments plus denses en calories et plus nutritifs, alors qu'il n'y a plus de grandes parcelles de terre cultivables. La crise est exacerbée par l'instabilité climatique, qui perturbe notre fragile écosystème. Nous nous dirigeons à toute allure vers un dépôt de bilan.
Ce sombre scénario n'est pas du tout acquis, mais il ne s'agit pas d'un simple discours alarmiste. Il n'y a pas de solution facile à la crise alimentaire et à la crise du développement durable qui s'annoncent. Aujourd'hui déjà, les régions exportatrices de denrées alimentaires et riches sur le plan agricole disposent de peu de terres inutilisées à mettre en culture, et la Chine, l'Inde et la Russie ne sont pas en mesure d'accroître leurs exportations de manière significative.
L'Afrique subsaharienne et l'Asie du Sud comptent parmi les rares régions disposant de vastes parcelles de terre exploitables, mais ce sont des déserts alimentaires à l'échelle du continent. Sans une augmentation spectaculaire de la production et des rendements, nous serons confrontés à un point de basculement dans quelques années plutôt que dans quelques décennies. Les régions les plus pauvres du monde ont désespérément besoin d'un modèle agricole soutenable sur le plan environnemental.
Grâce à l'innovation génétique et à l'agriculture de précision sur leurs vastes et fertiles terres agricoles, les États-Unis sont devenus le producteur de denrées alimentaires le plus efficace au monde. Mais leurs pratiques agricoles ne sont pas faciles à reproduire dans les régions du monde où l'eau est rare, où la désertification progresse, où les essaims d'insectes sont fréquents et où les moussons sont de plus en plus violentes.
Une seule région offre un modèle qui pourrait être exporté vers les pays sous-développés. Dans les années 1950 et 1960, obligée d'importer des denrées alimentaires et avec 350 millions d'hectares (3,5 millions de kilomètres carrés) de terres non cultivables et parsemées de rochers dans les savanes tropicales du Cerrado et du Gran Chaco (94 % de la région), l'Amérique du Sud semblait à l'époque aussi désespérée sur le plan agricole que la majeure partie de l'Afrique et de l'Asie l'est aujourd'hui. Soixante ans plus tard, le Paraguay, la Bolivie, l'Argentine et la Colombie sont d'importants exportateurs de denrées alimentaires, et le Brésil est devenu une superpuissance agricole qui nourrit environ 1,2 milliard de personnes dans le monde.
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Culture du café dans le Cerrado brésilien
Ce que certains appellent une renaissance agricole repose sur ce que l'on appelle « l'agriculture intensive », c'est-à-dire l'utilisation de cultures génétiquement modifiées (GM) et de produits chimiques de synthèse pour produire plus de nourriture sur moins de terres. « Je pense que nous disposons de nouveaux outils génétiques et technologiques, de l'agriculture de précision, de l'intelligence artificielle, pour faire face aux menaces que représentent les parasites, la dégradation des sols et les conditions météorologiques, tout en continuant à produire des quantités importantes de nourriture sans nuire à l'environnement », a déclaré M. Lloyd Day, directeur adjoint de l'Institut Interaméricain de Coopération pour l'Agriculture (IICA), dont le siège se trouve au Costa Rica.
Le mouvement pour la justice alimentaire n'est pas aussi optimiste. « Le modèle agricole sud-américain piloté par les entreprises est en panne », affirme La Via Campesina, un mouvement social mondial représentant les petits agriculteurs. « Il privilégie les profits au détriment des personnes et de la planète, ce qui entraîne la dégradation des sols, la pénurie d'eau et la perte de biodiversité. » Ce mouvement milite en faveur d'une transition mondiale vers une stratégie axée sur l'agriculture biologique.
