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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Paludisme et Artemisia : quand le journal Le Monde relaie de la pseudo-science

9 Mai 2025 Publié dans #AFIS, #critique de l'information, #Santé publique

Paludisme et Artemisia : quand le journal Le Monde relaie de la pseudo-science

 

Jean-Paul Krivine, Association Française pour l'Information Scientifique*

 

 

(Source)

 

 

À l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le paludisme (25 avril) instituée en 2007 par l’OMS, le journal Le Monde a publié une tribune à la fois dangereuse en termes de santé publique et contraire au consensus scientifique.

 

Selon l’OMS, en 2023, le paludisme concernait 263 millions de personnes et, cette année-là, 597 000 en sont décédés. Ce fléau touche principalement l’Afrique où les enfants de moins de cinq ans représentent les trois-quarts des décès. La maladie est transmise par piqûre de moustiques infectés. L’OMS a mis en place une stratégie visant à réduire l’incidence de la maladie et les taux de mortalité d’au moins 90 % d’ici 2030.

 

La lutte contre les moustiques, vecteurs de la maladie, est une des composantes essentielles des stratégies mises en œuvre avec l’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insecticide et la pulvérisation intra-domiciliaire. Des médicaments à base d’artémisinine constituent le traitement le plus efficace à ce jour contre la forme la plus grave de paludisme, celle due aux infections par le parasite Plasmodium falciparum.

 

 

Artémisinine ou Artemisia ?

 

L’artémisinine est une molécule organique extraite d’Artemisia annua, une plante originaire d’Asie et utilisée dans la médecine traditionnelle chinoise depuis des siècles, mais désormais cultivée dans de nombreuses régions du monde. L’artémisinine commence également à être produite par biosynthèse. Cette molécule s’est révélée efficace contre les infections à Plasmodium falciparum et sa découverte a valu à la chercheuse chinoise Youyou Tu le prix Nobel de médecine en 2015. L’artémisinine est aujourd’hui recommandée par l’OMS en tant que principal traitement contre le paludisme. L’administration de cette molécule doit se faire dans le cadre de « médicaments combinés » associant un autre antipaludéen afin de limiter les risques d’apparition de résistances. En effet, l’émergence de résistances est une des menaces les plus importantes pesant sur ce mode de traitement. Ainsi, depuis 2005, l’OMS récuse explicitement tout usage de l’artémisinine en monothérapie orale.

 

Parallèlement, des préparations non pharmaceutiques à base de feuilles d’Artemisia sont mises en avant. Ces formes non pharmaceutiques d’Artemisia peuvent être des jus produits à partir de la plante, des tisanes élaborées à partir de feuilles séchées ou encore des feuilles sèches en poudre à ingérer. Leurs promoteurs leur attribuent une efficacité équivalente à celle des traitements pharmaceutiques. Mais ces préparations sont strictement proscrites par l’OMS et, en France, par l’Académie nationale de médecine. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, il est impossible de savoir quelle quantité du principe actif est réellement ingérée : la variété précise de la plante utilisée, le lieu de la culture, la période de récolte, le procédé de séchage, les modes de conservation sont quelques-uns des nombreux paramètres qui vont influencer la teneur en artémisinine. En infusion, la température de l’eau va également influer. Ceci conduit à des doses souvent insuffisantes mettant en danger ceux qui ont recours à ces produits devenus alors inefficaces (car sous-dosés), favorisant alors le développement de résistances. Par ailleurs, ces préparations ne contiennent qu’un seul principe actif contre le paludisme (monothérapie), autre facteur majeur d’apparition de résistance.

 

Malgré cela, des personnalités et des associations tentent de promouvoir la plante Artemisia comme un traitement naturel, efficace et bon marché contre le paludisme. C’est en particulier le cas de l’association La maison de l’Artemisia.

 

 

 

 

Une tribune pseudo-scientifique publiée par Le Monde

 

C’est dans ce contexte que le journal Le Monde a publié une tribune intitulée « Une plante peu onéreuse pourrait être une réponse face aux formes résistantes du paludisme » et présentée par le journal comme émanant d’un « collectif de chercheurs internationaux ». L’appel est une accumulation de contre-vérités et d’affirmations hautement spéculatives.

 

Pour les signataires, « contrairement aux traitements médicamenteux purs, la plante entière agit par synergie de nombreux principes actifs, rendant plus difficile l’apparition de résistances ». Ils militent donc pour qu’« un essai clinique international soit réalisé sur l’efficacité de la plante entière Artemisia contre le paludisme, pour asseoir la certitude scientifique nécessaire à sa diffusion à grande échelle ».

