Cadmium : la désinformation infâme et infamante du Monde
Une « bombe sanitaire » fait la une – sur les six colonnes – du Monde du 6 juin 2025. Pour, certes, un problème sanitaire, mais un problème connu, suivi et géré depuis longtemps. À quoi joue le Monde ? Ou de qui est-il le jouet ?
Le Monde devrait sérieusement envisager d'embaucher un Bison Futé pour régler le problème des embouteillages dans la production et la diffusion d'articles anxiogènes sur les méfaits allégués de l'agriculture « industrielle » ou « productiviste » sur la santé et l'environnement.
Aux pesticides en général, aux néonicotinoïdes en particulier et plus particulièrement à l'acétamipride visé par la proposition de loi Duplomb-Ménonville qu'il convient de dézinguer, aux substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) dont certaines sont des produits phytosanitaires, aux eaux du groupe Nestlé polluées notamment par des pesticides, après les fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI) tombés dans l'oubli mais n'attendant qu'une occasion de refaire l'actualité, etc., etc., voici le cadmium.
Sans oublier les sujets à longue durée de vie tels que le réchauffement climatique, les sujets à apparitions intermittentes comme les clusters (allégués) de cancers pédiatriques du côté de La Rochelle, les sujets d'actualité tels que les zones à faibles émissions (ZFE) ou, à l'heure où j'écris, les océans... et le glyphosate qui vient de resurgir
(Source)
Le 6 juin 2025, le Monde a titré sur sa version papier « Le cadmium, "bombe sanitaire" en France », avec cinq pavés :
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« Les médecins libéraux sonnent l'alarme sur la contamination massive des Français au cadmium, un métal lourd classé cancérogène certain. » [Notez l'invraisemblable article défini !]
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« Cette pollution est largement due à l'épandage d'engrais phosphatés importés du Maroc, qui s'accumulent [sic] dans les sols. » [Notez que les agriculteurs et les agronomes seraient ravis si les engrais s'accumulaient...]
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« De fortes concentrations de cadmium se retrouvent dans les aliments les plus consommés : céréales du petit déjeuner, pain, pâtes, pommes de terre. »
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« Alors que ce métal lourd est associé à de nombreuses maladies, les enfants sont particulièrement affectés par la flambée des contaminations. »
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« Bruxelles et les autorités sanitaires françaises veulent durcir la réglementation sur les engrais, mais le gouvernement n'agit pas. »
On a là un condensé de la rhétorique manipulatrice et, en fait, désinformatrice.
Dans la version électronique, c'est en titre : « La France malade du cadmium, une "bombe sanitaire", alertent les médecins libéraux ». En chapô :
« Les Français, en particulier les enfants, sont massivement contaminés par ce cancérogène présent dans les engrais phosphatés, à travers la consommation de céréales, de pain ou de pâtes. Santé publique France fait le lien avec l’explosion des cancers du pancréas. »
On retrouve l'article défini dans le titre. Et c'est Santé Publique France qui est appelée à la rescousse pour le lien (allégué) avec le cancer du pancréas.
Bien évidemment, hélas, la médiocre médiasphère, suiviste et/ou ignare mais paresseuse, s'est embrasée... Une « bombe sanitaire »... les enfants... les engrais de la méchante agriculture (sous-entendu) « productiviste » ou « industrielle »... le vertueux « bio »... le méchant gouvernement... Et sur les réseaux sociaux, c'est la curée.
Qui peut faire croire que les lanceurs de l'alerte – cette mystérieuse et obscure Conférence Nationale des Unions Régionales des Professionnels de Santé-Médecins Libéraux (URPS-ML) – ait soudainement découvert un problème gravissime, au point de le qualifier de « bombe sanitaire » ?
