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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Pesticides et cancers de la prostate une « étude d'association à l'échelle de l'environnement »... états-unienne pas convaincante

16 Juin 2025 Publié dans #Article scientifique, #Pesticides, #Santé

Pesticides et cancers de la prostate une « étude d'association à l'échelle de l'environnement »... états-unienne pas convaincante

 

 

Un exemple de corrélation fortuite. (Source)

 

 

Une étude états-unienne publiée le 4 novembre 2024 suggère un lien potentiel entre certains pesticides et le cancer de la prostate. Elle n'a pas attiré l'attention des foules, et c'est peut-être un signe. En fait, elle n'est pas convaincante.

 

 

(Source)

 

 

AGRARHEUTE nous a mis sur la piste d'une étude scientifique avec son « Une nouvelle étude établit un lien entre les produits phytosanitaires et le cancer de la prostate ». À notre sens, il a fourché.

 

L'étude en question n'a pas attiré l'attention des foules de prêcheurs de catastrophe anti-pesticides, et c'est peut-être un signe. En France, au moins deux sites se réclamant de la santé et de la médecine s'y sont intéressé : Santémagazine avec « Pesticides et cancer de la prostate : des liens mis en évidence dans une nouvelle étude » et Médisite, avec « De nouveaux pesticides cancérigènes pour la prostate identifiés ». Par ailleurs, Sud-Ouest a reproduit un article de Destinationsanté.

 

Le deuxième titre est particulièrement irresponsable. Ces gens ont-ils lu le résumé de l'étude – et compris le sens de la déclaration de l'auteur principal, Simon John Christoph Soerensen, de l'école de Médecine de l'Université de Stanford (c'est nous qui graissons) ?

 

« Cette recherche démontre l’importance d’étudier les expositions environnementales, telles que l’utilisation de pesticides, pour expliquer potentiellement une partie de la variation géographique que nous observons dans l’incidence du cancer de la prostate et les décès à travers les États-Unis.

 

En nous appuyant sur ces résultats, nous pouvons faire progresser nos efforts pour identifier les facteurs de risque de ce type de tumeur et travailler à réduire le nombre d’hommes touchés. »

 

 

L'étude

 

L'étude, c'est « Pesticides and prostate cancer incidence and mortality: An environment-wide association study » (pesticides et incidence du cancer de la prostate et mortalité : une étude d'association à l'échelle de l'environnement) de Simon John Christoph Soerensen et al., publié dans Cancer.

 

En voici le résumé :

 

« Contexte

 

Le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent chez les hommes aux États-Unis, mais les facteurs de risque modifiables restent insaisissables. Dans cette étude, les auteurs ont examiné le rôle potentiel de l'exposition aux pesticides agricoles dans l'incidence du cancer de la prostate et la mortalité.

 

Méthodes

 

Pour cette étude d'association à l'échelle de l'environnement (EWAS – environment-wide association study), la régression linéaire a été utilisée pour analyser les associations au niveau des comtés entre l'utilisation annuelle de 295 pesticides distincts (mesurée en kg par comté) et les taux d'incidence et de mortalité du cancer de la prostate, dans les États contigus des États-Unis. Les données ont été analysées en deux cohortes : l'utilisation de pesticides de 1997-2001 avec les résultats de 2011-2015 (découverte) et l'utilisation de 2002-2006 avec les résultats de 2016-2020 (réplication). Les tailles d'effet rapportées montrent comment une augmentation d'un écart-type de l'utilisation de pesticides transformée en logarithme (kg par comté) correspond à des changements dans l'incidence. Les analyses ont été ajustées pour tenir compte des données démographiques au niveau du comté, des données agricoles et des tests multiples.

 

Résultats

 

Vingt-deux pesticides ont montré des associations directes et cohérentes avec l'incidence du cancer de la prostate dans les deux cohortes. Parmi eux, quatre pesticides étaient également associés à la mortalité par cancer de la prostate. Dans la cohorte de réplication, chaque augmentation d'un écart-type dans l'utilisation de pesticides transformée en logarithme correspondait à une augmentation de l'incidence pour 100.000 personnes (trifluraline, 6,56 [intervalle de confiance (IC) à 95 %, 5,04-8,07] ; cloransulam-méthyl, 6,18 [IC à 95 %, 4,06-8,31] ; diflufenzopyr, 3,20 [IC à 95 %, 1,09-5,31] ; et thiaméthoxame, 2,82 [IC à 95 %, 1,14-4,50]). Parmi les limites de l'étude, on peut citer la conception écologique, le risque de confusion non mesurée et l'absence de données sur l'exposition au niveau individuel.