 

Les signataires de la tribune et le journal Le Monde semblent oublier que les traitements médicamenteux n’utilisent plus l’artémisinine seule, mais toujours de façon combinée, justement pour limiter l’apparition de résistances. Et ils spéculent sur l’existence d’autres principes actifs qui seraient présents dans la plante entière et qui pourraient avoir une fonction antipaludique similaire aux composés introduits dans les médicaments recommandés. L’Inserm, à l’encontre de ces spéculations, note que « plusieurs études, principalement in vitro, ont été menées sur le sujet » et que, « dans l’ensemble, [les résultats] suggèrent que l’activité d’autres composants de la plante contre P. falciparum, comme les flavonoïdes, est négligeable par rapport à celle de l’artémisinine ».

 

Mais surtout, les signataires de la tribune ignorent complètement le fait que, avec la plante entière, il est impossible de connaître et de contrôler précisément la quantité de principe actif administrée avec, pour conséquence, la mise en danger des patients qui utilisent ce mode de traitement ou ceux qui seraient inclus dans un essai clinique.

 

Les auteurs de la tribune appuient leurs spéculations sur les vertus de la plante entière par une simple lettre publiée en mars 2025 dans la revue JAMA (Journal of the American Medical Association), dont deux des trois auteurs sont également signataires de la tribune du Monde. Cette lettre, loin de constituer « une lettre déterminante » sur le sujet comme proclamé dans la tribune, n’est qu’un simple commentaire sur un article paru deux mois auparavant rapportant des résistances aux traitements antipaludéens en Ouganda.

 

 

« Collectif de chercheurs » ?

 

Ajoutons enfin que la tribune publiée est loin d’émaner d’un « collectif de chercheurs internationaux » comme l’affirme le journal Le Monde.

 

Sur les 28 signataires, on retrouve bien quelques chercheurs avec des publications scientifiques, mais certains suscitent des réserves. Ainsi, Pamela Weathers, professeur à la Worcester Polytechnic Institute aux États-Unis était co-auteur de deux articles publiés en 2018 et 2019 affirmant l’efficacité de tisanes à base d’Artemisia. Ces deux articles ont été rétractés par l’éditeur, entre autres pour des inquiétudes relatives à « la fiabilité des données incluses dans l’article ». Elle avait co-signé ses articles avec le Pr Christian Perronne, largement discrédité par ailleurs pour ses propos conspirationnistes autour de l’épidémie de Covid-19 et ses positions sur la maladie de Lyme à l’opposé du consensus médical sur le sujet.

 

Parmi les autres signataires, on trouve des infirmières, des médecins généralistes ou des pharmaciens qui n’ont aucune activité de recherche. Certains sont auteurs de livres vantant les mérites de la thérapie par les plantes, par les pierres ou par les huiles essentielles (Pascale Gélis-Imbert, Claire Laurent).

 

Lucile Cornet-Vernet est une autre signataire. Orthodontiste, elle est fondatrice et vice-présidente de l’association La Maison de l’Artemisia qui commercialise des produits à base de cette plante et affirme, sur son site, qu’il est possible, pour les personnes vivant en zone impaludée, de « guérir du paludisme » en buvant un litre de tisane par jour pendant sept jours (moitié moins pour un enfant de moins de cinq ans). La Maison de l’Artemisia est le cadre fédérateur initiateur d’événements où se retrouvent bon nombre des signataires de la tribune (dont un symposium à venir sur l’Artemisia).

 

 

Conclusion

 

Les tribunes publiées par un journal passent par une validation éditoriale. Le moins que l’on puisse dire, c’est que, pour cette tribune, cette validation a été absente ou complaisante.

 

______________

 

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. Ingénieur informaticien à la retraite, il est ancien salarié d’une grande entreprise de l’énergie. Il a fait une partie de sa carrière dans le domaine de l’intelligence artificielle en entreprise et a enseigné cette discipline pendant une dizaine d’année à l’École supérieure d’électricité. Il a été l’un des fondateurs, en 1989, de l’Association française d’intelligence artificielle.

 

Source : Paludisme et <i>Artemisia</i> : quand le journal <i>Le Monde</i> relaie de la pseudo-science - Afis Science - Association française pour l’information scientifique

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