Le Monde, bien sûr, en l'occurrence de M. Stéphane Mandard :
« Dans un courrier adressé lundi 2 juin au premier ministre et aux ministres de la santé, de l’agriculture et de la transition écologique, la Conférence nationale des unions régionales des professionnels de santé-médecins libéraux (URPS-ML) fait part de sa "grande inquiétude". "L’exposition au cadmium est une bombe sanitaire, commente Pascal Meyvaert, le coordinateur du groupe de travail santé et environnement des URPS-ML. Il y a une urgence sanitaire, il est de notre devoir d’interpeller la puissance publique afin de protéger les citoyens. L’Etat ne peut plus ignorer ce fléau de santé publique !" »
Le procédé est grossier : l'URPS-ML s'adresse au gouvernement en termes sans aucun doute mesurés (dans une lettre dont le texte n'a pas été rendu public à notre connaissance) ; un certain Pascal Meyvaert, qui a certes une fonction au sein de cette organistion, commente avec une forte dose d'emphase... et le commentaire est attribué à l'ensemble des médecins libéraux et dotée des oripeaux du sensationnalisme.
Le problème du cadmium est pourtant connu de longue date, suivi et géré.
Citons notamment :
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« Qu’est-ce que le cadmium et comment réduire son exposition ? » (4 décembre 2023) de l'Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l'Alimentation, de l'Environnement et du Travail (ANSES).
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En septembre 2019, l'Agence avait recommandé de limiter à 20 mg/kg P2O5 le cadmium dans les engrais phosphatés. Dans le même temps, « l’Anses recommande que l’apport en cadmium par les matières fertilisantes, qu’il s’agisse d’engrais industriels ou de déchets utilisés pour fertiliser les cultures comme le fumier, n’excède pas un flux de 2 grammes de cadmium par hectare et par an. » Cela représente 33 unités de phosphore à la teneur maximale autorisée de 60 mg cadmium/kg P2O5. Et on voit mal des agriculteurs apporter 100 kg de phosphore minéral à 20 mg de cadmium tous les ans...
Il fut un temps où les agriculteurs avaient la main lourde. Beaucoup de sols sont aujourd'hui bien pourvus en phosphore (ce qui permet de diminuer la fertilisation) et, hélas aussi, chargés en cadmium. (Source)
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Le 1er juillet 2021, Santé Publique France avait publié « Imprégnation de la population française par le cadmium. Programme national de biosurveillance, Esteban 2014-2016 ».
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En octobre 2024, la Haute Autorité de la Santé a publié « Dépistage, prise en charge et suivi des personnes potentiellement surexposées au cadmium du fait de leur lieu de résidence ». Les objectifs sont : définir l’intérêt et les modalités de dépistage des contaminations par le cadmium, dans les populations résidant sur des sites pollués par cet élément ; proposer aux professionnels de santé des modalités de prise en charge des personnes surimprégnées pour le diagnostic, le traitement et le suivi de leur intoxication ; informer les populations concernées.
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Une enquête d'une ampleur inédite – ALBANE – devant fournir une « photographie précise de la santé de la population » française, de ses habitudes alimentaires, de son activité physique et de son exposition à diverses substances a été lancée en septembre 2024.
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Au niveau de l'Union Européenne, des règles détaillées ont été édictées par le Règlement (UE) 2019/1009 du Parlement Européen et du Conseil du 5 juin 2019 établissant les règles relatives à la mise à disposition sur le marché des fertilisants UE, modifiant les règlements (CE) no 1069/2009 et (CE) no 1107/2009 et abrogeant le règlement (CE) no 2003/2003.
Il y a une dérive manipulatrice au Monde, mais nos autorités ne sont pas tout à fait innocentes. Selon le chapô de la version électronique de son article (c'est nous qui graissons),
« Santé publique France fait le lien avec l’explosion des cancers du pancréas. »
Selon Santé Publique France (Esteban), du reste citée par le Monde,
« Le cadmium s’accumule en particulier dans le pancréas et est suspecté de jouer un rôle dans l’accroissement majeur et extrêmement préoccupant de l’incidence du cancer du pancréas [15-17]. »
Sources :
[15] Djordjevic VR, Wallace DR, Schweitzer A, Boricic N, Knezevic D, Matic S, et al. Environmental cadmium exposure and pancreatic cancer: Evidence from case control, animal and in vitro studies. Environment international. 2019;128:353-61.
[16] Buha A, Wallace D, Matovic V, Schweitzer A, Oluic B, Micic D, et al. Cadmium Exposure as a Putative Risk Factor for the Development of Pancreatic Cancer: Three Different Lines of Evidence. BioMed research international. 2017;2017:1981837.
