Indemnisation de maladies en lien avec des substances ou des phénomènes – illustration par le cas des essais nucléaires dans le Pacifique
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La science nous dit... Le politique peut décider, pour des raisons qui lui sont propres, bonnes ou mauvaises, de s'en écarter. Où placer le curseur ? Attention aux effets pervers.
Un collectif a publié – ou plutôt, le Point a publié, en accès libre – une tribune très courageuse, et bien sûr très rationnelle, « Essais nucléaires en Polynésie : l’éclairage scientifique oublié dans la décision politique ? ».
Les signataires :
« François-Marie Bréon est chercheur physicien. Il intervient ici en tant que porte-parole de l'Association française pour l'information scientifique (AFIS).
Patrice Baert est médecin du travail, spécialiste du nucléaire. Il a été membre de la commission Erom et médecin-chef du centre médical de suivi des vétérans des essais nucléaires en Polynésie française.
Jean-Philippe Vuillez est praticien hospitalier de biophysique et médecine nucléaire retraité. Il a été membre du Civen.
Roland Masse est ancien directeur de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI). Il est membre de l'Académie des technologies et correspondant de l'Académie de médecine.
Bertrand Jordan est directeur de recherche émérite du CNRS dans le domaine de la génétique et la génomique. Il est titulaire d'un doctorat de physique nucléaire.
Yvan Bec est médecin du travail, spécialiste du suivi des travailleurs exposés aux rayonnements ionisants. »
En chapô :
« Malgré les analyses rassurantes, certaines figures militantes et politiques entretiennent le mythe d’une population sacrifiée au nom de la grandeur de la France. »
Cela ne rend qu'en partie le propos. Selon la conclusion :
« L'État français a choisi de mettre en place une procédure qui reconnaît très largement le statut de victime des essais nucléaires alors qu'une analyse scientifique démontre que la très grande majorité de ces "victimes" ont un cancer qui est sans lien avec l'exposition à la radioactivité. C'est là un choix qui permet d'être quasi-certain de ne pas laisser de côté une personne réellement victime de ces essais.
Un effet pervers de cette méthode est de générer le sentiment que les essais ont effectivement conduit à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de cancers supplémentaires, alors que les études scientifiques conduisent toutes à des estimations très largement inférieures. Les procédures d'indemnisation devraient s'accompagner d'une meilleure communication pour rappeler ce fait essentiel : la très grande majorité des victimes légales ont développé un cancer qui est sans lien avec l'exposition radioactive. »
On lira sur le Point les explications détaillées, simples à comprendre, qui ont amené à cette conclusion.
Il y a d'autres domaines dans lesquels l'État français a choisi de mettre en place une procédure qui reconnaît très largement le statut de « victime ».
C'est le cas des maladies professionnelles, ainsi que des « pesticides ». Rappelons que ce terme est ainsi défini, par exemple, dans le tableau « Hémopathies malignes provoquées par les pesticides » :
« Le terme "pesticides" se rapporte aux produits à usages agricoles et aux produits destinés à l'entretien des espaces verts (produits phytosanitaires ou produits phytopharmaceutiques) ainsi qu'aux biocides et aux antiparasitaires vétérinaires, qu'ils soient autorisés ou non au moment de la demande. »
L'extension du système d'indemnisation aux personnes qualifiées de « victimes des pesticides », particulièrement aux enfants, soulève une problématique similaire à celle des essais nucléaires. Cela a été illustré par deux cas récents.
Et cela appelle la même recommandation : il est important que les procédures d'indemnisation s'accompagnent d'une meilleure communication pour rappeler un fait essentiel : dans la très grande majorité des situations, il est impossible de conclure à une relation de cause à effet entre l'agent réputé causal et la survenue de l'affection ayant donné lieu à une indemnisation.
