Holà ! Les pesticides dérivent de la plaine du Rhin aux hauteurs de la Forêt Noire !
Encore une étude scientifique « d'opinion » ou « militante »
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Non, il ne s'agit pas d'une erreur d'illustration. Certains savent que les centrales à charbon allemandes émettent des particules fines qui peuvent se retrouver en France par vent d'est. Ici, la centrale au lignite Uniper Scholven, à Gelsenkirchen, dans la Ruhr.
Le « prestigieux » (ironie) groupe Nature a publié dans Communications Earth & Environment une étude qui n'apporte fondamentalement rien en matière de connaissances, mais sert de support à une communication particulièrement militante.
AGRARHEUTE s'y est laissé prendre.
D'aucuns savent qu'on a trouvé des résidus de pesticides, en particulier du DDT, dans la graisse des ours blanc de l'Arctique et des manchots de l'Antarctique. Quel intérêt y avait-il de déployer beaucoup d'efforts pour déterminer que l'on pouvait trouver sur les pentes de la Forêt Noire des résidus de pesticides épandus par exemple sur les vignes du Kaiserstuhl, situé sur les bords du Rhin non loin de Colmar ?
L'étude, c'est « Current-use pesticides in vegetation, topsoil and water reveal contaminated landscapes of the Upper Rhine Valley, Germany » (les pesticides d'usage actuel dans la végétation, la couche arable et l'eau révèlent des paysages contaminés dans la vallée du Rhin supérieur, en Allemagne) de Ken M. Mauser, Jakob Wolfram, Jürg W. Spaak, Carolina Honert et Carsten A. Brühl.
Ça commence bien : les paysages sont « contaminés »... On tremble d'effroi !
Voici le résumé (découpé) :
« Les zones non ciblées dans les paysages agricoles servent de refuges inestimables pour les organismes et protègent la biodiversité. Cette recherche visait à examiner la distribution à l'échelle du paysage des pesticides d'usage courant (CUP – current use pesticides)dans la vallée du Rhin supérieur en Allemagne, une région caractérisée par une agriculture intensive dans la vallée et bordée par des régions montagneuses boisées.
Nous avons prélevé des échantillons de végétation, de terre végétale et d'eau de surface sur 78 sites non ciblés, hors champ, pendant la saison d'application des pesticides en 2022. Les sites ont été répartis sur six transects de 30 km de long afin de couvrir à la fois la vallée et les régions montagneuses.
Les échantillons ont été analysés pour 93 CUP.
Au total, 63 CUP différents (29 fongicides, 19 herbicides et 15 insecticides) ont été détectés dans tous les échantillons (n = 186).
Des CUP ont été enregistrés dans 97 % de tous les échantillons de végétation et 97 % de tous les échantillons de terre végétale (76 sur 78 échantillons chacun). Au total, 140 mélanges uniques avec ≥ 2 composants ont été enregistrés.
Une carte de prédiction utilisant des paramètres de site supplémentaires suggère une présence étendue de CUPs s'étendant sur plusieurs centaines de mètres au-delà des zones d'application des CUPs.
La contamination par des mélanges à l'échelle du paysage n'est pas prise en compte dans l'évaluation des risques environnementaux pour la réglementation des pesticides. La conception de l'étude pourrait servir de référence pour évaluer la contamination par les pesticides à l'échelle du paysage après la mise en œuvre d'efforts de réduction des pesticides dans les politiques et les pratiques agricoles. »
Une entrée en matière tonitruante, qui implique une action vraiment funeste des pesticides dans les zones où ils sont appliqués... une conclusion prescriptive sur le plan des politiques agricoles et de réglementation des pesticides.
Ces gens ont-ils du reste conscience de l'énormité de la tâche que représenterait la prise en compte des « mélanges à l'échelle du paysage » ?
Et entre les deux ? Quasiment rien ! Quelques chiffres sur le nombre de détections... et basta !