[17] Luckett BG, Su LJ, Rood JC, Fontham ET. Cadmium exposure and pancreatic cancer in south Louisiana. J Environ Public Health. 2012;2012:180186.
C'est très, très léger comme prose sur le pancréas et un peu léger comme sources, lesquelles ne portent pas du tout sur « l'accroissement majeur... ». Il y a aussi une nuance de taille entre être un facteur de risque et être un facteur de l'augmentation des cas.
Selon l'article « Dépistage... »,
« Le seul cancer pour lequel il y a des preuves suffisantes d’un risque élevé associé à l’exposition au cadmium dans l’espèce humaine est le cancer broncho-pulmonaire, après exposition professionnelle à des poussières ou des fumées de cadmium. »
Cela date de 2012, mais voici l'évaluation du cadmium par le Centre International de Recherche sur le Cancer :
« Il existe des preuves suffisantes chez l'homme de la cancérogénicité du cadmium et des composés du cadmium. Le cadmium et les composés du cadmium provoquent le cancer du poumon. De plus, des associations positives ont été observées entre l'exposition au cadmium et aux composés du cadmium et le cancer du rein et de la prostate.
Il existe des preuves suffisantes chez les animaux de laboratoire de la cancérogénicité des composés du cadmium.
Il existe des preuves limitées chez les animaux de laboratoire de la cancérogénicité du cadmium métallique.
Le cadmium et les composés du cadmium sont cancérogènes pour l'homme (groupe 1). »
Par ailleurs, entré en vigueur en 2022, le règlement européen prévoit, d'une part, une limite de 60 mg de cadmium/kg de P2O5 obligatoire pour tous les États membres sauf ceux qui avaient une limite inférieure, qu'ils peuvent maintenir, et, d'autre part, une clause de réexamen qui sera activée en 2029 pour examiner la faisabilité d’abaisser davantage la limite.
Le Monde affirme que l'on vise 20 mg/kg d'ici à 2034.
C'est, comme souvent, complexe dans le monde communautaire. Voici donc l'article 3 dans son intégralité :
« Libre circulation
1. Les États membres n’empêchent pas, pour des raisons ayant trait à la composition, à l’étiquetage ou à d’autres aspects relevant du présent règlement, la mise à disposition sur le marché des fertilisants UE qui sont conformes au présent règlement.
2. Par dérogation au paragraphe 1 du présent article, un État membre qui, au 14 juillet 2019, bénéficie d’une dérogation à l’article 5 du règlement (CE) no 2003/2003, accordée conformément à l’article 114, paragraphe 4, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, pour ce qui est de la teneur en cadmium des engrais, peut continuer à utiliser les valeurs limites nationales pour la teneur en cadmium des engrais qui sont applicables dans cet État membre au 14 juillet 2019 aux fertilisants UE, jusqu’à ce que les valeurs limites harmonisées pour la teneur en cadmium des engrais phosphatés d’un niveau égal ou inférieur aux valeurs limites applicables dans l’État membre concerné au 14 juillet 2019 soient applicables au niveau de l’Union.
3. Le présent règlement n’empêche pas les États membres de conserver ou d’adopter, en ce qui concerne l’utilisation de fertilisants UE, des dispositions destinées à protéger la santé humaine et l’environnement qui soient conformes aux traités, pour autant que ces dispositions n’exigent pas la modification des fertilisants UE conformes au présent règlement et qu’elles n’aient pas d’incidence sur les conditions de leur mise à disposition sur le marché. »
L'allégation que « le gouvernement n'agit pas », de la première page du Monde, est à notre sens dénuée de fondement. Sauf erreur, la consultation qui a été lancée en octobre 2023 et qui est (apparemment) restée sans suite ne portait pas sur les engrais minéraux.
Mais il n'est pas interdit de penser que la santé humaine et environnementale est régie par des conditions spécifiques à la France...
