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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

FAO : « Fiat panis » ou « Fiat fames » ?

30 Avril 2025 Publié dans #FAO, #Activisme

FAO : « Fiat panis » ou « Fiat fames » ?

 

André Heitz*

 

 

 

 

L'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture – ou peut-être sa scientifique en chef, Ismahane Elouafi (de nationalités marocaine et canadienne) – a ouvert un blog, le blog de la science et de l'innovation de la FAO (en anglais). Il est censé être une vitrine, mais avertit que les billets ne représentent pas nécessairement les vues et les positions de la FAO ! Avec le premier billet, on tombe à la renverse.

 

 

L'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) est l'une des institutions des Nations Unies dont le bilan est pour le moins contrasté – cependant très loin derrière le Conseil des Droits de l'Homme, qui exhale régulièrement un parfum de scandale.

 

 

Entre rationalité et idéologie

 

Par essence, son domaine d'action se prête tant à la rationalité qu'à l'idéologie, voire l'obscurantisme, du point de vue technique mais aussi sociétal et politique. Ajoutez les influences externes des États membres, des experts et « experts »...

 

Sans compter les activistes. Les protestations contre un accord avec Croplife International, organisation qui représente les principaux acteurs de l'agrochimie sont une illustration. Ce qu'on appelle les « lobbies » – les représentants du monde économique – ont, du reste, bien du mal à se faire entendre.

 

Sur le plan de la politique générale, convient-il de promouvoir une agriculture en phase avec la modernité, sans être nécessairement aux avant-postes, apte à nourrir le plus grand nombre, y compris les citadins ? Promouvoir un développement de l'agriculture « paysanne », c'est-à-dire assurer au monde rural une sortie de l'indigence, voire de la pauvreté ?

 

La démarche raisonnable consiste à lier ces propositions par « et ». Celle de la FAO penche en revanche largement à tribord, son soutien à l'agriculture du XXIe siècle paraissant souvent cosmétique.

 

Exemple : les semences.

 

La rationalité consiste à promouvoir un secteur semencier organisé, fondé sur une solide base agricole (les agriculteurs-multiplicateurs de semences) et industrielle (les « semenciers » qui trient, traitent et conditionnent les semences). Il repose sur un système législatif et administratif qui garantit aux agriculteurs des semences de qualité, « loyales et marchandes » selon une terminologie du droit commercial. Cette rationalité inclut une attention aux filières traditionnelles que sont l'auto-production par l'agriculteur (les « semences de ferme ») et, selon le niveau de développement, les « échanges » entre agriculteurs (le « secteur informel »).

 

L'idéologie consiste à promouvoir le « secteur informel » – au nom de l'autonomie des agriculteurs ainsi que de l'anticapitalisme et maintenant du « colonialisme » ; au nom aussi d'une conception naïve de la conservation des ressources phytogénétiques. Cela va jusqu'à contrecarrer l'organisation de filières performantes.

 

 

« Vous avez les droits des obtenteurs, nous avons les droits des agriculteurs ! »

 

Voici une anecdote éclairante : dans la deuxième moitié des années 1970, l'Union Internationale pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) a commencé à promouvoir ce mécanisme au-delà de l'Europe. Les autres conditions étant réunies, il constitue un important moteur de la création de nouvelles variétés, et donc du developpement de l'agriculture et de son adaptation à des conditions agroclimatiques, agro-environnementales et agroéconomiques changeantes.

 

À l'époque, donc, lors du cocktail qui suit habituellement le premier jour de la session du Conseil de l'UPOV, le fonctionnaire de la FAO en charge des questions de semences, qui participait à la session en tant qu'observateur, avait lancé au Secrétaire général adjoint de l'UPOV : « Vous avez les droits des obtenteurs, nous avons les droits des agriculteurs ! »

 

Il y eut par la suite des manœuvres sournoises pour contrecarrer les velléités ou les projets de certains États d'instaurer un système de protection conforme aux principes de l'UPOV. C'était le fait de certains agents de la FAO plutôt que de l'institution en tant que telle, assez indifférente à la problématique de l'amélioration des plantes.

 

Les choses se sont arrangées depuis.

 

L'UPOV compte aujourd'hui 80 membres, représentant 99 États et recouvre l'essentiel de l'agriculture mondiale. Mais le discours qui trouve intolérable qu'une personne ou une entreprise puisse avoir des droits – précisément définis et encadrés – sur des variétés, incorporant des ressource génétiques et diffusées sous forme de semences ou plants reste prégnant. C'est du reste un formidable fond de commerce pour les activistes.