« Le discours selon lequel notre système alimentaire est "cassé" n'a aucun sens », a déclaré M. Day. « Nous nous sommes fait une religion », a ajouté M. Manuel Otero, directeur de l'IICA, avec qui je me suis entretenu lors d'une conférence sur l'agriculture durable à Buenos Aires. « Nos agriculteurs ont changé leur façon de travailler, mais il y a un décalage entre l'image que l'on se fait de nous et notre nouvelle réalité. »
Ressource pour ses 34 pays membres, du Canada à l'Argentine, l'IICA est souvent crédité d'avoir guidé la renaissance de l'agriculture, mais de nombreux écologistes affirment qu'il est trop proche de l'agro-industrie et trop axé sur l'agriculture d'entreprise. MM. Otero et Day reconnaissent que les critiques ont piqué, mais ils estiment que leurs pratiques évoluent.
« Les pesticides et les engrais, lorsqu'ils sont utilisés de manière appropriée – et nous en utilisons moins par hectare chaque année – ne devraient pas être des gros mots », a déclaré M. Lloyd. « Mais cela ne veut pas dire que nous n'écoutons pas les critiques. Au cours de la dernière décennie, un changement radical s'est opéré. Nous avons pris conscience de notre impact sur l'environnement en améliorant la santé des sols, par exemple. »
Le Brésil est désormais le point zéro du débat mondial qui s'intensifie sur l'avenir de l'alimentation et de l'agriculture. Le défi : comment ouvrir les terres marginales à une agriculture plus productive et augmenter les rendements sur les terres existantes sans pour autant submerger notre écosystème ?
Deux modèles agricoles qui pourraient se compléter et apporter des réponses – mais qui sont largement considérés comme des concurrents – dominent le débat : l'agroécologie (qui est une nouvelle appellation de l'agriculture biologique) et l'agriculture conventionnelle, qui adopte agressivement le génie génétique. Toutes deux présentent des avantages, des limites et des compromis environnementaux. Ces visions sont-elles diamétralement opposées, excluant toute possibilité de coopération ?
On estime que 1,5 à 2 % des terres agricoles mondiales sont cultivées selon les principes de l'agriculture biologique. Son profil environnemental est mitigé. L'agriculture biologique produit généralement moins d'émissions que l'agriculture conventionnelle, car elle évite les pesticides et les engrais de synthèse et pratique la rotation des cultures et le compostage. Mais sa dépendance à l'égard du labour, qui entraîne l'émission de gaz à effet de serre (GES), annule en partie ou en totalité ses avantages sur le plan climatique. De nombreux experts estiment qu'elle n'est pas extensible et qu'elle pourrait finir par menacer la biodiversité mondiale.
L'agriculture conventionnelle peut produire beaucoup plus de nourriture par hectare – elle ménage les terres. Mais les défenseurs de l'agriculture biologique affirment qu'elle est écologiquement plus perturbante en raison des pratiques mêmes que ses partisans considèrent comme sa vertu : le recours aux cultures génétiquement modifiées. Les militants l'appellent par dérision « Big Ag ».
M. Jayson Lusk, doyen du Département d'Agriculture de l'État d'Oklahoma, soutient que le recours aux cultures génétiquement modifiées est un avantage net, car il permet souvent aux agriculteurs de renoncer au labour, ce qui réduit considérablement les émissions de gaz à effet de serre. Les méga-fermes sont « parmi les producteurs les plus progressistes et les plus avisés de la planète en matière de technologie », affirme-t-il. « Leur technologie les a rendues beaucoup plus respectueuses de l'environnement qu'à n'importe quel moment de l'histoire. Et une nouvelle vague d'innovations les rend encore plus durables ».
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Les principaux producteurs de cultures de base – les États-Unis, le Canada et l'Australie, par exemple, et de plus en plus la Chine – ont adopté le modèle des grandes exploitations et de la biotechnologie. L'Europe a jusqu'à présent rejeté cette voie et prévoit d'augmenter la production biologique.
Le Brésil et d'autres pays d'Amérique du Sud tracent leur propre voie, qui pourrait servir de modèle à l'Afrique et à l'Asie, continents au relief similaire. Ils se sont publiquement engagés à trouver un équilibre entre la nécessité de gérer durablement l'environnement et l'augmentation de la production sur leurs terres cultivables limitées.
