Résidus de pesticides dans les aliments pour bétail : de qui se moque-t-on ?
(Source)
Les hommes politiques ont un problème avec la vérité. Illustration par une sorte de polémique au niveau des institutions européennes, exportée dans LinkedIn. Contrairement à ce qui a été affirmé – péremptoirement –, au mépris des preuves, les aliments pour bétail sont, sauf exceptions justifiées, soumis à la réglementation sur les résidus de pesticides. Et s'il y a de quoi s'indigner, c'est à propos d'une manœuvre politicienne.
M. Éric Sargiacomo, député européen et conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine (Parti Socialiste, Groupe des Socialistes et Démocrates au Parlement Européen) a produit le 10 avril 2025 un billet sur LinkedIn intitulé :
« Scandale silencieux : l'Europe importe des millions de tonnes de maïs et de soja traités avec des pesticides interdits chez nous... sans contrôle ».
C'est, on l'aura compris, dans le contexte de l'opposition viscérale, irraisonnée et – particulièrement dans le contexte géopolitique actuel – irresponsable contre l'accord avec le Mercosur.
Le billet rapporte une interpellation en séance plénière du Parlement Européen de M. Olivér Várhelyi, Commissaire à la Santé et au Bien-être Animal. Il est, bien sûr, assaisonné de propos hautement anxiogènes. Il y aurait :
« une faille majeure dans notre système de protection sanitaire : le contrôle des résidus de pesticides présents dans les aliments pour animaux importés. »
Notons que s'il y avait vraiment une « faille majeure », elle porterait aussi sur les aliments pour animaux autochtones. On imagine difficilement un système de contrôle qui ne s'intéresserait pas aux produits importés...
Il y a, bien entendu, une envolée lyrique, sans quoi la politique ne serait pas politicienne :
« On ne peut pas continuer à garantir des normes de production strictes en Europe pour protéger notre santé d’un côté, tout en important des modèles agricoles toxiques de l’autre.
🛡️L’Europe doit imposer la réciprocité des normes. Il en va de la santé de tous ses citoyens. »
Notons aussi que ce genre de propos, fort répandu, implique que les autres États ne protègent pas la santé de leurs citoyens, et hébergent même des « modèles agricoles toxiques ». Des « modèles » également autochtones (européens) que ces politiques politiciens dénoncent du reste avec la même vigueur quand il s'agit de promouvoir l'agriculture biologique ou de fustiger des produits phytosanitaires autorisés sur le territoire européen...
Notons aussi le ton péremptoire : « L'Europe doit imposer... » Dans des contextes différents, les adeptes de cette fière et arrogante posture politique ne manquent pas de dénoncer le « colonialisme »...
Et donc, selon un rituel bien établi au Parlement Européen, y compris chez des députés arborant fièrement leur attachement à l'idée d'une Union Européenne, on a invectivé le représentant de la Commission :
« Quand [la Commission] prendra-t-elle ses responsabilités face à ce scandale de santé publique ? »
Le billet se conclut par une belle liste de personnes et d'entités « taguées ». Visiblement, M. Éric Sargiacomo a cherché à faire le buzz et à soulever des indignations.
Pour bien exposer le problème, nous citerons ci-dessous des textes complets.
Cette affaire a pour origine un événement décrit dans une question écrite transpartisane de MM. Éric Sargiacomo (S&D), Benoit Cassart (Renew), Christophe Clergeau (S&D), Herbert Dorfmann (PPE), Dario Nardella (S&D) et Thomas Waitz (Verts/ALE), du 4 novembre 2024 :
« Limites maximales applicables aux résidus de pesticides dans les importations d’aliments pour animaux
Lors de la réunion de la commission de l’agriculture et du développement rural du Parlement européen du 4 septembre 2024, l’Autorité européenne de sécurité des aliments a présenté son rapport annuel sur les résidus de pesticides dans les aliments. Une partie du rapport se penche sur les denrées alimentaires produites dans des pays tiers et conclut que les produits importés contiennent plus de résidus de pesticides.
Les céréales destinées à l’alimentation animale figurent parmi les produits agricoles les plus importés par l’Union européenne. Toutefois, comme le souligne le rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, il n’y a pas de valeur maximale pour les résidus de pesticides dans les aliments pour animaux et la teneur en pesticides n’est pas contrôlée.
Cela semble particulièrement problématique. Dans les pays tiers, certains pesticides sont couramment utilisés avant la récolte, ce qui pourrait contribuer à des niveaux élevés de résidus dans les céréales. Par ailleurs, étant donné que les utilisations avant récolte sont fortement limitées dans l’Union, il existe un écart dans les normes de production.
1. L’incidence potentielle sur la santé animale et humaine (par la consommation de produits laitiers et de viande) et le risque d’accumulation dans l’environnement ont-ils été suffisamment pris en compte pour justifier l’absence de contrôles des résidus de pesticides dans les aliments pour animaux?
