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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Repenser l'alimentation « de la ferme à la table » dans l'UE : une victoire pour la science, les agriculteurs et l'avenir de l'Afrique

27 Avril 2025 Publié dans #Afrique, #Union Européenne, #Politique

Repenser l'alimentation « de la ferme à la table » dans l'UE : une victoire pour la science, les agriculteurs et l'avenir de l'Afrique

 

Pacifique Nshimiyimana, Réseau Mondial d'Agriculteurs*

 

 

 

 

Les bonnes nouvelles pour les agriculteurs européens pourraient être encore meilleures pour l'agriculture africaine, suite à la récente décision de l'Union Européenne de repenser et de se retirer de ses politiques autodestructrices dans le cadre du « Green Deal » et de la stratégie « de la ferme à la table ».

 

Il ne s'agit pas seulement d'une question européenne : ces décisions ont de profondes implications pour l'Afrique, le commerce mondial et le rôle de la science dans l'élaboration des politiques agricoles.

 

Mon continent pourrait enfin bénéficier d'une véritable chance de libérer son vaste potentiel agricole.

 

Jusqu'à présent, les agriculteurs africains comme moi ont souffert de la désinformation européenne en matière de science et de technologie. Ces efforts de propagande, alimentés par des organisations idéologiques qui ne connaissent pas grand-chose à l'alimentation, ont étouffé l'innovation et bloqué l'accès aux outils dont nous avons besoin.

 

Pendant trop longtemps, les Africains ont pris l'habitude de se tourner vers l'Europe pour y trouver un leadership politique et des opportunités économiques. En conséquence, les fantasmes environnementaux de son « Green Deal » ont eu un impact sur notre propre développement agricole.

 

Lorsque les bureaucrates de Bruxelles décident de promouvoir l'agriculture biologique dans l'UE, ils encouragent les Africains à faire de même, créant ainsi des obstacles aux technologies dont nous avons désespérément besoin. Les gouvernements africains hésitent à approuver l'utilisation de cultures résistantes à la sécheresse et l'utilisation d'engrais qui améliorent les sols parce qu'ils craignent de perdre les marchés d'exportation et les financements de l'UE.

 

En tant qu'agriculteur au Rwanda, j'ai été le témoin direct de ce problème. Alors qu'une grande partie du reste du monde a bénéficié de la technologie des cultures génétiquement modifiées, des engrais de synthèse et des techniques d'irrigation avancées, nous avons eu du mal à entrer dans le XXIe siècle à cause de ce que l'UE a jugé acceptable et inacceptable.

 

Les agriculteurs d'Amérique du Nord, d'Amérique du Sud et d'ailleurs considèrent ces outils comme allant de soi. Pendant ce temps, l'UE s'est opposée à la plupart d'entre eux, et trop d'Africains ont pris exemple sur l'Europe. Nous sommes coincés dans un passé dépassé.

 

Le résultat pour l'Afrique est un triste mélange de pauvreté, de migrations massives et d'insécurité alimentaire. La plupart des personnes de mon âge, qui devraient être la prochaine génération d'agriculteurs africains, ont abandonné les exploitations familiales dans les zones rurales pour migrer vers les villes et les pays occidentaux, ou, s'ils en ont les moyens, pour quitter définitivement l'Afrique.

 

L'Afrique devrait être le grenier à blé du monde : un moteur de productivité. Or, en matière d'agriculture, nous sommes plutôt un cas désespéré, un sous-performant permanent qui accuse un retard par rapport au reste du monde dans presque toutes les catégories d'agriculture.

 

Nous ne manquons pas d'agriculteurs. Nous sommes des millions. Selon la Banque Mondiale, deux tiers des Africains travaillent dans l'agriculture, qui représente entre 30 et 40 % du PIB.

 

Je suis l'un d'entre eux. En tant qu'agriculteur et entrepreneur agroalimentaire, je produis des avocats Hass, des bananes et des eucalyptus, j'élève du bétail et j'ai des ruches. J'ai aussi du mal avec les choses de base. Il m'est difficile de mettre la main sur du petit matériel, comme des petits tracteurs et leurs outils.