Les diverses zones climatiques de la région permettent une production très variée tout au long de l'année. La Colombie, le Paraguay et l'Uruguay cultivent le soja, le maïs, le cotonnier et produisent de la viande bovine. Les pampas de l'Uruguay et de l'Argentine sont des centres mondiaux pour la culture du soja et du blé. La région la plus productive du continent est le vaste Cerrado, terre légendaire des gauchos, la savane qui jouxte la forêt amazonienne et qui était en grande partie inexploitable jusqu'à ce que la révolution verte brésilienne prenne son essor dans les années 1970.
Dépendant des importations alimentaires il y a cinquante ans, le Brésil est devenu le plus grand exportateur de soja, de sucre et de café, et produit du cacao, des fruits, des légumes et de la viande de bœuf. Les exportations de viande bovine ont été multipliées par dix en dix ans. Ces résultats ont été obtenus sur 6 % du Cerrado. Et l'agriculture ne reçoit qu'un minimum de subventions gouvernementales, soit environ 4 % du revenu agricole. (C'est la moitié de ce qu'accordent les Etats-Unis ; l'Union Européenne subventionne environ 30 % des revenus agricoles, soit un tiers de ses initiatives écologiques).
L'essor du Brésil s'accompagne d'un coût de réputation : l'agriculture peut poser des problèmes écologiques. L'élevage, l'utilisation d'engrais et la déforestation sont à l'origine de 19 % des émissions de gaz à effet de serre. Ils contribuent également à la déforestation, à la perte de biodiversité et à la pollution de l'eau, et sont accusés par les activistes d'exacerber les inégalités et le changement climatique. Les organisations non gouvernementales (ONG) de défense de l'environnement, de Greenpeace aux Amis de la Terre, affirment que le système alimentaire mondial fondé sur l'agriculture conventionnelle à grande échelle est irrémédiablement « cassé », spolié par les multinationales. Elles militent en faveur d'un modèle entièrement biologique.
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À l'heure actuelle, seuls 2 % des terres agricoles du monde sont cultivées selon le mode biologique. Le scepticisme est largement répandu quant à la possibilité d'étendre ce type d'agriculture et d'économiser les terres. Les militants, dont le financement est coordonné par l'Agroecology Fund, qui subventionne Regeneration International, Navdanya de la philosophe écologiste indienne Vandana Shiva, et d'autres organisations militantes, répondent par l'affirmative. Le reste du monde, y compris les principales organisations agricoles des Nations Unies, dit « non ».
Même l'Institut de Recherche sur l'Agriculture Biologique reconnaît que c'est impossible, à moins que tout le monde ne se convertisse au végétarisme et que nous ne fermions 100 % des terres utilisées pour la production animale. Il estime que la conversion entraînerait une augmentation de 16 à 33 % de l'utilisation des terres et une augmentation correspondante de 8 à 15 % de la déforestation à l'échelle mondiale. Il n'y a pas de repas gratuits.
Les ONG qui soutiennent l'agriculture biologique ont un public réceptif en Europe, qui rejette largement les cultures génétiquement modifiées et interdit l'édition de gènes agricoles. La stratégie « De la ferme à la table » de l'Union Européenne, qui n'a pas encore été adoptée et qui est au cœur de l'initiative européenne « Green Deal », prévoit d'augmenter la part de marché du bio de 9 % actuellement à 25 % d'ici à la fin de la décennie. Même ses plus fervents partisans affirment que c'est impossible.
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Mais la question la plus importante est de savoir si son modèle anti-biotechnologie est même souhaitable. L'Europe produit des légumes verts, du blé et des spécialités de boutiques, ainsi que des produits de grande valeur comme le vin et le fromage, mais sa balance commerciale est déficitaire en ce qui concerne les denrées alimentaires de base. Elle importe des quantités massives de céréales et de légumeuses – graines oléagineuses, colza et soja – qui servent à nourrir les animaux pour produire de la viande et des produits laitiers.
Et malgré ses intentions écologiques, l'Europe est inondée de produits chimiques pour les cultures. Contrairement à la croyance populaire, tous les pays européens utilisent plus de pesticides par hectare de terre cultivée que les États-Unis ; les Pays-Bas et la Belgique en utilisent environ trois fois plus.