Les détections ont bien évidemment le grand avantage de gonfler les chiffres.
Le procédé est du niveau de quelques entités qui effraient les consommateurs et le public en général avec le nombre de pesticides trouvés dans tel ou tel fruit ou légume, l'Environmental Working Group et ses « dirty dozen » ou encore Générations Futures.
Le texte est même chaotique, indigne d'une revue à comité de lecture, et encore plus indigne de Nature. Non, « Au total, 63 CUP différents (29 fongicides, 19 herbicides et 15 insecticides) » n'ont pas « été détectés dans tous les échantillons (n = 186) », mais dans 76 échantillons sur 78 de sol, ou encore de végétation.
Les auteurs ont choisi de regrouper en une seule section les résultats et la discussion.
De fait, après un récapitulatif des détections on entre directement, dès le premier paragraphe dans le commentaire.
Le deuxième paragraphe apporte toutefois quelques éléments :
« La majorité, 74 % des 1.195 concentrations individuelles de CUP détectés, étaient < 5 ng g-1 (37 CUP dans la couche arable, 21 CUP dans la végétation et 42 CUP dans les eaux de surface n'ont été détectés qu'avec des concentrations < 5 ng g-1). Néanmoins, même les concentrations individuelles de CUP peuvent atteindre des valeurs comparativement élevées dans les zones non ciblées, comme cela a été le cas pour le fluopyram et le boscalid dans la couche arable (44,25 ng g-1 et 51,86 ng g-1, tous deux à T1_7) et dans la végétation (877,61 ng g-1 à T2_6 et 380,57 ng g-1 à T5_6), en raison de la distance de <10 m par rapport au champ agricole le plus proche (tableau complémentaire 4), où l'exposition aux pesticides est généralement plus élevée30. »
En bref, on ne trouve quasiment rien quand on s'éloigne des champs – mais les méthodes modernes de détection permettent de détecter l'infinitésimal – et une quantité qualifiée d'« élevée » à moins de dix mètres d'un champ (admirez au demeurant la précision...).
La figure 1 (partie C) permet cependant de constater qu'on a trouvé bien plus de résidus de pesticides en plaine qu'en montagne. Le contraire aurait été surprenant... Et pour la montagne, rien de surprenant : il y a souvent des vignes et des vergers à leur pied, alors quand on traite et qu'il fait chaud, des gouttes et des vapeurs montent. Mais tout cela interroge aussi sur l'angle qui a été pris pour décrire les résultats.
Fig. 1 : Vue aérienne de la région étudiée (vallée du Rhin supérieur, Allemagne), de l'utilisation des sols et du nombre cumulé de résidus de pesticides d'usage courant mesuré dans la couche arable et la végétation par transect.
A Vue aérienne des 78 sites d'échantillonnage (points blancs) et des six transects (T1-T6). Les sites d'échantillonnage ont été localisés sur les transects linéaires T1 - T6 (du nord au sud) avec une orientation ouest/est et ont été classés en montagne et vallée en fonction de leur emplacement par rapport au pied de la montagne. B Utilisation des sols (C) Nombre cumulé de CUP dans la couche arable et la végétation mesuré par transect. L'eau a été exclue de (C), car elle n'a été disponible que sur 30 sites. La végétation et la terre végétale ont été échantillonnées entre le 15 juin et le 11 juillet 2022. Modèle numérique d'élévation et couverture forestière/urbaine des terres de l'Agence Européenne pour l'Environnement (AEE) (2016) ; les autres catégories d'utilisation des terres de Blickensdörfer et al. (2021) de l'année 2019. Vue aérienne : © 2025 Google, TerraMetrics.
Qu'a-t-on trouvé dans le détail ? C'est dans la figure 2
Fig. 2 : Concentrations totales et nombre de résidus des pesticides d'usage courant détectés.