 

 

Conclusions

 

Les résultats de cette étude suggèrent un lien potentiel entre certains pesticides et l'augmentation de l'incidence du cancer de la prostate et de la mortalité. Ces résultats justifient un examen plus approfondi de ces pesticides spécifiques afin de confirmer leur rôle dans le risque de cancer de la prostate et de développer des interventions potentielles en matière de santé publique. »

 

 

(Source)

 

 

Une interprétation difficile

 

Des données grossières ?

 

L'étude se trouve derrière un péage.

 

Son interprétation est difficile. Toutefois, les auteurs se sont exprimés de manière très mesurée et ont signalé, certes de manière brève, les limitations de leur travail.

 

L'étude a consisté à croiser deux bases de données au niveau des comtés de 48 États (hors Alaska et Hawaï) : les utilisations de produits phytosanitaires et les incidences du cancer de la prostate et les mortalités conséquentes.

 

La nature même des données nous semble constituer une première difficulté. Comment a-t-on traité, par exemple, deux comtés globalement identiques mais dont l'un présente une population concentrée dans une ville et l'autre une population dispersée en zone rurale ? Ou deux comtés présentant les mêmes statistiques au niveau de l'utilisation de produits phytosanitaires, mais l'un avec une zone agricole limitée à forte intensité et l'autre un paysage agricole plus uniforme ?

 

Peut-on supposer que les écarts dans un sens ou dans l'autre s'annulent dans l'examen global ? L'hypothèse mériterait sans doute d'être testée.

 

 

Des corrélations fortuites ?

 

Trouver une corrélation – ou une association – est une chose. En trouver une qui soit au moins suggestive d'une relation de cause à effet en est une autre.

 

Soulignons que les auteurs se sont faits très mesurés en évoquant un « lien potentiel ».

 

Il faudrait disposer d'un minimum d'indications permettant d'accréditer la plausibilité d'un lien de cause à effet. Cela pose la question de l'exposition, puis celle de l'effet.

 

On n'a sans doute pas examiné de plus près, d'une part, la réalité et, d'autre part, l'importance de l'exposition de la population aux produits phytosanitaires considérés – a priori par suite des dérives des traitements ou de la présence de résidus de pesticides dans l'eau potable (et consommée). Faut-il aussi croire, pour que l'exercice soit crédible, que la « contamination » s'est arrêtée à la frontière des comtés ?

 

Bref, on trouve ici une problématique assez similaire à celle qui a été examinée par M. Philippe Stoop dans « Les chauves-souris, la mortalité infantile, et votre neveu écologiste ».

 

Cela nous rapproche aussi des débats – employons ce terme plutôt neutre – français sur les « clusters » (les excès de cas) de certaines affections identifiés pour certains territoires mais qui seraient curieusement absents d'autres territoires soumis à des circonstances environnementales similaires. Sauf qu'ici on ne fait pas de lien avec « les pesticides », mais avec des substances parfaitement identifiées.

 

 

Des liens de cause à effet sans doute inexistants

 

Dans un communiqué de presse, Wiley a écrit :

 

« Seule la trifluraline est classée par l'Agence de Protection de l'Environnement comme "cancérogène possible pour l'homme", tandis que les trois autres sont considérées comme "vraisemblablement non cancérogènes » [not likely to be] ou ont des preuves de "non cancérogénicité". »

 

C'est sans doute tiré de l'étude.

 

Notons que Medisite cite cette phrase en ajoutant : « ..., s’alarment les auteurs de l'étude dans un communiqué ». Non, il n'y a pas de parti pris de sa part...

 

Pour Santemagazine, « Ce qui ennuie d’autant plus les scientifiques auteurs de cette étude, c'est que... ». Non, il n'y a pas de parti pris de sa part...

 

Sur le fond, cela illustre à notre sens les limites de l'exercice – de l'« étude d'association à l'échelle de l'environnement » – et de sa crédibilité.

 

Une étude statistique présentant des limitations importantes dans la nature et la qualité des données entrantes peut difficilement contredire des études de toxicologies dans lesquelles on a examiné par des méthodes appropriées les relations de cause à effet.

 

Du coup, on peut aussi s'interroger sur les conclusions telles qu'énoncées dans le résumé.

 

 

Des résultats peu convaincants...

 

Il est impossible de visualiser ce que représente en pratique une « augmentation d'un écart-type dans l'utilisation de pesticides transformée en logarithme ». Mais c'est à priori une augmentation plutôt importante.