Selon le magazine Nature et d'autres analyses, si le programme « De la ferme à la table » est mis en œuvre, l'Europe devra importer encore plus de produits agricoles, en particulier d'Amérique du Sud, ce qui mettra en péril les écosystèmes de ce continent. Le Green Deal proposé « délocalise les dommages environnementaux vers d'autres Nations », écrit le magazine. Et si l'agriculture biologique peut contribuer à réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre – les analyses du cycle de vie sont mitigées à ce sujet –, les avantages environnementaux marginaux sont compensés par des rendements nettement inférieurs en moyenne : un déficit de 19 % à 40 %.
Les défenseurs de l'agriculture conventionnelle sont, à juste titre, sur la défensive, et ils espèrent pouvoir faire entendre une nouvelle voix. Depuis 1960, les rendements mondiaux ont augmenté de 390 %, ce qui est remarquable, alors que l'utilisation des terres n'a augmenté que de 10 %. Il y a soixante-cinq ans, un ménage typique des pays développés consacrait jusqu'à un quart de ses revenus à l'alimentation. Aujourd'hui, aux États-Unis et dans d'autres pays, ce pourcentage est de 6 %.
Les plus fortes augmentations de rendement ont été enregistrées aux États-Unis et au Brésil. Depuis l'avènement des cultures génétiquement modifiées au milieu des années 1990, le Brésil a réussi à augmenter ses rendements tout en réduisant la toxicité des engrais et des pesticides (Brésil : 40 % ; États-Unis : 35 %).
Que se passerait-il si les pays émergents d'Afrique subsaharienne et d'Asie du Sud, qui ont besoin de nourriture, adoptaient des techniques biologiques et agroécologiques ? Cette expérience a déjà eu lieu : le Sri Lanka. En 2021, conseillé par Vandana Shiva, le Sri Lanka a brusquement interdit l'importation d'engrais chimiques et réitéré son interdiction des cultures génétiquement modifiées. Cette décision a été largement saluée par les ONG internationales, qui considéraient ces changements de politique comme un modèle à suivre pour les pays plus avancés.
En deux ans, l'utilisation d'engrais et de produits chimiques de désherbage a chuté, mais la production alimentaire s'est également effondrée. La production de riz a chuté de 40 %. Les exportations de sa principale culture d'exportation, le thé, ont chuté. Foreign Policy a titré que « l'agriculture biologique a connu une catastrophe [...] après n'avoir produit que de la misère ». Le pays s'est enfoncé dans la spirale de l'effondrement économique et des émeutes de la faim.
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La leçon à tirer : si l'agriculture biologique peut être le choix approprié lorsque le rendement et le prix sont des considérations secondaires, elle ne peut pas être étendue à l'échelle mondiale sans entraîner des compromis dévastateurs.
Situé sur les plateaux brésiliens, le Cerrado couvre environ 21 % du pays, soit une superficie équivalente à celle de l'Allemagne, de la France, de l'Angleterre, de l'Italie et de l'Espagne réunies. Il s'agit du deuxième plus grand biome d'Amérique du Sud, après l'Amazonie. Avec son histoire de gaucho, il a longtemps eu une allure romantique pour les Brésiliens. Il était autrefois considéré comme un arrière-pays agricole. Le sol était acide et pauvre en nutriments ; le terrain vallonné était parsemé d'eucalyptus, de pins et d'autres arbustes indigènes qui, de l'avis de beaucoup, n'en faisaient qu'un lieu de pâturage pour le bétail. La vaste savane tropicale semblait être un endroit peu propice à la transformation de l'agriculture brésilienne.
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Cette transformation a été conçue par l'Embrapa, abréviation de Empresa Brasileira de Pesquisa Agropecuária, la société brésilienne de recherche agricole, un laboratoire d'expérimentation jusqu'à ces dernières années. Elle a sélectionné de nouvelles semences et du bétail et s'est consacrée à l'apprivoisement vert du terrain hostile du Cerrado. La variabilité croissante de la saison des pluies et l'occurrence fréquente de sécheresses et d'inondations – un exemple emblématique de l'intensification du climat – semblaient constituer des défis insurmontables. Seule une infime partie des terres brésiliennes, environ un huitième, était encore propice à l'agriculture. « Personne ne pensait que ces sols seraient un jour productifs », a déclaré en 1985 Norman Borlaug, connu comme le père de la Révolution Verte.