Résultats explicites des 78 sites d'échantillonnage pour le nombre et la concentration totale des CUP. Chacun des six transects linéaires comprenait 13 sites d'échantillonnage. Dans chaque carreau, la végétation (en bas à gauche), la couche arable (en bas au milieu) et l'eau (en bas à droite) et leur concentration totale correspondante en ng g-1 dans les cellules au-dessus sont mentionnées (voir la description du carreau). Les régions sont définies comme vallée et montagne, Forêt du Palatinat et Forêt Noire, nord et sud. Le site 1 était toujours le plus proche du Rhin dans la vallée, le site 7 au pied de la montagne et le site 13 le plus éloigné dans la région montagneuse. Pour plus de détails sur l'emplacement des transects, voir la figure 1.
L'utilisation d'un code couleurs dans la figure ci-dessus est très informative. Finalement, il y a six ou sept cases rouges et, pour les concentrations, une case rouge pour le sol, une pour la végétation et une pour l'eau.
Le tableau 2 des informations complémentaires fournit des détails pour chacun des pesticides détectés dans le sol, sur la végétation et dans l'eau (nombre de détections, fréquence, concentrations minimale, moyenne et maximale).
Seule la première page est reproduite ci-dessus. Pour savoir quels sont les 30 substances qui n'ont pas été trouvées – une information aussi importante que ce que l'on a trouvé – il faut se livrer à une comparaison entre ce tableau et le tableau 6 des informations complémentaires.
Les échantillons ont été prélevés entre le 15 juin et le 11 juillet 2022, en pleine saison de végétation et, pour certaines cultures, de traitement... ce qui tend à gonfler les chiffres sur le nombre et la fréquence des détections, préférées aux quantifications (mais cela fait aussi baisser les moyennes... que l'on aura préférées aux médianes). Mais l'année a été chaude et sèche.
Les données sur les sols sont dépendantes de la procédure de recueil des échantillons – des carottes de 5 cm de long. À l'évidence, pour les substances non mobiles (ou n'ayant pas encore migré), les résultats auraient été divisés par deux, par exemple, si l'on avait utilisé des échantillons de 10 cm de long.
D'une manière générale, les résultats ne nous disent rien sur les effets sur la biodiversité, évoquée à l'ouverture du résumé de l'article scientifique. Notons cependant que les molécules les plus fréquemment trouvées sont des fongicides (effets sur la faune et sur la flore supérieure?).
Les valeurs sont indiquées en ng/g (nanogrammes/gramme), c'est-à-dire en µg/kg (microgrammes/kilogramme) ou encore en mg/t (milligrammes/tonne). Les valeurs minimales étaient pour la plupart inférieures à la limite de quantification. Dans deux cas, il s'agissait même des valeurs maximales.
Les plus petites valeurs relevées se situaient dans la zone de la deuxième décimale (soit 0,01 milligramme/tonne (pour l'eau, il s'agissait même de la troisième décimale).
Sur la base d'une densité apparente de 1,5 g/cm3 du sol (750 tonnes/hectare sur les 5 centimètres carottés), ces 0,01 mg/t de substance représentent la colossale quantité de... 7,5 milligrammes par hectare.
Mais les valeurs maximales peuvent être plutôt conséquentes. Dans le cas du fluopyram par exemple (44,248 ng/g), c'est 33 grammes/hectare, soit 13 % de la dose d'application autorisée du Velum Prime. Mais c'est sans guère de doute une mesure faite à moins de 10 mètres d'une surface agricole.
Regardons maintenant ce que cela représente en termes de santé, sur la base des données sur la végétation – car, jusqu'à plus ample informé, nous ne mangeons pas le sol – et du fluopyram, la molécule la plus fréquemment trouvée (dans 90,3 % des échantillons) et affichant la plus forte présence sur la végétation (877,609 ng/g, soit 0,878 mg/kg, avec une moyenne de 16,092 ng/g (ce n'est pas la plus élevée) et un minimum de 0,041 ng/g.
Mais il faut bien rappeler qu'on est en période de végétation et, typiquement, pendant ou juste après la période de pulvérisation.