2. La Commission envisage-t-elle de présenter une proposition législative à ce sujet afin de combler ce manque? »
La Commission avait répondu le 13 janvier 2025 par la plume de (pour le compte de) M. Olivér Várhelyi, Commissaire à la Santé et au Bien-être Animal (c'est nous qui graissons :
« Le règlement (CE) no 396/2005[1] fixe les limites maximales applicables aux résidus (LMR) de pesticides présents dans les denrées alimentaires et les aliments pour animaux et couvre les produits énumérés dans son annexe I. Le règlement LMR couvre donc les produits utilisés non seulement dans les denrées alimentaires mais aussi dans les aliments pour animaux tels que les céréales, le soja ou les graines oléagineuses. Dans sa présentation du 4 septembre 2024, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) renvoyait aux produits utilisés exclusivement pour la production d'aliments pour animaux comme le fourrage, le foin ou la paille, pour lesquels, exceptionnellement, aucune LMR n'est fixée en raison de la faible incidence de ces produits sur la santé du consommateur.
Toutefois, l'absorption de résidus de pesticides par le bétail via les aliments pour animaux et l'éventuel transfert de résidus depuis les aliments pour animaux vers les denrées alimentaires d'origine animale constituent des éléments importants de l'évaluation des risques réalisée par l'EFSA avant l'approbation d'une substance active. La possible accumulation de résidus de pesticides dans l'environnement, notamment dans le sol, et le passage de ces résidus de pesticides du sol aux cultures utilisées pour l'alimentation humaine et animale sont également étudiés. Le cas échéant, des restrictions sont appliquées dans les conditions approuvées pour limiter leur présence dans l'environnement et/ou dans les denrées alimentaires et les aliments pour animaux.
Les États membres effectuent des contrôles officiels relatifs aux résidus de pesticide afin de faire respecter le règlement LMR. La présence de résidus dans les aliments pour animaux est donc contrôlée directement en analysant des produits utilisés dans les denrées alimentaires et les aliments pour animaux et, indirectement, en analysant des denrées alimentaires d'origine animale.
La Commission a récemment entamé des discussions avec les États membres concernant les éventuelles options et procédures permettant de fixer des LMR applicables à des aliments pour animaux spécifiques, dans le cadre du comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux[2].
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[1] Règlement (CE) no 396/2005 du Parlement européen et du Conseil du 23 février 2005 concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux d’origine végétale et animale et modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil (JO L 70 du 16.3.2005, p. 1).
[2] https://food.ec.europa.eu/horizontal-topics/committees/paff-committees_en
Cette réponse n'a pas dû être satisfaisante pour M. Éric Sargiacomo, qui en a donc posé une autre le 19 février 2025 :
« Résidus de pesticides dans les importations de soja
Suite à la réponse apportée par la Commission (E-002397/2024)[1] à une question portant sur le rapport annuel 2022 de l’Autorité européenne de sécurité des aliments sur les résidus de pesticides dans les aliments, il est nécessaire de porter à l’attention de la Commission le dernier paragraphe de la section 4.2.2 du rapport, consacré au glyphosate:
"Dans les végétaux ou parties de végétaux exclusivement utilisés pour la production d’aliments pour animaux, lorsque des LMR ne sont pas fixées, les substances suivantes ont été quantifiées: glyphosate (40,8 %), AMPA (10 %) et cation triméthylsulfonium (4,5 %); aucun résultat n’a été signalé comme supérieur au seuil de quantification pour le N-acétyl-glyphosate et aucun résultat n’a été signalé pour le N-acétyl-AMPA. D’après le réexamen des LMR (EFSA, 2019), il existe des usages autorisés sur des herbages et d’autres cultures fourragères à des doses très élevées. Avec les nouvelles restrictions d’approbation, ces usages ne seront plus autorisés dans l’Union européenne et les concentrations relevées dans les aliments pour animaux devraient baisser".
1. La Commission maintient-elle qu’il existe une limite maximale de résidus (LMR) pour le glyphosate et ses métabolites applicable au soja destiné à l’alimentation animale?
2. Y a-t-il une tolérance pour les importations?
3. À quelle fréquence les importations de soja sont-elles testées?
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[1] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/E-10-2024-002397-ASW_FR.html »
Ce à quoi M. Olivér Várhelyi a répondu le 8 avril 2025 (c'est toujours nous qui graissons) :
« Comme indiqué dans le règlement (CE) no 396/2005[1] et dans la réponse de la Commission E-002397/2024[2], des limites maximales applicables aux résidus (LMR) sont fixées pour les produits énumérés à l'annexe I dudit règlement. L'annexe I contient une liste de produits qui peuvent être utilisés comme denrées alimentaires ou aliments pour animaux, y compris le soja. Une LMR de 20 mg/kg a été établie pour le soja sur la base de la limite maximale du Codex Alimentarius et non sur la base d'une demande de tolérance à l'importation. À l'heure actuelle, les produits destinés uniquement à l'alimentation animale ne figurent pas encore à l'annexe I et aucune LMR n'est applicable aux produits ou parties de produits utilisés exclusivement pour la production d'aliments pour animaux en raison de leur faible incidence sur la santé des consommateurs.