L'Embrapa a revitalisé le sol en y déversant du calcaire pulvérisé pour en réduire l'acidité. Il a eu recours à des croisements pour transformer le soja, une culture capricieuse des climats tempérés, en une culture plus tolérante aux sols acides et capable de produire deux récoltes par an. Ils ont planté un grand nombre d'eucalyptus pour apporter des nutriments au sol et compenser les effets du méthane, un gaz à effet de serre émis par les ruminants. Les pâturages dégradés se sont transformés en riches terres agricoles.
Au Brésil, les agriculteurs ont commencé à pratiquer l'agriculture sans labourer le sol, une pratique inaugurée aux États-Unis dix ans plus tôt. L'agriculture sans labour s'est également implantée au Paraguay, en Uruguay, en Colombie et en Argentine, modifiant les calculs de durabilité.
Au fil des siècles, les agriculteurs biologiques et conventionnels ont été convaincus que le labour était le seul moyen de lutter contre les mauvaises herbes. Or, le travail du sol est la cause première de la dégradation des terres agricoles. Le sol s'érode, ce qui entraîne des ruissellements de produits chimiques. Alors qu'un sol sain agit comme un puits de carbone, un sol labouré perd du carbone dans l'atmosphère.
L'utilisation de l'agriculture sans labour ou semis direct a pris son essor avec l'introduction des cultures génétiquement modifiées au milieu des années 1990. Les scientifiques ont modifié les variétés pour qu'elles expriment une protéine naturelle de Bacillus thuringiensis (BT), une bactérie présente dans le sol qui est toxique pour certains insectes mangeurs de plantes, que les agriculteurs biologiques pulvérisaient sur les cultures depuis un siècle. En incorporant le BT dans les semences, il n'est pratiquement plus nécessaire de pulvériser des insecticides parfois agressifs.
Mais ce qui a vraiment changé la donne, c'est l'adoption du soja et du maïs tolérants à des herbicides (Ht). Cela a été rendu possible par l'adoption d'une nouvelle génération d'herbicides efficaces mais comparativement doux, dont le glyphosate, développé à l'origine comme agent adoucissant de l'eau, en 1970. Les chercheurs ont découvert que le glyphosate tuait les mauvaises herbes sans endommager les cultures génétiquement modifiées, ce qui a facilité la révolution du semis direct.
Le glyphosate ne présentait que peu d'inconvénients pour l'environnement par rapport aux générations précédentes d'herbicides plus agressifs. Il se dégrade facilement dans le sol et l'eau et sa toxicité est l'une des plus faibles de tous les pesticides disponibles. Il a été approuvé par l'Agence Américaine de Protection de l'Environnement (EPA) en 1976 pour une utilisation dans les systèmes de semis direct et de labour conventionnel. Les entreprises ont commencé à modifier génétiquement le soja, le maïs, la luzerne et le cotonnier pour les associer à un mélange de glyphosate connu sous le nom de Roundup.
Cela a entraîné une augmentation exponentielle de l'agriculture sans labour aux États-Unis, mais encore plus en Amérique du Sud. En 1985, l'Amérique du Sud était l'épicentre mondial de l'adoption du semis direct. Selon le Brésil, le semis direct a permis de réduire les pertes dues à l'érosion des sols de 97 %, d'accroître la productivité des exploitations agricoles et d'augmenter les revenus de 57 %.
« Aujourd'hui, c'est nous qui venons apprendre des Brésiliens », a déclaré Mme Shirley Phillips de l'Université du Kentucky.