Il y a quelque chose de profondément choquant dans cet océan de déraison : des manipulateurs, désinformateurs ou simplement idiots utiles semblent découvrir un nouveau scandale sanitaire... tout en bavant de contentement sur « Engrais maudits », un « documentaire » de... 2021. Ah oui, la mémoire du poissons rouge... ou les opinions avant les faits...
(Source)
Les voix de la raison sont rares.
Le 8 juin 2025, dans le Point, Mme Géraldine Woessner a publié un excellent décryptage, « "Bombe sanitaire" ou coup de com ? Ce que cache l’alerte au cadmium » (en accès libre). En chapô :
« DÉCRYPTAGE. Des médecins alertent sur une contamination massive liée aux engrais phosphatés alors que des cancérologues appellent à la prudence. Un affrontement entre science, peur… et géopolitique. »
(Source)
Le 9 juin 2025, le site « Les Électrons Libres » a publié une analyse de l'oncologue Jerôme Barrière, « Cadmium : empoisonne-t-on vraiment nos enfants avec les céréales du matin ? » En chapô :
« Un ennemi revient sous les projecteurs : le cadmium, brandi dans les médias comme une nouvelle "bombe sanitaire" pour les Français. Pourtant, loin des effets de manche, il est essentiel d’examiner calmement les faits, sans céder à l’alarmisme ambiant. Les Électrons Libres sont là pour ça ! Alors ? S’empoisonne-t-on vraiment avec les céréales du matin ou le pain quotidien ? »
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Sur un point plus précis, la Tribune titre : « Alerte sur la présence de cadmium : « La teneur dans les sols français n'a pas doublé en dix ans" ». C'est derrière un péage, mais le titre est suffisamment éloquent.
Alerte sanitaire ou publicité déguisée pour le bio ?
Nous nous cantonnerons ici à cet aspect, les autres points de la campagne de désinformation ou de mésinformation ayant été abondamment décryptés.
Prenons-le de l'Essentiel, plus bref que le Monde :
« Les médecins exhortent le gouvernement français à"soutenir très fermement l’alimentation biologique, notamment dans les écoles". Car elle est "soumise à de nombreuses attaques", déplorent-ils, alors qu'"outre ses avantages nutritionnels, la contamination au cadmium y est inférieure de 48% en moyenne»". »
L'allégation finale est tirée de « Higher antioxidant concentrations and less cadmium and pesticide residues in organically-grown crops: a systematic literature review and meta-analyses » (concentrations plus élevées en antioxydants et moins de résidus de cadmium et de pesticides dans les cultures biologiques : revue systématique de la littérature et méta-analyses) de Barański (Leifert) et al., publié dans le British Journal of Nutrition en juillet 2014.
Le titre suffit à nous orienter : c'est une œuvre à la gloire de l'agriculture biologique.
Parce qu'il y a des aspects pour lesquels le bio n'est pas sur le podium, et ils ont été artistiquement bémolisés (au mieux) dans l'article.
Nous avons décrypté cet article, autant que faire se peut, dans « Aliments "bio" : ils sont beaux, les biais, par Wackes Seppi », sur le blog du regretté Stéphane Adrover (Anton Suwalki).
En bref, c'est une œuvre de commande, financée par l'Union Européenne dans le cadre d'un programme au nom explicite, QUALITYLOWINPUTFOOD, FP6-FOOD-CT-2003-506358, et le Sheepdrove Trust qui finance des recherches à l'appui de l'agriculture biologique ; elle a été soumise à relecture à Peter Melchett (directeur des politiques de la Soil Association, l'association britannique de l'agriculture biologique) ; plusieurs auteurs sont affligés de sérieux conflits d'intérêts, par exemple l'auteur principal, Carlo Leifert, et Charles Benbrook, taxé de prototype de « scientist for hire » (chercheur à gages).