Dans l'un des cas récents, le Fonds d'Indemnisation avait écrit :
« Devant la profession exercée par la maman, la commission considère que l'exposition professionnelle aux pesticides, bien que limitée, est plausible, et retient la possibilité de lien de causalité entre la pathologie de l'enfant et l'exposition aux pesticides durant la période prénatale. »
Ce n'est pas suffisant pour dissuader les interprétations abusives, l'instrumentalisation des cas d'indemnisation par l'activisme ou la prédation (les deux pouvant se combiner).
Les régimes d'indemnisation ont été conçus de manière à favoriser les demandeurs – par conception rationnelle ou avec des arrières-pensées, mais c'est là un autre débat. Plutôt indemniser à tort que de « rater » un cas. Mais pour qu'il reste efficace et accepté, il convient d'empêcher les dérives.
Ces dérives peuvent s'illustrer par la prédation à très grande échelle organisée aux États-Unis d'Amérique fondée sur plus de 100.000 plaintes contre Bayer/Monsanto sur la base de l'allégation que le glyphosate aurait provoqué un lymphome non-hodgkinien.
Il y a une sorte de réponse sur Radio1 , « Mereana Reid-Arbelot veut une loi d’indemnisation "plus large que la loi Morin" » :
« "Quand on oppose la science à l’humain, on est sur la mauvaise voie"
La commission [d’enquête sur la politique française d’expérimentation nucléaire] n’a pas mis au jour de nouveaux éléments scientifiques qui pourraient lever les doutes sur la corrélation entre essais et cancers. Mais ce n’est pas son objet, rappelle Mereana Reid-Arbelot [députée de la 3e circonscription de la Polynésie Française]. Une récente tribune du Dr Baert qui déclarait à Radio1 vouloir « recentrer le débat sur la science" et du chercheur François-Marie Bréon dans Le Point dénonce la méthode de la loi Morin et du seuil de 1 millisievert dont un des "effets pervers" est d’avoir "généré le sentiment que les essais ont effectivement conduit à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de cancers supplémentaires, alors que les études scientifiques conduisent toutes à des estimations très largement inférieures." Le discours de la députée se veut mesuré : "Quand on oppose la science à l’humain, je pense qu’on est sur la mauvaise voie. Mais quand la science vous parle d’incertitude aussi, il faut avoir le courage de l’admettre. Quand la science ne sait pas, elle le dit, d’ailleurs. Donc à un moment donné il faut savoir dire aussi que la science, elle n’aura pas de réponse. En tout cas, pour l’instant, elle n’en aura pas. Mais nous, législateurs, on a des gens qui continuent de souffrir, qui continuent à se poser des questions. C’est ce que j’ai dit au monsieur qui a écrit la tribune, parce que s’il juge qu’une commission d’enquête sérieuse, ce n’est qu’une commission d’enquête scientifique, il se trompe."
Le discours est aussi rectiligne que le cours de la Seine à l'aval de Paris... Son estuaire, c'est précisément ce que les auteurs de la tribune ont entendu critiquer. Qu'importe ce que dit la science qui, en l'occurrence, sait et a une réponse (que le politique est libre de faire sienne... ou de ne pas le faire comme Mme Mereana Reid-Arbelot) :
« Mereana Reid-Arbelot envisage "une amélioration de la loi Morin, une nouvelle loi qui serait plus large, qui va englober l’indemnisation des conséquences sanitaires, environnementales aussi." Elle évoque, outre l’indemnisation de la CPS pour les soins aux victimes de cancers radio-induits, une "réparation collective" du "préjudice d’anxiété", difficilement individualisable mais qui pourrait prendre la forme, par exemple, d’un financement de "vrais dispensaires" dans les îles éloignées. »
En toute rationalité, s'il y a un manque de « vrais dispensaires » dans les îles éloignées, on devrait pouvoir appréhender le problème en tant que tel, pour ce qu'il est, plutôt que de l'accrocher à un « préjudice d'anxiété » – de personnes pouvant être très éloignées de ces îles – ou un « traumatisme collectif des essais nucléaires en Polynésie » – cinquante ans après.
« Quand on oppose la science à l’humain, je pense qu’on est sur la mauvaise voie » ? C'est le genre de discours propre à soutenir toutes les charlataneries.