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Source : USDA
« L'agriculture est le seul secteur qui peut réellement capturer le carbone et lutter directement contre la pollution par le carbone », m'a dit M. Jorge Wertheim, conseiller du président de l'IICA. « Combien de pays en développement se concentrent sur le semis direct comme nous le faisons ? En Amérique du Sud, nous sommes en train de créer un nouveau discours sur ce qu'est et ce que peut être l'agriculture. Certes, nous devons nous améliorer et nous sommes beaucoup plus attentifs à l'impact de l'agriculture sur l'environnement, mais nous allons dans la bonne direction. »
L'adoption des cultures génétiquement modifiées au milieu des années 1990 a eu un effet transformateur. En 2010, le secteur agricole brésilien avait connu une « expansion miraculeuse », pour reprendre les termes de The Economist, alors qu'il n'utilisait que 15 % de ses terres arables potentielles, soit bien moins que la combinaison des deux pays qui le suivent de près, les États-Unis et la Russie.
Le succès de l'association des semences génétiquement modifiées et du glyphosate a irrité les activistes qui ont associé l'un des herbicides les plus doux de l'agriculture à des allégations discréditées selon lesquelles il provoquerait le cancer. Le glyphosate est devenu le Dark Vador de l'agriculture biologique.
Leur colère est déplacée. Le glyphosate est plus doux que 94 % des herbicides actuellement sur le marché. Vingt agences indépendantes du monde entier, s'appuyant sur plus de 6.000 études, ont estimé que son utilisation était sans danger. L'Agence Américaine pour la Protection de l'Environnement le classe comme « pratiquement non toxique ». L'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments et l'Agence Européenne des Produits Chimiques, qui ont récemment achevé une étude de 17.000 pages, ont conclu que le glyphosate n'est ni cancérigène, ni mutagène, et qu'il ne perturbe pas la reproduction, et ont réautorisé son utilisation pour une période de 10 ans. Santé Canada affirme qu'« aucune autorité de réglementation des pesticides dans le monde ne considère actuellement le glyphosate comme un risque de cancer pour les humains aux niveaux auxquels ils sont actuellement exposés ».
Cliquez ici pour télécharger une version .pdf de cette infographie avec des liens vers les études.
Malgré les critiques, alors que l'utilisation du glyphosate a explosé dans les exploitations agricoles du monde entier, les niveaux de toxicité par hectare de produits chimiques agricoles ont fortement baissé à l'échelle mondiale. Alors que les agriculteurs utilisaient 10 livres d'herbicides hautement toxiques par acre au début des années 1960, ceux qui pratiquent le semis direct n'en utilisent plus que quelques grammes, ce qui a permis de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre dans les exploitations agricoles du monde entier.
L'agriculture biologique et agroécologique présente des inconvénients majeurs en termes d'environnement et de rendement par rapport à l'agriculture utilisant des cultures génétiquement modifiées, le semis direct et le glyphosate. Cette inefficacité de la production n'a pas posé de problème dans les pays riches comme les États-Unis ou l'Europe, où presque tout le monde se couche chaque soir avec le ventre plein. Mais dans les pays en développement, l'augmentation des rendements tout en réduisant les émissions de carbone est le ticket d'or de la durabilité.
Contrairement à l'Afrique, dont les régions cultivables sont largement dispersées sur le continent, la savane amazonienne est un vaste écosystème. Les écologistes qui évaluent les coûts et les avantages de l'expansion récente de l'agriculture sont partagés quant à ses impacts. La déforestation et le défrichement de la végétation indigène sont préoccupants. L'utilisation accrue d'engrais, de pesticides et d'autres produits chimiques agricoles a permis d'augmenter les rendements, mais à un coût environnemental. Les émissions de gaz à effet de serre résultant de l'utilisation des terres, de l'agriculture et de la déforestation représentent aujourd'hui 80 % des émissions totales dans la région amazonienne.
La forêt tropicale est au centre de batailles politiques depuis des années au Brésil. De nombreuses restrictions environnementales sur la déforestation mises en place après l'élection de M. Luiz Inácio Lula da Silva en 2003 ont été supprimées à partir de 2016 sous les présidents de droite Michael Temer et Jair Bolsonaro. M. Lula a reconquis la présidence l'année dernière et s'est engagé à parvenir à une déforestation zéro d'ici 2030. Mais cet effort est au point mort car les conservateurs contrôlent toujours le Congrès. La déforestation a atteint 11.000 kilomètres carrés de forêt primaire en 2023, soit une superficie équivalente à celle de la Belgique. Cela ne représente qu'une fraction des 6,7 milliards de kilomètres carrés de la forêt tropicale, mais les activistes craignent que le pire soit à venir.