 

Les « droits des agriculteurs » ont été introduits dans le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l'Alimentation et l'Agriculture (TIRPAA) adopté plus de deux décennies plus tard, le 3 novembre 2001. Aux forceps et sous la forme d'un vœu pieux (article 9 – « En fonction de ses besoins et priorités, chaque Partie contractante devrait, selon qu’il convient et sous réserve de la législation nationale... »). On discute toujours de la « concrétisation » des droits des agriculteurs comme du sexe des anges ; ça occupe...

 

La FAO – l'organisation en tant que telle mais aussi les représentants des États membres en son sein – a toujours une relation compliquée avec la science et l'innovation.

 

 

Un blog pour nous éclairer ?

 

C'est sauf erreur début janvier que la FAO a ouvert une page de blog, le blog de la science et de l'innovation de la FAO (en anglais). Elle est (censée être) :

 

« votre source pour explorer le travail de la FAO sur la science et l'innovation à l'appui de la transformation des systèmes agroalimentaires mondiaux en alignement avec le Programme 2030 pour le Développement Durable. »

 

Il s'agit donc, sur le fond, de mettre en musique une rhétorique onusienne. Qu'on ne s'y trompe pas : c'est in fine celle des chefs d'États et de gouvernement ou de leurs représentants. Et c'est pour la FAO selon des principes directeurs qui

 

« visent à garantir que les efforts de la FAO exploitent le pouvoir de la science et de l'innovation au profit des Peuples, de la Planète, de la Prospérité, de la Paix et du Partenariat. »

 

La grandiloquence se poursuit avec sept principes directeurs :

 

« Fondé sur les droits et centré sur les personnes, égalitaire entre les sexes, fondé sur des données probantes, axé sur les besoins, aligné sur la durabilité, tenant compte des risques et fondé sur l'éthique. »

 

Que signifie « fondé sur les droits et centré sur les personnes » ? Les solutions fondées sur les solides règles économiques – pour le dire crûment : le profit – ne seront pas en cour. « Fondé sur l'éthique » ? Idem. « Fondé sur des données probantes », etc. ? Pas de prise de risque, au mieux tenter d'accrocher son wagon à un train bien sur ses rails et déjà parti. Bref, (toujours) pas d'aggiornamento...

 

La scientifique en chef de la FAO – Mme Ismahane Elouafi (de nationalités marocaine et canadienne) – invite donc

 

« des experts et d'autres détenteurs de connaissances du monde entier à partager leurs réflexions sur les raisons pour lesquelles les principes directeurs sont importants et sur ce que chacun d'entre eux implique pour le travail de la FAO. »

 

En bref, philosophons...

 

Et, par conséquent, ce blog censé être notre « source pour explorer le travail de la FAO sur la science et l'innovation » au service du développement

 

« reflète les opinions des auteurs et ne représente pas nécessairement les opinions ou les positions de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). »

 

 

Et la première contribution est...

 

Il faut avoir lu la page d'accueil du blog pour comprendre de quoi il en retourne.

 

Le gestionnaire du blog n'a pas jugé utile de rappeler la mise en garde précitée sur la page de la première – et pour l'instant seule... – contribution : celle de M. Michael Fakhri, rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation, nommé par le Conseil des Droits de l'Homme en mars 2020.

 

M. Michael Fakhri – comme ses prédécesseurs – est tout à fait compétent en la matière (ironie) : il est juriste, professeur à la faculté de droit de l'Université de l'Oregon... Juriste comme ses deux prédécesseurs (Mme Hilal Elver et M. Olivier De Schutter), le premier titulaire ayant été un sulfureux sociologue (M. Jean Ziegler).

 

Il a produit – en tout cas signé – un long rapport intitulé « Semences, droit à la vie et droits des agriculteurs » dont l'Assemblée Générale des Nations Unies aura pris note – ce qui lui confère une aura de texte de référence pour le monde activiste qui, à l'évidence, l'a inspiré (sinon plus).

 

En voici, par exemple, un morceau de bravoure :

 

« 12. Lorsqu’une plante et son matériel génétique sont transformés en marchandises, il devient plus facile pour un petit nombre de personnes de contrôler les semences en interdisant à la majorité de l’humanité de les utiliser. Plus un petit nombre de personnes aura le pouvoir de restreindre l’utilisation des semences, plus le risque sera grand que les agriculteurs et les peuples autochtones ne puissent pas y avoir accès et en tirer profit librement, et donc que leur contribution de longue date à la biodiversité soit exploitée. »

 

C'est totalement déconnecté des réalités du monde économique, ainsi que des principes de la propriété intellectuelle, et du monde tout court.

