Dans les coulisses de la campagne PFAS Forever Chemical
Comment les militants ont décidé que l'acide trifluoroacétique (TFA) serait leur prochaine cible de l'anxiogenèse éternelle
Les militants espèrent tirer la carte de la Mort. (Source)
Imaginez une salle de réunion enfumée et sans fenêtres dans un incubateur bruxellois partagé par diverses ONG. Six militants tapent frénétiquement sur leurs ordinateurs portables ; trois d'entre eux appartiennent à des groupes militants tels que Friends of the Earth, Corporate Europe Observatory et Pesticide Action Network, deux sont des journalistes indépendants (un Français et un Néerlandais) et, bien sûr, il y la personne qui tient les cordons de la bourse de la fondation, Stéphane Horel. L'objectif de la réunion est de déterminer la prochaine substance fluorée à mettre en avant parmi la catégorie des PFAS, ces « polluants éternels », et sur laquelle concentrer l'énergie de leur campagne de peur anti-chimique et anti-industrielle.
Ma note : C'est évidemment romancé, mais tout à fait réaliste.
Des milliers de produits chimiques ont été dérivés du fluor, un élément naturel abondant aux propriétés favorables qui répond aux besoins de nombreuses applications. Les militants de la salle de crise devaient trouver la bonne substance PFAS, celle qui permettrait de mener une campagne de peur publique réussie, d'attirer l'attention des médias et de tirer parti des possibilités de financement de la fondation.
Ils avaient devant eux un immense tableau Excel contenant des milliers de produits chimiques fluorés, et le processus de tri nécessitait donc un certain effort et des critères bien définis. Ils ont conçu une liste de contrôle en 12 points pour déterminer le meilleur nouveau candidat à la propagation de la peur des produits chimiques ou polluants éternels. La substance ciblée devait :
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Avoir un grand nombre d'applications ;
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Être produite par de grandes entreprises chimiques (avec des possibilités de litiges pour attirer davantage de financements pour les campagnes en provenance des cabinets d'avocats spécialisés en responsabilité civile via des fondations opaques) ;
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Disposer de données suffisantes sur l'exposition environnementale (sol et eaux souterraines) ;
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Être classée comme « substance chimique éternelle » ou « polluant éternel » (c'est-à-dire qui ne se dégrade pas facilement) ;
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Pouvoir être identifiée comme toxique pour la reproduction, avec donc un risque accru pour les femmes enceintes et les enfants ;
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Être potentiellement cancérigène (ou avoir des scientifiques militants favorables à la campagne qui pourraient spéculer à ce sujet) ;
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Ne pas être présent dans l'environnement à partir de sources naturelles et pouvoir être remplacé par des alternatives (c'est-à-dire être susceptible de se voir appliquer le principe de précaution) ;
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Être intentionnellement rejeté dans l'environnement (et non à la suite d'un accident industriel) ;
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Avoir un nom effrayant qui pourrait être facilement utilisé et mémorisé par le public ;
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Être facilement compris comme une mauvaise chose par les journalistes, les sponsors fiscaux des fondations et les influenceurs ;
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Avoir des voies d'exposition courantes (comme l'eau potable, les aliments...) ;
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Être perçu comme omniprésent et pouvoir être facilement présenté comme une crise (par exemple, être détectable dans l'eau de pluie).
Après plusieurs heures de tri, le tableau Excel des militants a désigné le TFA (acide trifluoroacétique) comme leur prochaine cible de campagne contre les PFAS. Il cochait toutes les cases de leur liste : largement détecté dans l'eau et les aliments, affectant les humains et l'environnement, persistant, compréhensible et effrayant.
Mais cette substance a d'innombrables applications qui offrent un large éventail d'avantages. Le TFA est utilisé dans les réfrigérants (mais à l'approche de l'été, peu de gens seraient prêts à renoncer à leur climatisation). Les produits pharmaceutiques et les produits chimiques utilisés pour lutter contre les incendies contiennent du TFA, ce qui fait que certaines personnes pourraient considérer qu'il s'agit d'un risque acceptable. Plus difficile pour les concepteurs de campagnes militantes, le TFA a été identifié comme une alternative beaucoup plus durable que d'autres substances PFAS.