Les biais des auteurs – ou des études prises pour base – peuvent être illustrés facilement pour le cadmium. Ils écrivent :
« À l'instar des résultats de la présente étude, une récente analyse documentaire réalisée par Smith-Spangler et al. a également révélé que sur les soixante-dix-sept ensembles de données comparatives (extraits de quinze publications), vingt-et-un indiquaient des concentrations de Cd nettement inférieures et un seul indiquait des concentrations nettement supérieures dans les aliments biologiques. »
C'est un décompte exact tiré d'un tableau 2... mais Smith-Spangler et al. Ont aussi écrit dans leur texte :
« Parmi les études portant sur les fruits et légumes [produce], aucune différence significative n'a été observée en ce qui concerne la teneur en cadmium ou en plomb (tableau 2). Tous les résultats étaient hétérogènes. »
Ben oui... 77 ensembles de données, moins 21 en faveur du bio, moins 1 en faveur du conventionnel égale 52 ne rapportant pas de différence significative en faveur de l'un ou de l'autre.
La dynamique du cadmium dans les sols et les plantes n'est pas entièrement connue et sans doute complexe. Mais, le cadmium étant peu mobile, on peut s'attendre à ce que leurs teneurs en cadmium dépendent en grande partie de l'historique passé et actuel de la fertilisation phosphatée. Les agriculteurs ont eu la main lourde dans le passé ; on peut donc s'attendre à ce qu'il n'y ait pas de grandes différences entre les deux modes de culture. C'est ce que tend à montrer, notamment, un dossier de la Direction Générale de l'Alimentation (DGAL) de juin/juillet 2001.
La prépondérance de l'historique de fertilisation (et, le cas échéant, des pollutions par exemple par les usines d'incinération) ressort aussi implicitement de l'article du Monde – victime cependant d'une regrettable imprécision :
« […] Thibault Sterckemann [de l'INRAE] a calculé que, si la réglementation européenne est appliquée [si la limite est abaissée à 20 mg/kg], la baisse du cadmium dans les sols français serait seulement de 3,8 % d'ici à cent ans. »
Cela n'a du reste pas empêché M. Stéphane Mandard de poursuivre avec une éructation des Amis de la Terre. C'est simple : YAKA introduire un plan pour « réduire la consommation d'engrais »...
Cet article du Monde est tellement invraisemblable qu'il est permis de se demander quels intérêts se cachent derrière et sont plus ou moins ouvertement promus.
À l'évidence, elle apparaît sur les écrans radars mais, sauf à ce que la manœuvre de communication soit poursuivie, cela risque d'être une étoile filante.
Mais à tout bien considérer – dans un monde rationnel qui, hélas, exclut une bonne partie du monde médiatique – cette soudaine apparition n'est pas à son avantage.
Le texte du Monde est mal ficelé, avec des erreurs et approximations manifestes... Mme Géraldine Woessner écrit par exemple :
« Mais pour les médecins lanceurs d'alerte, le compte n'y est pas [pour les mesures de réduction des rejets industriels et agricoles] : "Le premier veilleur du système de santé, c'est le généraliste", soutient Éric Blondet, à la tête de la Conférence nationale des URPS-médecins libéraux. "Et nos membres nous remontent du terrain une flambée des affections pancréatiques. Nous ne pouvons pas nous taire." »
Admettons que ce soit vrai pour les « remontées ». Cette affirmation fait un lien de cause à effet entre cadmium et affections pancréatiques... la médecine fondée sur des preuves prend un méchant coup !
Et, pour la flambée, s'agissant des cancers...
À propos de l'« explosion » des cas de cancer du pancréas (source). Comme indiqué, les graphiques sont repris de Defossez et al. « Cancer incidence and mortality trends in France over 1990-2018 for solid tumors: the sex gap is narrowing » (tendances de l'incidence et de la mortalité par cancer en France entre 1990 et 2018 pour les tumeurs solides : l'écart entre les sexes se réduit). Le graphique de gauche présente l'évolution de l'incidence et celui de droite la mortalité, en taux standardisés. Attention : l'échelle de l'ordonnée est logarithmique.
On peut faire la même remarque pour le plaidoyer très appuyé en faveur de l'agriculture biologique sur la base du seul argument du cadmium – fondé sur une seule étude « scientifique », ce qui relève du picorage (cherry picking). Un picorage, du reste, qui n'est pas à l'honneur des disciples d'Hippocrate.
Ce plaidoyer ignore la complexité du problème du « bio v. non-bio » (ainsi que, du reste, des problèmes techniques et géostratégiques dans la filière des engrais).