« Nous ne sommes pas dans la bonne direction », m'a dit M. Guillermo Schmittmer, militant écologiste argentin. « Il s'agit d'une révolution agro-industrielle qui n'est pas destinée à la population. Elle a pris son essor après l'introduction des OGM (cultures génétiquement modifiées) en 1996. Nous avons commencé à perdre de petites exploitations, et cela continue. » Mais les statistiques ne sont pas de cet avis et suggèrent que le Brésil redresse lentement la barre en matière d'environnement. La perte de kilomètres carrés en 2023 a diminué de 23 % par rapport à l'année précédente. La Bolivie et la Colombie freinent également la déforestation.
À la fin de l'année dernière, sous l'impulsion de M. Gustavo Petro, le président colombien de gauche, huit pays amazoniens ont signé une déclaration visant à mettre un terme à la déforestation et à empêcher la forêt tropicale d'atteindre un « point de basculement ». Le World Resources Institute estime que l'intensification du passage au semis direct et à d'autres pratiques durables pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre de 94 % et les émissions du pays de près de 80 %, ce qui mettrait le Brésil sur la bonne voie pour atteindre les objectifs de la COP21.
« L'Accord de Paris de 2015 a mis l'accent sur le changement climatique à l'échelle mondiale », a ajouté M. Manuel Otero, de l'IICA. « L'agriculture est le seul secteur de l'économie qui peut contribuer de manière significative à la réduction des gaz carbonés. »
M. Otero marque une pause. « Lorsque j'étais enfant en Argentine, dans les années 1960, l'agriculture présentait un tableau désolant. L'érosion. Des sols épouvantables. La pauvreté. Aujourd'hui, tout repose sur le semis direct. 95 % des pampas d'Argentine, du Brésil et du Paraguay sont cultivées en semis direct. Nous avons récupéré la majeure partie du paysage. L'intensité de l'utilisation des produits chimiques en Amérique du Sud est déjà inférieure à celle d'autres régions du monde, mais elle diminue chaque année. Notre objectif est le zéro net.
La part des exportations agricoles du Brésil est aujourd'hui plusieurs fois supérieure à celle du continent africain, et ce pour une fraction de sa superficie. Compte tenu des similitudes géographiques et économiques, des leçons pourraient être tirées pour l'Afrique subsaharienne.
Étant donné que l'Afrique possède une grande partie des dernières terres agricoles inutilisées dans le monde, l'expérience du Brésil, qui a transformé ses grandes régions de savane de terres stériles (d'un point de vue agricole) en une région qui a atteint des rendements et des niveaux de production totaux de classe mondiale, est particulièrement pertinente.
La clé du partenariat brésilien pour freiner la déforestation a été son partenariat avec l'industrie privée. L'influence de l'Empraba s'étant estompée ces dernières années, les entreprises agroalimentaires ont endossé le rôle d'innovateurs. Cela irrite les écologistes, mais réjouit les scientifiques.
Le Brésil est aujourd'hui le premier pays au monde pour ce que l'on appelle la « productivité totale des facteurs verts », qui tient compte à la fois de l'impact sur l'environnement et de la production. L'Afrique subsaharienne est loin derrière. Cette modélisation pourrait s'avérer vaine si le monde interprète mal les leçons du boom agricole brésilien. Certaines agences de développement des Nations Unies et le puissant lobby vert sont convaincus que l'adoption quasi-totale du modèle biologique est la seule voie à suivre.
