Lobbying contre la proposition de loi Duplomb-Ménonville : qui est l'auteur de cette tribune dans le Monde ?
(Source)
Il y a tout un monde qui s'excite parce que la proposition de loi dite « Duplomb-Ménonville », adoptée en première lecture au Sénat, doit arriver prochainement devant l'Assemblée Nationale. Elle vise selon son titre à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » ; surtout, elle remettrait en cause certaines dispositions franco-françaises sur – ou plutôt contre – des produits phytosanitaires et des modes de traitement (par drones). Alors...
Vous avez peut-être lu la tribune d'un « collectif » publiée par – d'ordinaire on écrit « dans » – le Monde le 30 avril 2025, « Nous ne pouvons plus tolérer les coûts humains, écologiques et financiers des pesticides » (les guillemets font partie du titre).
En chapô :
« Le gouvernement a suspendu en février 2024 le plan Ecophyto, qui vise à réduire l’usage des pesticides en France. Dans une tribune au "Monde", un collectif de 379 élus le déplore en rappelant la haute toxicité de ces produits, ainsi que leur coût pour la communauté, évalué à 18 milliards d’euros par an, entre frais médicaux, indemnisations, dépollutions et soutiens à l’agriculture conventionnelle.
Mise en route, pour tout dire, particulièrement malhonnête. Car une demi-vérité est un vrai mensonge.
La suspension du plan Ecophyto a été très temporaire et, en fait, assez artificielle ou notionnelle, le temps d'apaiser les colères du monde agricole et de concrétiser l'adoption d'un autre indicateur de performance, le HRI à la place du NODU.
Pour être clair : le plan n'est plus suspendu. C'est du reste dit dans la tribune...
« […] S’y est substitué en mai 2024 un nouveau plan Ecophyto, remplaçant le suivi rigoureux des usages par un indicateur de risque harmonisé (HRI-1), largement insuffisant pour limiter efficacement l’exposition de la population. »
Le fin de la phrase est une appréciation qui n'est évidemment pas partagée par les auteurs – de l'Union Européenne – de l'indicateur.
Une caution sans doute appréciée... (Source)
La tribune est derrière un péage, mais on trouvera le texte complet ici.
Sans surprise, il déroule l'argumentaire anti-pesticides avec tous ses poncifs, contre-vérités et approximations. Ainsi :
« Première puissance agricole d’Europe, la France y représente le deuxième pays le plus consommateur de pesticides après l’Espagne, avec environ 70 000 tonnes de substances achetées en moyenne chaque année. »
C'est tout simplement tricher ! Les quantités devraient être rapportées aux surfaces agricoles ; la France se trouve plutôt dans la moyenne des États membres de l'Union Européenne sur ce critère, bien plus pertinent.
(Source)
« Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées. » Le mot est de Winston Churchill.
Il est particulièrement pertinent ici ! La tribune affirme :
« […] dans un récent sondage, 83 % des Français souhaitent maintenir l’interdiction des néonicotinoïdes et 66 % veulent préserver les compétences de l’ANSES. »
Petit problème : le document cité n'est accessible que sur demande !
Grand problème : M. Gil Rivière-Wekstein écrit dans sa Newsletter :
« […] Or, si l’on prend l’ensemble des personnes interrogées, ce sont 53 % qui se déclarent en faveur du maintien de l’interdiction, tandis que 36 % estiment n’en savoir pas assez pour se prononcer, et 11 % estiment qu’il faut lever l’interdiction. Même constat pour la question sur le maintien des compétences de l’Anses sur les AMM : 35 % sont pour et 18 % sont contre, tandis que 47 % estiment ne pas avoir assez de connaissances pour avoir un avis. »
Peut-être pensez-vous que M. Gil Rivière-Wekstein n'est pas une source fiable... Générations Futures a aussi présenté ces chiffres dans sa restitution du sondage, avec bien sûr les circonvolutions qu'il fallait pour présenter à la fois les pourcentage par rapport à l'ensemble des sondés et par rapport à ceux qui ont exprimé un avis.
Et puis les sondages... Comment susciter la réponse attendue (c'est nous qui graissons) ?
« Lorsqu’ils sont dangereux, les pesticides doivent être interdits même s’il n’existe pas d’autres solutions "économiquement viables" ».
Nous noterons – avec stupeur – que dans cette enquête pour Générations Futures, l'IFOP a fourni les chiffres rapportés aux « exprimés ».
Prenons encore un exemple :
« En Charente-Maritime, dans la plaine céréalière d’Aunis, les analyses de cheveux et d’urine de 70 enfants révèlent la présence de plusieurs pesticides dont certains, comme le lindane, sont interdits depuis plus de vingt ans. Ces analyses conduites en 2024 dénombrent jusqu’à dix molécules différentes par enfant.
Les cancers pédiatriques sont ainsi surreprésentés dans les zones rurales proches des cultures intensives. A Saint-Rogatien (Charente-Maritime), le nombre de cancers infantiles observés est quatre fois supérieur à la moyenne nationale. En plus des cancers, les enfants sont aussi susceptibles d’être atteints de troubles du neurodéveloppement et de malformations lorsqu’ils sont exposés aux pesticides. »
Il y a bien des choses à dire sur ces deux paragraphes. Voici la plus simple : il n'y a aucune preuve à l'appui de l'affirmation de la surreprésentation des cancers pédiatriques dans les zones rurales proches des cultures intensives. De plus, le cas de Saint-Rogatien est complexe et, jusqu'à preuve du contraire ne constitue pas un cluster, ni est lié aux produits phytosanitaires.
La liste des signataires est mise en lien dans l'article de Santé-Environnement-Politique.
C'est sur le site de... Secrets Toxiques, et c'est intitulé :
« LES SIGNATAIRES DE NOTRE TRIBUNE »
(Source)
Nous ne dénierons pas le droit de signer une tribune qu'ils n'ont pas rédigée, et peut-être même pas lue, aux 379 élus, dont 105 députés et 14 sénateurs.
Mais, pour notre part, nous devrions sans doute avoir le droit de savoir d'où provient la tribune qu'ils ont signée et que le Monde a publiée.
Liriez-vous cette tribune du même œil si vous saviez qu'elle vient en fait d'un consortium d'entités militantes ?
Bien plus important : le sort de notre agriculture, de notre souveraineté alimentaire, de notre économie, de l'avenir de nos enfants est entre les mains de législateurs dont plus d'un sur six a souscrit à cette tribune. C'est effrayant.