Les stratèges de la cellule de crise, penchés sur leur tableur, devaient se concentrer sur une application du TFA qui motiverait les campagnes, susciterait l'indignation du public, générerait des fonds et l'intérêt des médias. Plus que la protection de l'environnement ou de la santé publique, les militants de la cellule de crise recherchaient cette application du TFA qui serait la référence absolue pour mener une campagne facilement gagnable.
Quelqu'un a alors tapé « TFA et pesticides » dans Google et les militants ont intuitivement compris qui allait payer leur déjeuner pendant les deux prochaines années.
Intégrer les pesticides dans la campagne contre les « polluants éternels » allait certainement amplifier la peur et l'indignation du public, attirer d'autres ONG, offrir des possibilités de financement plus larges par des fondations et des cabinets d'avocats, et susciter une couverture médiatique plus émotionnelle. Le militant du PAN, se frottant les mains de joie, a même envisagé de mener une campagne contre l'ensemble des « pesticides éternels ». L'industrie agroalimentaire ne voudrait certainement pas être vue comme vendant ces produits chimiques dans ses produits, de sorte qu'elle ne serait pas en mesure de parler d'une seule voix (comme si cela allait jamais arriver). Le public aurait une raison supplémentaire d'exiger l'interdiction de tous les pesticides et le lobby du biobusiness soutiendrait certainement cette campagne avec des militants et des fonds.
Il existe bien sûr quelques problèmes mineurs que les militants devront gérer pour garantir le succès de leur campagne contre le TFA.
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Le TFA est naturellement présent dans l'environnement et a été largement détecté avant d'être utilisé dans des applications industrielles ;
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Il ne s'accumule pas dans l'organisme et a une faible toxicité ;
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Il est présent à des niveaux extrêmement faibles dans l'environnement (une partie par mille milliards) ;
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Il est souvent détecté sous forme de métabolite (provenant de la dégradation d'autres substances) ;
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Plusieurs organismes internationaux réputés ont reconnu que le TFA présente un risque négligeable pour la santé humaine ou les écosystèmes (voir ci-dessous) ;
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Il n'est pas considéré comme un « produit chimique éternel » aux États-Unis (selon l'EPA).
Cela n'a pas découragé les militants de la cellule de crise « PFAS » : ils ont déjà été confrontés à ces arguments et s'attendent à pouvoir les balayer d'un revers de main avec les remarques habituelles copiées-collées :
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Il s'agit d'un produit chimique artificiel qui n'est pas censé se trouver dans l'environnement ou dans notre corps ;
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Nous ne connaissons tout simplement pas les risques (ajoutez l'« effet cocktail » pour faire bonne mesure au cas où quelqu'un calculerait les risques) ;
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Ses niveaux d'exposition augmentent, alourdissant la charge chimique globale dans notre corps ;
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Les pollueurs devront payer pour nettoyer (cela apportera le soutien des entreprises de services environnementaux) ;
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Et de toute façon, nous n'avons pas besoin d'utiliser ces pesticides.
Les militants dans la salle de crise, forts de leur expérience passée, sont convaincus que le public et les médias seront trop paresseux pour examiner les faits et réagiront plutôt à la description d'un risque grave, amplifié sans relâche par les reportages, les articles d'investigation et les publications scientifiques. Et personne ne serait assez fou pour se lever et défendre l'industrie chimique. Si quelqu'un osait s'exprimer, il serait hué et attaqué personnellement comme un complice rémunéré de Monsanto (même si cette entreprise très décriée n'existe plus depuis près d'une décennie).
Cette dernière campagne sur les « polluants éternels » ne vise pas à présenter les meilleurs faits et arguments scientifiques. Il ne s'agit pas de prévenir les risques pour la santé humaine. Il ne s'agit pas de protéger l'environnement. Il s'agit uniquement de gagner une campagne, de lever plus de fonds et de remettre en cause le droit d'exister de l'industrie et de l'agriculture moderne. Et s'il s'agit uniquement de gagner, alors l'intégrité et l'honnêteté sont facilement sacrifiables.
Le BFR, l'Institut Fédéral allemand d'Évaluation des Risques, a examiné le risque d'exposition au TFA dans le vin (également détecté, curieusement, dans le vin biologique) et a tiré la conclusion suivante :
Résultat : sur la base de la valeur mesurée la plus élevée, une personne pesant 60 kilogrammes (kg) devrait boire au moins 9 litres de vin par jour pour dépasser la valeur guide sanitaire de 0,05 mg par kg de poids corporel.