Le contrôle des résidus de pesticides et l'application des LMR relèvent de la responsabilité des États membres. Ces derniers effectuent des contrôles officiels[3] des résidus de pesticides, vérifient le respect des LMR de l'UE existantes et évaluent l'exposition des consommateurs aux résidus de pesticides. Le soja importé de pays tiers peut être contrôlé aux frontières, sur le marché ou dans les locaux des opérateurs. La fréquence des contrôles dépend du programme de contrôle des États membres.
Les États membres soumettent les résultats des analyses des échantillons effectuées lors des contrôles officiels à l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Selon les derniers rapports annuels de l'EFSA sur les résidus de pesticides dans les denrées alimentaires, en 2022[4], 31 échantillons ont été soumis à des analyses pour y détecter la présence de glyphosate. La majorité (23 échantillons) ne contenait aucun résidu de glyphosate. En 2021, 93 échantillons ont été analysés et 63 ne contenaient aucun résidu de glyphosate; en 2020, 11 échantillons ont été analysés et aucun d'entre eux ne contenait de résidus de glyphosate. Aucun des échantillons ne contenait de résidus à des niveaux non conformes aux LMR applicables au cours de ces trois années.
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[1] http://data.europa.eu/eli/reg/2005/396/oj
[2] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/E-10-2024-002397-ASW_FR.html
[3] Conformément au règlement (UE) 2017/625 (ELI: http://data.europa.eu/eli/reg/2017/625/oj) et au règlement (CE) no 396/2005 (ELI: http://data.europa.eu/eli/reg/2005/396/oj).
[4] «The 2022 European Union report on pesticide residues in food»: https://doi.org/10.2903/j.efsa.2024.8753
C'est cette réponse qui a suscité l'interpellation de M. Olivér Várhelyi en séance au Parlement Européen par M. Éric Sargiacomo.
Y a-t-il un « scandale silencieux » comme l'affirme M. Éric Sargiacomo, ou au contraire un scandale tonitruant ?
La réponse est ci-dessus, avec les questions-réponses que nous avons reproduites verbatim.
Ajoutons que les limites maximales de résidus font l'objet d'une base de données. On trouvera des informations générales sur la politique française ici.
J'ai répondu à M. Éric Sargiacomo sur LinkedIn, en sourçant comme d'habitude. Il m'a répondu en me mettant... le lien de la réponse de M. Olivér Várhelyi du 8 avril 2025.
Pour rappel :
« ...des limites maximales applicables aux résidus (LMR) sont fixées pour les produits énumérés à l'annexe I dudit règlement. L'annexe I contient une liste de produits qui peuvent être utilisés comme denrées alimentaires ou aliments pour animaux, y compris le soja. […]
Le contrôle des résidus de pesticides et l'application des LMR relèvent de la responsabilité des États membres. Ces derniers effectuent des contrôles officiels [...] »
Puisqu'il est question d'un prétendu « scandale sanitaire », voici ce qu'a rapporté l'EFSA sur les contrôles des produits animaux – issus d'animaux qui ont peut-être été nourris ou complémentés avec des produits honnis du Mercosur [LMR = limite maximale de résidus ; LQ = limite de quantification ; RD = définition du résidu] :
« Au total, 23.377 échantillons de produits animaux ont été rapportés. Les résultats ont montré que 21.593 échantillons étaient exempts de résidus quantifiables (92,4 % contre 85,9 % en 2021), tandis que 1.540 échantillons (6,6 % contre 12,8 % en 2021) contenaient des pesticides à des concentrations quantifiables. Un dépassement de LMR a été identifié dans 244 échantillons (1 % contre 1,3 % en 2021), dont 134 (0,6 %) ont été jugés non conformes après prise en compte de l'incertitude des mesures.
Les pesticides les plus fréquemment détectés au-dessus de la LQ mais en dessous de la LMR (plus de 10 %) sont : les composés de cuivre (RD) (71,4 %), le chlordécone (RD) (16,7 %) et l'ion bromure (RD) (14,8 %). Le pesticide dont le taux de dépassement de la LMR est le plus élevé est les composés de cuivre (RD) (13 %). »
Soyons mesquins : les composés de cuivre sont utilisés en agriculture biologique – largement parce qu'il n'y a guère d'autres solutions fongicides. Mais ils ne sont pas utilisés en productions animales. Le cuivre est un oligoélément indispensable à la vie, mais à faible dose ; à doses plus élevées, il est nocif. Quant au chlordécone, c'est un polluant historique. Aucune substance évoquée ci-dessus n'est, a priori, pertinente pour les aliments pour animaux importés (maïs et soja essentiellement).