 

Mon monde agricole est totalement différent de celui de l'Europe, et ce qui est logique pour les pays riches de l'UE ne l'est pas pour les pays pauvres de l'Afrique subsaharienne.

 

Si l'Europe veut rendre la vie difficile à ses propres agriculteurs par des réglementations sévères, c'est un choix politique. Ce choix a des conséquences, comme l'augmentation du coût des denrées alimentaires. Toutefois, les pays développés ont le luxe de pouvoir commettre de telles erreurs. Ils peuvent se permettre des bévues.

 

Il s'avère toutefois que le programme de l'Union Européenne en matière de « Green Deal » n'a même pas de sens pour l'Europe, comme l'ont fait savoir de nombreux agriculteurs européens dans leurs protestations publiques et comme l'ont montré de nombreux électeurs européens dans les urnes.

 

Aujourd'hui, la Commission Européenne a reconnu son erreur. Elle a traité les agriculteurs comme des ennemis de l'environnement plutôt que comme des alliés d'une production alimentaire abordable qui peuvent également faire partie de la solution au changement climatique.

 

Il s'agit peut-être plus d'une question de survie que d'un nouvel amour de la science, mais quel qu'en soit le motif, cela représente une formidable opportunité pour les agriculteurs africains.

 

Alors que l'Europe se retire de son « Green Deal », l'Afrique a la possibilité de s'affranchir des politiques qui limitent le progrès technologique et l'innovation dans l'agriculture, et les décideurs politiques africains disposent désormais d'un précédent pour remettre en question les récits anti-scientifiques.

 

Je travaille déjà d'arrache-pied pour faire entrer mon exploitation dans l'ère moderne en introduisant des méthodes d'agriculture de précision, en travaillant avec la numérisation pour enregistrer les données agricoles et en recherchant des solutions de financement innovantes par l'intermédiaire de la plateforme pWallet afin d'accéder aux marchés et aux financements.

 

Mais nous devons être encore plus ambitieux. L'UE a mis trop de temps à réaliser son erreur, mais c'est une opportunité pour l'Afrique. Les dirigeants européens agissent par souci de survie et non par amour de la science. Leurs agriculteurs ont exigé un changement. C'est le moment pour l'Afrique de construire un système agricole résilient et autosuffisant.

 

Cela marque la fin d'un investissement à long terme dans la désinformation visant la révolution verte de l'Afrique. La voie à suivre est claire : la science doit montrer la voie et l'Afrique doit se nourrir elle-même.

 

_______________

 

Pacifique Nshimiyimana

 

Pacifique est titulaire d'une licence en biotechnologie. Il est agriculteur et entrepreneur. En décembre 2015, il a créé Real Green Gold Ltd, en utilisant un demi-hectare de terres appartenant à sa famille. Il a développé une ferme de démonstration de production de bananes avec plus de 15 variétés de bananiers et a formé des petits producteurs tout en concluant des contrats pour acheter leurs bananes de première qualité. Il les vend aux hôtels et restaurants haut de gamme de Kigali. Aujourd'hui, il a étendu sa ferme à 3 hectares, en y ajoutant des avocats et d'autres fruits et légumes comme les tomates, les oignons et les aubergines. Avec l'augmentation du nombre de cultures, il a commencé à travailler avec un plus grand nombre d'agriculteurs. Il travaille actuellement avec 144 petits producteurs de tout le Rwanda. Le groupe a été confronté à la maladie de Panama, une maladie dévastatrice pour les bananiers. Il est l'un des membres fondateurs du Rwandan Youth in Agribusiness Forum (RYAF), un réseau national de jeunes qui s'occupent de production primaire, de transformation alimentaire et de services de vulgarisation.

 

Source : EU’s Farm to Fork Rethink:  A Victory for Science, Farmers, and Africa’s Future – Global Farmer Network

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H
Chapeau bas. Voilà des africains dont il faut parler.
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M
Bravo à Pacifique pour son discours et la qualité de son texte.<br /> Vive le Rwanda et ses agriculteurs entreprenants et courageux.
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