 

Le résultat le plus grand est une augmentation de l'incidence de 6,56 pour 100.000, le quatrième et dernier à être rapporté dans le résumé étant de 2,82. Mais par rapport à quoi ? Le résumé est d'une grande imprécision ! Nous avons trouvé une incidence globale de 112 pour 100.000 hommes en 2021, ou encore 122,9.

 

 

(Source)

 

 

Les chiffres rapportés dans l'étude n'ont pas de quoi susciter l'enthousiasme des toxicologues – non militants, s'entend – pour lesquels de telles augmentations sont sans (grande) signification sanitaire.

 

 

...ou peut-être si !

 

On aurait trouvé 22 « associations directes et cohérentes » sur 295 pesticides étudiés ? C'est un excellent résultat pour la toxicologie réglementaire ! Bien sûr, en faisant crédit aux résultats.

 

Nous avons trouvé un graphique qui résume ce qui a été trouvé.

 

 

(Source)

 

 

Dans l'ensemble, les résultats sont cohérents d'une mesure à l'autre (« découverte » et « réplication »).

 

On y trouve le... glyphosate avec une augmentation de l'incidence d'environ 3 pour 100.000. Mais, malgré toutes les recherches entreprises pour dénigrer le glyphosate, il n'est pas connu pour causer le cancer de la prostate.

 

La dernière analyse de l'Agricultural Health Study états-unienne – sur une cohorte d'un peu plus de 54.000 applicateurs de pesticides (Andreotti et al.) n'a pas trouvé de différence d'incidence du cancer de la prostate entre non-applicateurs et applicateurs de glyphosate.

 

Dans sa monographie, le CIRC n'a relevé qu'une étude cas-témoins (p. 350), non concluante et critiquée dans les parties relatives au malathion (p. 60) et au diazinon (p. 259) comme présentant des associations positives résultant en fait d'« intercorrélations avec d'autres pesticides » – une problématique peut-être aussi pertinente ici.

 

On se trouve donc devant une alternative : ou bien les auteurs ont appliqué une méthode bien plus sensible que d'autres, pourtant très robustes, ou bien il s'agit d'un faux positif. Et, dans ce deuxième cas, on peut s'interroger sur la validité de tous les autres résultats présentés.

 

Enfin, il est relevé dans des articles comme celui-ci, rédigé par deux auteurs de l'étude, que quatre des 22 pesticides étaient « potentiellement associés à la mortalité par cancer de la prostate » – le mot « potentiellement » ne figure pas dans le résumé et les quatre en question sont probablement ceux qui ont été cités dans le résumé.

 

Là encore, on peut s'interroger : les pesticides auraient-ils un effet différencié sur le caractère mortel du cancer de la prostate ? Ou serait-ce le fruit d'un hasard statistique ?

 

 

Ce que d'autres en pensent

 

Petit rappel mesquin

 

L'annexe de la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur évoquait la création « dans les premières années de la LPPR » :

 

« à l'instar d'autres pays (Allemagne, Australie, Japon, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni), [d']une dynamique d'actions ou un réseau "Science et médias", […] pour développer les relations et permettre la mise en contact rapide entre journalistes et chercheurs, favoriser l'accès des citoyens à une information scientifique fiable et accroître l'apport d'éclairages scientifiques dans les débats publics sur les grands sujets actuels. »

 

Quelques voix se sont élevées contre ce projet – bien sûr resté lettre morte – dont... le Monde de M. Stéphane Foucart et Mme Stéphane Horel. Étonnant non ? Le titre était inutilement sur le mode interrogatif, « L’information scientifique sous tutelle d’une agence de communication » ? » et on apprenait dès le chapô que le modèle britannique « apparaît surtout comme un instrument d’influence pro-industrie ».

 

 

Dans le Science Media Center britannique

 

Dans la réalité, le SMC est un puissant outil de démontage des articles scientifiques douteux, ou pire. On comprend donc l'émoi des deux journalistes précités.

 

M. Paul Pharoah, professeur d'épidémiologie du cancer au Cedars-Sinai Medical Center, y a déclaré :

 

« […]

 

Les études écologiques sont très susceptibles d'être biaisées et peuvent donner lieu à l'erreur écologique – l'hypothèse selon laquelle la corrélation au niveau du groupe s'applique également aux individus. Les études écologiques sont généralement considérées comme génératrices d'hypothèses plutôt que comme des tests d'hypothèses. Le mantra bien connu selon lequel corrélation ne signifie pas causalité s'applique particulièrement aux études écologiques.

