Antipoux : le Parisien fait de formidables découvertes !
(Source)
N'entretenons pas un suspense intolérable : avec « Produits antipoux : les autorités sanitaires alertent sur la présence de pesticides », le Parisien a découvert que les antipoux contiennent... des insecticides. Mais à quelles sources s'adressent-ils pour produire un article sonnant le tocsin ?
Le 24 avril 2025, l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l'Alimentation, de l'Environnement et du Travail a publié un communiqué au titre très neutre, « Analyse des résultats de l’expertise collective de l’Inserm sur les effets des pesticides sur la santé ».
En résumé :
« Surveiller et prendre en compte les effets indésirables des produits phytopharmaceutiques est primordial pour ajuster leurs emplois et leurs autorisations de mise sur le marché si nécessaire. Au travers de son dispositif de phytopharmacovigilance, l’Anses a analysé les résultats d’un travail scientifique d’envergure : l’expertise collective de l’Inserm sur les liens entre l’exposition aux pesticides et la santé humaine mise à jour en 2021. A l’issue de cette analyse, l’Agence identifie plusieurs signaux sanitaires dont un signal fort concernant la famille des pyréthrinoïdes, utilisée dans des produits phytopharmaceutiques mais également dans des biocides et des médicaments vétérinaires. L’Anses rappelle l’importance de revoir régulièrement les évaluations des substances et produits au vu de nouvelles données. »
Ce communiqué n'est pas un monument de communication ! Que signifient en pratique ces « signaux sanitaires » et ce « signal fort » ? On ne le saura pas à la lecture du communiqué !
Mais l'ANSES a notamment mis en lien une « Alerte issue de la veille scientifique relative à l’effet de l’exposition aux pyréthrinoïdes lors de la grossesse sur le neurodéveloppement des enfants à un an ». On y trouve ces définitions :
« • Alerte : signal suffisamment validé pour lequel, après une première évaluation du risque, il est considéré qu’il représente une menace pour la santé des populations humaines, animales, végétales ou de l’environnement, et qu’il nécessite une réponse adaptée pour la prévenir.
• Signal validé : signal qui n’est pas considéré comme une alerte sanitaire, mais peut toutefois nécessiter des mesures de gestion comme, par exemple, le dépassement de seuil réglementaire définissant une non-conformité, dans la perspective de prévenir la survenue d’une situation de risque sanitaire à terme. Le délai pour agir est moins prégnant que dans le cas d’une alerte
• Signal faible : signal qui après analyse ne constitue pas une alerte, mais requiert de maintenir voire d’intensifier la vigilance ou d’engager des investigations complémentaires. »
Les recommandations finales ?
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Déterminer les contributions des usages biocides et/ou phytopharmaceutiques dans l’exposition de la population aux pyréthrinoïdes ;
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Déterminer des Valeurs Toxicologiques de Référence pour interpréter les niveaux d’imprégnation de la population aux pyréthrinoïdes et évaluer les risques sanitaires encourus ;
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Mettre en place des actions d’information et de sensibilisation du personnel de santé et de la population générale pour limiter l’utilisation de produits contenant les molécules pyréthrinoïdes identifiées comme préoccupantes pour la santé, en particulier lors de la phase prénatale et la petite enfance.
Bref, on n'est guère plus avancé. Et peut dès lors s'interroger sur la nature et la portée de l'exercice, ainsi que que sur la raison d'être de la communication.
Mais on peut tout de même tirer une conclusion avec une terminologie en usage dans ma région d'adoption : il n'y a pas le feu au lac.
D'aucuns se sont évidemment précipités pour peindre le diable sur la muraille. Ainsi, toujours le 24 avril 2025, mais déjà à 00h01, le Monde publiait sous la signature de M. Stéphane Foucart « Pesticides : l’Anses lance une alerte d’ampleur après un examen des effets de produits toujours autorisés ». C'est devenu « L'Anses alerte sur les effets de pesticides autorisés » dans l'édition papier.
En chapô dans l'édition électronique :
« Les experts de l’agence nationale de sécurité sanitaire attirent l’attention sur une diversité de maladies liées à ces substances. Ils s’inquiètent principalement de leurs effets sur le neurodéveloppement et de la survenue de troubles du comportement chez les enfants. »
Le Parisien a choisi d'être plus spécifique sous la signature de Mme Julie De Coucy : « Produits antipoux : les autorités sanitaires alertent sur la présence de pesticides ».
Le journal a sans doute voulu postuler pour le meilleur titre de l'année... À moins qu'en rédigeant son article, l'auteure n'ait découvert – fortuitement – qu'un antipoux, destiné à tuer les poux et leurs lentes, contient (contiendrait) un ou des « pesticides », et découvert ainsi le titre putaclic.
En fait, elle a eu du mal à écrire « biocides », le terminus technicus quand on parle de la substance considérée dans son utilisation médicale ou vétérinaire. Mais admettez que « biocides », c'est moins putaclic.