 

La finalité même de la « marchandise » est d'être vendue – avec un profit pour le vendeur – à des acheteurs qui entendent en tirer également un profit. Le spectre du contrôle – de l'accaparement – des semences est un spectre agité depuis des décennies, mais sœur Anne ne voit toujours rien venir...

 

La contribution aux travaux de la FAO n'a pas manqué de citer la « Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales », un produit majeur de l'entrisme des activistes et de la légèreté du Conseil des Droits de l'Homme, ainsi que de l'Assemblée Générale des Nations Unies qui l'a adopté le 17 décembre 2018, toutefois sous une forme non contraignante (les gouvernements, etc. sont invités à « en promouvoir le respect et la compréhension universels »).

 

Mais cette contribution comporte une autre section qu'il convient de citer dans son intégralité :

 

« Lors de ma récente visite dans le pays, j'ai constaté que le Venezuela offrait quelques bons exemples (rapport à venir). En outre, en 2015, le gouvernement vénézuélien a adopté la loi sur les semences, à l'issue d'un processus de trois ans de consultations publiques larges et inclusives. L'objectif de la loi sur les semences est de "préserver, protéger et garantir la production, la multiplication, la conservation, la libre circulation et l'utilisation des semences, ainsi que la promotion, la recherche, l'innovation, la distribution et l'échange des semences", en donnant la priorité à la production nationale de semences. Les principes et les valeurs sur lesquels repose la loi sur les semences sont particulièrement louables, notamment la lutte pour la sécurité et la souveraineté alimentaires, la lutte contre la pauvreté, l'équité, l'inclusion, l'émancipation, la participation, l'égalité des sexes et la justice sociale, entre autres. Ce qui fait de cette loi sur les semences un exemple en matière de droits de l'homme, ce n'est pas seulement le processus, mais aussi le fait qu'elle protège les droits des agriculteurs conformément au Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l'Alimentation et l'Agriculture, les droits des peuples autochtones et les droits d'autres communautés en raison de l'accent explicite mis sur les connaissances, les pratiques et les croyances des paysans locaux, des peuples autochtones et des descendants d'Africains, et sur la reconnaissance de ces droits.

 

Non, la FAO n'a rien trouvé à redire à un texte qui fait l'apologie d'un régime qui a envoyé entre 7,7 et 8,1 millions de personnes (20 à 25 % de la population) en exil depuis 2014 et qui – selon un expert « de l'ONU » (mais qui n'est pas de l'ONU selon les règles en vigueur)– a pour bilan actuel 82 % de la population en situation de pauvreté et 53 % en situation d'extrême pauvreté « avec des revenus insuffisants pour acheter un panier alimentaire de base ».

 

Cet expert, c'est... M. Michael Fakhri...

 

 

« Fiat panis » ou « Fiat fames »

 

On ne s'étonnera pas que, dans son rapport sur sa mission au Venezuela (République Bolivarienne d'), M. Michael Fakhri se soit félicité du fait que le pays ait interdit « les transgéniques et la privatisation des variétés de semences ».

 

S'agissant de la FAO, on peut se demander si elle ne doit pas changer son slogan, « Fiat panis » (qu'il y ait du pain), en « fiat fames » (qu'il y ait la faim).

 

 

(Source)

 

 

_______________

 

André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

 

Une version de cet article a été publiée par Atlantico.

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T
C'est d'une rare stupidité .ces personnes ne comprennent pas que l'amélioration variétale a apporté d'énormes bienfaits aux agriculteurs et permet de nourrir la population . Sans ce travail des chercheurs la population en augmentation constante ne pourrait être nourrie . Si la recherche ne peut recevoir de revenus liés a ses créations , aucune entreprise ne pourra la réaliser et nous beaucoup de personnes ne pourraient s'alimenter.<br /> La FAO ferait beaucoup mieux d'aider la recherche en protégeant ses droits.<br /> Un agriculteur qui utilise produit des variétés améliorées , le coût de ses semences est largement payé par le l'augmentation de sa production .
Répondre
Bonjour,<br /> <br /> On comprend néanmoins.
T
Ce texte est a corriger : avec l'écriture automatique il y a des incohérences.