 

Bien que plusieurs associations aient été identifiées, aucune donnée n'est présentée pour suggérer que ces associations sont causales. [...] »

 

 

Dans Scimex australo-néozélandais

 

M. Oliver Jones, professeur de chimie à l'Université RMIT de Melbourne, en Australie a écrit :

 

« Je vois bien que cet article est rapporté dans le cadre d'un autre article du type "les pesticides causent l'effrayante maladie X", mais à mon avis, les preuves contenues dans cet article sont assez faibles pour plusieurs raisons.

 

Tout d'abord, les auteurs ne disent pas que les pesticides causent le cancer de la prostate, mais simplement qu'ils ont trouvé 22 pesticides statistiquement associés au cancer de la prostate et que des recherches supplémentaires sont nécessaires. Une association entre deux choses ne signifie pas que l'une a causé l'autre ; il s'agit simplement d'une observation. Les travaux se fondent sur des statistiques et non sur des expériences directes, et les données relatives à l'utilisation des pesticides et à l'exposition ont été estimées et non mesurées.

 

Si l'on remplaçait la variable étudiée, à savoir les pesticides, par presque n'importe quelle autre variable, comme l'âge, le sommeil, le manque d'exercice, etc., et que l'on effectuait les mêmes tests en utilisant les dossiers médicaux utilisés ici pour les pesticides, on trouverait probablement davantage d'associations, mais cela ne signifierait pas qu'il y a un lien, juste une association. Des travaux supplémentaires seraient nécessaires pour prouver toute hypothèse. Aucun travail de ce type n'a été effectué dans le cadre de cette étude. Les auteurs ne proposent pas non plus de mécanisme par lequel l'un des multiples herbicides identifiés pourrait provoquer un tel effet. Nous devons également garder à l'esprit que notre capacité à détecter le cancer s'est également améliorée au fil des ans, de sorte que l'augmentation du nombre de cas n'est peut-être pas due à l'augmentation de la prévalence de la maladie, mais simplement au fait que nous sommes mieux à même de la repérer.

 

[…]

 

Ainsi, bien que ces travaux soulèvent des questions de recherche intéressantes, je ne pense pas que les preuves ou les effets nocifs soient solides si les herbicides sont utilisés conformément aux instructions. Les principaux facteurs de risque du cancer de la prostate sont l'âge et la génétique, deux facteurs que nous ne pouvons pas contrôler. »

 

 

Agriculture, pesticides et cancer de la prostate

 

Les quelques médias français qui se sont intéressé à la question – AGRARHEUTE aussi – n'ont pas manqué de relever que le cancer de la prostate a été inscrit au tableau des maladies professionnelles en lien avec les pesticides.

 

Par « pesticides », il faut entendre les « produits à usages agricoles et [les] produits destinés à l'entretien des espaces verts (produits phytosanitaires ou produits phytopharmaceutiques) ainsi [que les] biocides et [les] antiparasitaires vétérinaires, qu'ils soient autorisés ou non au moment de la demande. »

 

Selon les résultats de la cohorte AGRICAN – une cohorte de près de 180.000 personnes inscrites à la Mutualité Sociale Agricole – les agriculteurs présentent un excès d'incidence de la prostate de 3 % par rapport à la population générale.

 

 

(Source)

 

 

Les liens avec les différents types d'activités sont cependant complexes. Et peut-être étonnants : il y a un lien avec l'arboriculture, mais pas la viticulture, l'élevage de bovins et de porcs, mais pas de moutons et de chèvres.

 

 

(Source)

 

 

Les liens avec les pesticides sont aussi complexes.

 

 

(Source)

 

 

L'ANSES a aussi réalisé une expertise et en a publié les résultats en juillet 2021 – voir : « Expositions professionnelles aux pesticides et cancer de la prostate : l’Anses rend son premier rapport d’expertise pour la reconnaissance des maladies professionnelles ». L'expertise a conclu à une « relation causale probable entre le risque de survenue du cancer de la prostate et l’exposition aux pesticides dont le chlordécone ».

 

Il s'agit ici de plages d'exposition très supérieures à celles qu'on pourrait invoquer à l'appui de l'étude de Soerensen et al.

 

En définitive, quelle que soit la force probante de la relation causale, une recommandation s'impose aux professions en lien avec des produits « pesticides » : protégez-vous ! Et à la population générale : restez zen !

 

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U
Je n'ai pas accès au texte intégral, mais cela semble un simple exemple de l'effet des tests multiples. Si vous testez 100 pièces parfaites avec un test à 5%, vous trouverez 5 (à peu près ) pièces apparemment biaisées.
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