Selon l'article du Monde, l'URPS-ML lance une campagne « d'information » avec un message-clé : « varier son alimentation et privilégier le bio pour diminuer l'imprégnation au cadmium ».
L'URPS-ML serait-elle infiltrée par des thuriféraires du bio ?
D' aucuns ont fait un lien avec les récentes initiatives des instances européennes pour taxer les engrais en provenance de Russie et de Biélorussie. Sans entrer dans les détails, ce lien est invraisemblable.
Mais y aurait-il eu des démarches « amicales » plus en amont ? La question du cadmium dans les phosphates se prête à des batailles feutrées compte tenu de ce que les fournisseurs peuvent proposer. Le règlement européen actuellement en vigueur serait le fruit de manœuvres de lobbying divergentes. C'est sans doute exagéré, mais il y a eu lobbying, ce qui est naturel en démocratie.
Dans son article dans le Point, Mme Géraldine Woessner a ainsi pointé à juste titre les liens entre la Safer Phosphorus Foundation et PhosAgro, propriété de l'oligarque Andrey Guryev, proche de Vladimir Poutine.
Et, si on a la fibre complotiste, on peut bien trouver que le Monde a pris position pour les fournisseurs russes et biélorusses en pointant du doigt les phosphates marocains...
Remarquez... les phosphates tunisiens de Gafsa, utilisables en agriculture biologique dans certaines conditions, ne sont pas exempts de critiques s'agissant de leur teneur en cadmium. Et le cahier des charges de l'agriculture biologique interdit tout traitement chimique... y compris pour l'élimination du cadmium... Cherchez l'erreur...
(Source)
Côté URPS-ML, la chronologie semble simple : la lettre au gouvernement était programmée pour avoir un impact médiatique lors de la Journée Mondiale de l'Environnement, le 5 juin. C'était annoncé lors d'un webinaire, le 24 avril 2025 (avant les bruits en provenance de Bruxelles).
On a pu trouver l'analyse suivante sur LinkedIn, de M. Cédric Roussel que nous citerons à titre d'illustration :
« Concernant le projet de loi Duplomb, il existe un enjeu d’opinion publique lié à la confiance que le consommateur et donc le citoyen peut avoir dans les pratiques d’agriculture conventionnelle. De fait, le sujet du cadmium dans les engrais rejaillit nécessairement sur le thème des pesticides et plus généralement sur la légitimité d’encadrer fortement les pratiques agricoles. Il faut une certaine malhonnêteté intellectuelle pour chercher à compartimenter les deux thèmes.
Le début est à notre sens pertinent – et pose donc la question de l'intérêt qu'avait le Monde à publier une pleine page et à y consacrer le titre de sa une. Mais il faut sans doute une certaine malhonnêteté intellectuelle pour faire le lien entre les deux thèmes...
Malhonnêteté ?
On peut s'en tenir ici au célèbre aphorisme de Michel Rocard :
« Toujours préférer l'hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante. Le complot exige un esprit rare. »
L'hypothèse de la connerie s'hybride sans nul doute avec une ligne éditoriale depuis longtemps obsessionnelle, qui relève toutefois d'une certaine forme de complot.
Il est à notre sens temps de s'en inquiéter. Les « Monsanto Papers », les « Bonus Eventus Papers » et maintenant la participation à une vaste opération de dénigrement des PFAS (voir sur ce site la série « Presse Payola » de M. David Zaruk) sont des repères suffisants d'une dérive hors de la galaxie de l'information vers une galaxie de la manipulation de grande ampleur.
Le cadmium constitue un problème environnemental et de santé publique, les engrais phosphatés n'étant qu'un élément de ce problème.
Celui-ci mérite mieux que les manœuvres évoquées ci-dessus. Et ces manœuvres risquent de nous faire passer à côté d'éléments plus importants pour l'identification des problèmes précis – les facteurs causatifs du cancer du pancréas par exemple – et des solutions possibles.
Nous avons encore la chance de disposer du Point et de Mme Géraldine Woessner, et de quelques autres, pour inscrire l'information dans un moule de rationalité et de civisme. Tout n'est pas encore perdu.