Le BFR n'a pu s'empêcher d'ajouter que l'exposition à l'éthanol contenu dans ces neuf litres de vin par jour présenterait un risque bien plus élevé.
Le Programme des Nations Unies pour l'Environnement déclare :
« L'acide trifluoroacétique (TFA) continue d'être présent dans l'environnement, y compris dans les régions reculées, bien que ses concentrations soient si faibles qu'il est actuellement très improbable qu'il ait des conséquences toxicologiques néfastes pour les humains et les écosystèmes. »
Dans le même rapport, le PNUE suggère également qu'une grande partie du TFA présent dans l'environnement pourrait provenir de sources naturelles.
Mais qui prête attention aux faits ou aux preuves scientifiques lorsqu'il est possible de mener une campagne sur « les pesticides PFAS qui repoussent les limites de la planète » ? Et avec une telle affirmation, comment les médias pourraient-ils résister à l'envie d'amplifier la rhétorique de la campagne ? Peut-être les médias sont-ils trop paresseux pour enquêter sur les faits concernant le TFA avant de publier un article. Ou font-ils partie du réseau médiatique Forever Lobbying de Stéphane Horel, qui leur donne accès à ses fonds et ressources de recherche ?
Sans surprise, les médias regorgent d'articles sur les TFA, poussant les régulateurs européens nerveux à réagir en adoptant à la hâte des lois restrictives sans laisser le temps à l'industrie de développer des alternatives de manière responsable.
Au début de l'année, The Firebreak a montré comment Stéphane Horel a amassé des fonds non déclarés pour sa campagne anti-PFAS « Forever Lobbying ». Cet argent provenait de canaux obscurs, de fonds à vocation arrêtée par les donateurs, au sein de quatre fondations afin de soutenir les journalistes qui publiaient des articles sur les PFAS. Et ces articles, principalement fondés sur les documents de campagne anti-PFAS de Stéphane Horel et les affirmations des scientifiques militants de son réseau, commencent à paraître avec une grande régularité et cohérence.
Le meilleur journalisme que l'argent peut acheter. (Source – les références y sont lisibles.)
Obtenir des financements de groupes d'intérêts pour produire des articles dans les médias grand public est malheureusement devenu une pratique courante dans le journalisme actuel. Des fondations créent des organisations pour financer des journalistes (soit directement, soit par l'intermédiaire de groupes médiatiques, de fonds de redistribution ou de projets dédiés). The Firebreak a montré comment Covering Climate Now et le Solutions Journalism Network ont été créés par des sponsors fiscaux de fondations afin de financer des journalistes qui défendent la cause climatique, comment des fondations financent directement des organes de presse tels que The Guardian à hauteur de centaines de millions de dollars, ou encore comment des campagnes militantes financées par des fondations sont ensuite relayées par les mêmes journalistes financés par ces fondations. Mais dans certains de ces cas, les journalistes et les groupes de recherche ont déclaré leur financement (pour ceux qui ont le temps de lire les petits caractères). Horel, cependant, estime qu'une telle transparence est réservée aux personnes stupides.
On attend de ces mêmes personnes qui font aveuglément confiance à Horel qu'elles croient les affirmations issues du dernier chapitre de leur campagne bien financée sur les PFAS, leurs reportages et les citations de leurs scientifiques militants de bas niveau.
Tout cela devient trop prévisible. Une nouvelle peur liée aux PFAS, ces « polluants éternels ». Une nouvelle organisation créée par un groupe de sponsors financiers de fondations. Une nouvelle campagne de désinformation militante. Un nouvel échec dans la communication scientifique. Un nouveau cas où les groupes industriels n'ont pas su travailler ensemble pour protéger leurs substances....
...et cette cellule de crise militante ne fait que commencer à sévir.
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* David est le rédacteur en chef de Firebreak. Il est également connu sous le nom de Risk-monger. Professeur à la retraite, analyste des risques pour la santé et l'environnement, communicateur scientifique, promoteur d'une politique fondée sur des données probantes et théoricien philosophique sur les activistes et les médias.
Source : Inside the PFAS Forever Chemical Campaign War Room
Ma note : On peut aussi lire, de mon clavier, « Acide trifluoroacétique (TFA) dans les vins : un fort goût de lobbying ».
Selon le site du groupe de lobbying journalistique, il y a déjà... 19 articles du Monde.