En chapô :
« L’Anses met en garde contre les pyréthrinoïdes, substances notamment utilisées dans la composition des antipoux, des antimoustiques et des insecticides ménagers. Elles pourraient être à l’origine de pathologies neurologiques chez les enfants. »
On ne se gêne pas au Parisien (c'est nous qui graissons) :
« L’Anses pointe les liens entre l’exposition aux pesticides in utero et des pathologies graves ».
Les pyréthrinoïdes sont ensuite accusés de tous les maux... enfin... suspectés : neurotoxiques, cancérigènes et perturbateurs endocriniens.
Problème : aucune indication de cancérogénicité et de perturbation endocrinienne dans l'alerte de l'ANSES !
Pour bien enfoncer le clou, le Parisien avait consulté, très sélectivement... M. François Veillerette, « cofondateur de l’association Générations futures », qui « alerte » :
« Ce que montre l’analyse, c’est une imprégnation chronique, à bas bruit, mais massive ».
Là aussi, on a du mal à trouver la source... alors que les recommandations de l'ANSES tendent à promouvoir davantage de recherches pour en savoir plus sur l'imprégnation des populations et ses origines.
Plus loin dans le texte, M. François Veillerette « déplore »
« un décalage persistant entre la science académique et la science réglementaire, qui tarde à intégrer ces signaux d’alerte ».
L'auteure de l'article insiste du reste :
« Alors que la littérature scientifique alerte depuis des années, la réglementation peine à suivre. »
Pour notre part, bien souvent, nous nous en félicitons ! Quand on voit la qualité de certaines recherches académiques... À preuve : bien qu'ayant identifié plusieurs études postérieures à l'expertise collective mise à jour de l'INSERM, le groupe d'experts réunis par l'ANSES n'en a retenu qu'une (Qi et al.) à l'appui de son alerte.
Capture pesticides et punaises dans ressources
Le document de l'ANSES n'a pas été suffisamment anxiogène. Alors le Parisien interroge aussi le Dr Joël Spiroux de Vendômois, président du Comité de Recherche et d'Information Indépendantes sur le Génie Génétique (CRIIGEN) – le cadre d'une infameuse étude sur des rats –, médecin généraliste, mais aussi homéopathe, etc.
Et là, on est servi :
« Ce sont des perturbateurs endocriniens : ils modifient le fonctionnement des cellules. Et on observe alors des pathologies de l’enfant comme les troubles "dys-" (dyslexie, dyspraxie) ou encore les TDAH (troubles de l’attention) […] Ce sont des perturbateurs neurodéveloppementaux potentiels. Ils interfèrent avec les circuits dopaminergiques, ce qui peut nuire à la mémoire, à la concentration, aux apprentissages […] C’est comme une goutte qui tombe tous les jours. À long terme, cela peut saturer les mécanismes de défense de l’organisme. »
Laissons ce verdict sans commentaires...
Comment ne pas citer la Reine dans « Alice au pays des merveilles » ?
M. François Veillerette s'indigne que ces produits restent largement accessibles, et qu'ils sont souvent perçus comme inoffensifs :
« On les trouve en pharmacie, en supermarché… »
Ben oui ! On trouve des antipoux en pharmacie... des insecticides (antimoustiques, antimites...) en supermarché...
C'est intolérable !
« Mais pour Générations futures, cela [les consultations préventives pour les femmes souhaitant avoir un enfant] ne suffit pas : l’association réclame l’interdiction pure et simple des pyréthrinoïdes pour usage domestique. "On ne peut pas d’un côté alerter sur leur neurotoxicité, et de l’autre continuer à vendre ces produits en toute liberté", insiste Veillerette [...] »
Les pyréthrinoïdes pour usage agricole, il en réclame aussi l'interdiction...
Le Parisien termine en apothéose :
« [M. François Veillerette] rappelle que des solutions existent : "répulsifs naturels, alimentation bio…" ».
Les antipoux contenant des pyréthrinoïdes sont devenus rares en France en raison des résistances et... des risques neurotoxiques.
Les produits les plus utilisés aujourd'hui sont à action mécanique (asphyxie) ou à base d'ingrédients naturels, notamment d'huiles essentielles (et à l'efficacité moins évidente, mais ces huiles sont... naturelles).
Autrement dit, même si les produits précités ont une action insecticide (ou répulsive) avérée ou revendiquée, le titre de l'article du Parisien relèverait de l'escroquerie... si la bêtise ne suffisait pas à l'expliquer.
Le groupe de travail « Pharmacovigilance » – sous-groupe « Santé humaine » de l'ANSES a été présidé par sa vice-présidente, Mme Cécile Chevrier, directrice de recherche à l'INSERM.
Les experts sont certes nommés à titre personnel, intuitu personae, mais il est permis d'émettre au minimum un questionnement, l'exercice en cause ayant essentiellement consisté à tirer des enseignements de l'expertise collective de l'INSERM.
Qui plus est, Mme Cécile Chevrier a fait partie des experts et auteurs de cette expertise.