Pour le fluopyram, la dose journalière admissible (DJA) est de 0,012 mg/kg de poids corporel, soit 0,72 mg pour une personne de petite taille pesant 60 kg. Nous serions ici à la limite de l'admissibilité, mais en supposant que cette personne consomme environ un kilogramme d'herbe (la majorité des échantillons étaient composés d'herbe).
Les DJA sont du reste très protectrices, typiquement fixées à un centième de la dernière dose avant celle à laquelle un effet nocif a été constaté chez les animaux de laboratoire (la NOAEL ou DSENO).
Dans la grande majorité des cas, les valeurs enregistrées sont très, très, très inférieures à la DJA. En bref, il s'agit de microgrammes/kilogrammes de végétation d'un côté et de milligrammes/kilogrammes de poids corporel de l'autre.
Un tel constat ne pouvait qu'être attendu.
Et, bien sûr, il fallait s'attendre à une instrumentalisation de l'étude.
Même la presse agricole s'est laissé tenter comme le montre « Étude : des résidus de produits phytosanitaires dans les zones d'altitude les plus reculées », d'AGRARHEUTE.
La Süddeusche Zeitung cite le premier auteur, M. Ken Mauser, dans « Studie: Pestizide am Oberrhein fernab von Weinbau und Äckern » (étude : des pesticides dans le Rhin supérieur loin des vignes et des champs) :
« "Nous pouvons rencontrer des pesticides en nous promenant, sur les terrains de jeu ou dans notre propre jardin", a expliqué Ken Mauser, premier auteur de l'étude parue dans la revue spécialisée "Communications Earth & Environment". Selon lui, les personnes en contact direct avec les pesticides, c'est-à-dire les agriculteurs, ainsi que les groupes sensibles comme les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées sont particulièrement vulnérables. »
Quel est l'apport de l'étude pour la « vulnérabilité » – autre qu'une citation sélective d'autres études ? Nul !
La citation précédente est reprise du communiqué de presse de l'Université de Kaiserslautern-Landau (texte d'Eurekalert en anglais). En voici le chapô :
« Une étude récente de l'Université RPTU de Kaiserslautern-Landau révèle une contamination de grande ampleur par les pesticides dans le paysage de la région du Rhin supérieur. L'équipe de recherche dirigée par Carsten Brühl montre pour la première fois que les pesticides chimiques de synthèse issus de l'agriculture conventionnelle ne restent pas dans les zones cultivées, mais se répandent de la plaine à la Forêt Noire et à la Forêt du Palatinat. Les résultats montrent que l'ensemble du paysage est contaminé par des mélanges de pesticides, ce qui jette un nouvel éclairage sur les impacts potentiels de l'agriculture conventionnelle sur l'environnement. Selon les chercheurs, il est urgent de réduire l'utilisation des pesticides afin de protéger les zones autour des champs, des vergers et des vignobles. »
Difficile de faire plus anxiogène...
Serait-ce la première fois que l'on observe des dérives ? Bien sûr que non !
Mais quel lecteur remarquera qu'en fait la phrase est exacte : c'est sans doute la première fois pour la vallée du Rhin supérieur...
La phrase est cependant trompeuse, et ce, volontairement (ou à l'insu du plein gré de l'auteur) à notre sens.
À notre connaissance – à nous –, il y a notamment une étude, « Widespread contamination of soils and vegetation with current use pesticide residues along altitudinal gradients in a European Alpine valley » (contamination généralisée des sols et de la végétation par des résidus de pesticides utilisés actuellement, le long de gradients altitudinaux dans une vallée alpine européenne) publiée le 12 février 2024 dans Communications Earth & Environment.
L'étude réalisée dans la vallée du Rhin supérieur (au sens allemand) est fondamentalement la répétition de celle réalisée dans la vallée du Vinschgau, dans le Tyrol du Sud.
Le premier auteur ? Carsten A. Brühl...