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Source : USDA
La Fondation Rosa Luxemburg (RLF), un fervent défenseur de l'agroécologie, maintient que le modèle basé sur les OGM serait un désastre pour l'Afrique. « L'agroécologie ne se limite pas à l'agriculture et à la production d'aliments ; elle associe la justice sociale, la science écologique et les connaissances indigènes », affirme la RLF. Il s'agit d'une rupture avec « les monocultures et la dépendance à l'égard d'intrants externes tels que les engrais, les semences hybrides et les pesticides. »
C'est une affirmation étrange. Les agriculteurs utilisent des semences hybrides depuis qu'elles ont été mises au point dans les années 1920, parce qu'elles sont plus résistantes aux parasites et maladies et offrent de meilleurs rendements. La croyance en une réalité alternative n'est pas rare parmi les opposants à l'agriculture conventionnelle. La phytopathologiste et virologue kenyane Florence Wambugu a déclaré que les Africains connaissent les limites de l'agriculture biologique, car ils l'utilisent depuis 10.000 ans.
Certains militants rejettent même l'idée de développer l'agriculture biologique. « Il est faux de croire que les pays développés ont besoin de plus grandes exploitations pour nourrir le monde, qu'elles soient biologiques ou conventionnelles », m'a dit l'écologiste Guillermo Schmittmer. « Non, nous devons nous concentrer sur les combustibles fossiles, la biodiversité et les déplacements. Je ne crois à rien qui soit à grande échelle », a-t-il ajouté, se faisant l'écho de critiques radicaux de l'agriculture conventionnelle comme Extinction Rebellion.
Comment atteindre ces objectifs ? « Je ne connais pas les solutions. Je suis bien plus doué pour mettre en évidence les problèmes », a déclaré M. Schmittmer.
M. Kip Tom, ancien ambassadeur auprès des Nations Unies et candidat au poste de ministre de l'Agriculture si Donald Trump remporte l'élection, m'a dit : « Beaucoup de critiques ne sont pas directement engagés dans des activités agricoles. Ils sont naïfs quant à l'échelle dont nous avons besoin pour relever les défis alimentaires. Les petites exploitations ne peuvent à elles seules répondre à la demande. Le mouvement pour la justice alimentaire a des vertus, mais au fond, il est hostile à l'innovation technologique. »
L'échelle de production est importante, mais les systèmes agricoles, quels qu'ils soient, doivent utiliser moins de terres. « L'expansion des terres agricoles est l'un des principaux moteurs de la perte de biodiversité et des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial », note le Breakthrough Institute, un groupe de réflexion axé sur le développement durable. Ce qu'il faut, écrit l'écologiste Linus Blomqvist, c'est une « intensification durable » – proche du modèle auquel aspirent le Brésil et le reste de l'Amérique du Sud – qui, selon lui, permettrait de mieux épargner les terres.
Mmes Claire Kremen et Adina Merenlender, écologistes à Berkeley, ne sont pas d'accord, car elles estiment qu'il est faux de croire que ces systèmes de production simplifiés et intensifiés permettront d'épargner davantage de terres pour la conservation de la nature.
Pourquoi les initiatives en faveur de la durabilité doivent-elles suivre une seule voie ? Aucune des deux parties ne veut utiliser de pesticides ou d'engrais, qu'ils soient de synthèse ou naturels. Selon l'Organisation des Nations unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO), 40 % de la production agricole mondiale est perdue chaque année en raison d'attaques de ravageurs, ce qui représente une valeur de 300 milliards de dollars. Les insectes, les maladies des plantes et les mauvaises herbes n'obéissent à aucune règle.
Dans un monde plus rationnel, les défenseurs de l'agriculture biologique et conventionnelle relèveraient les défis mondiaux de l'agriculture en utilisant tous les éléments de la boîte à outils, en tirant parti de la biotechnologie et en se concentrant sur les préoccupations centrales des défenseurs de l'agriculture biologique, telles que la santé des sols et la biodiversité.
Le débat est polarisé. De nombreuses ONG de premier plan, telles que Regenerative International, la Soil Association britannique et Navdanya de Vandana Shiva, rejettent toute idée de partenariat. Mais posez-vous la question : si la sécurité alimentaire et la durabilité sont les principales préoccupations, quel pays est le meilleur modèle : le Sri Lanka ou le Brésil ?
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* Jon Entine, fondateur et directeur exécutif du Genetic Literacy Project, est un producteur de télévision d'investigation primé aux Emmy Awards et auteur de sept livres, dont trois sur la génétique. Suivez-le sur X à l'adresse @JonEntine.