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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Régimes végétariens et santé : quelques hystériques dans la médiasphère

20 Mars 2025 Publié dans #Alimentation, #Santé

Régimes végétariens et santé : quelques hystériques dans la médiasphère

 

 

 

 

L'ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail) a publié deux expertises collectives sur les régimes végétariens le jeudi 13 mars 2025. Des médias se sont précipités, sans retenue, sans recul et sans esprit critique. D'autres ont fait un travail plus sérieux.

 

Prenons-le de Franceinfo : « Etre végétarien permet d'éviter des maladies comme le diabète mais entraîne un risque plus élevé de fractures ».

 

En chapô :

 

« L'Anses a étudié l'impact d'un régime végétarien sur le corps humain. Malgré de nombreux bénéfices pour la santé, il faut toutefois savoir équilibrer son alimentation. »

 

Prenons aussi le titre au mot : si vous êtes végétarien, vous n'aurez pas de diabète !

 

 

Qu'en est-il ?

 

Mon moteur de recherche m'a proposé un « Résumé amélioré par l’IA » qui est, tout compte fait, un résumé des articles de presse :

 

« Les végétariens ont un risque réduit de diabète et de cancers, mais doivent surveiller leurs apports nutritionnels.

 

  • Une étude récente de l'Anses révèle que les personnes suivant un régime végétarien ont un risque réduit de développer un diabète de type 2 et certains cancers (santelefigaro.fr+2.)

     

  • Cependant, les végétariens doivent être attentifs à leurs apports nutritionnels, car ils peuvent rencontrer des carences en fer, vitamine B12 et oméga 3 (sante.lefigaro.fr.[notez qu'il n'y a plus « +2 » !]

    Les autorités sanitaires recommandent des repères de consommation pour aider les végétariens à équilibrer leur alimentation tout en minimisant les risques de carences (midilibre.fr+2.) »

 

 

Qu'en est-il réellement ?

 

Sur la base d'une autosaisine, l'ANSES a publié deux expertises collectives, un « rapport relatif à la revue systématique de la littérature sur les liens épidémiologiques entre les régimes végétariens et la santé » et un « avis relatif à l’établissement de repères alimentaires destinés aux personnes suivant un régime d’exclusion de tout ou partie des aliments d’origine animale ».

 

S'agissant des « liens épidémiologiques », elle écrit dans son communiqué de presse :

 

« La première expertise visait à identifier des liens épidémiologiques entre différents types de régimes végétariens et la santé, au moyen d’une revue systématique des publications scientifiques. Bien que le niveau de preuve soit modéré, cette revue a montré que le régime végétarien est associé à un risque plus faible de développer un diabète de type 2, comparé à un régime non végétarien.

 

L’Anses a également observé, mais avec un niveau de preuves faible, que les végétariens comparés aux non végétariens ont un risque plus faible de développer certaines pathologies : cardiopathies ischémiques, troubles ovulatoires, certains cancers (prostate, estomac, sang) et certaines maladies ophtalmologiques et gastro-intestinales. En revanche, ils présentent un risque plus élevé de fractures osseuses et d’hypospadias (malformation congénitale de l’urètre), également avec un poids des preuves faible.

 

Les études épidémiologiques montrent enfin que les végétariens ont un statut nutritionnel en fer, iode, vitamines B12 et D et un équilibre phosphocalcique moins favorables que les non végétariens. De plus, on observe également pour les végétaliens un statut nutritionnel moins favorable en vitamine B2. »

 

 

Qu'en est-il du diabète ?

 

Le communiqué de presse est explicite, pour qui sait lire... mais les communicants de l'ANSES auraient pu mieux faire, connaissant l'incurie médiatique : « le régime végétarien est associé... » indique une corrélation, pas un lien de cause à effet, lequel existe... ou n'existe pas. Si on prend le problème dans l'autre sens, un lien de causalité peut exister (ou pas), mais en fonction du niveau de consommation de viande et des types de viande consommés.

 

D'autre part, « le niveau de preuve [est] modéré ». C'est bien... la preuve... qu'on n'a pas de certitude sur l'existence d'un lien de cause à effet, ni même sur l'existence d'une « association ». Notons qu'il s'agit là d'une caractéristique répandue des études épidémiologiques sur la nutrition (sauf, bien sûr, celles issues de la « science d'opinion » ou militante).

 

Selon le rapport d'expertise, quatre études sur des cohortes – seulement – ont été prises en compte.

 

Voici un extrait du résumé de l'une d'elle, « Vegetarian diets and risk of hospitalisation or death with diabetes in British adults: results from the EPIC-Oxford study » (régimes végétariens et risque d'hospitalisation ou de décès lié au diabète chez les adultes britanniques : résultats de l'étude EPIC-Oxford) de Keren Papier et al. :

 

« Sur une moyenne de 17,6 ans de suivi, 1.224 cas incidents de diabète ont été enregistrés. Par rapport aux consommateurs réguliers de viande, les faibles consommateurs de viande, les consommateurs de poisson et les végétariens étaient moins susceptibles de développer un diabète (rapport de risque (RR) = 0,63, intervalle de confiance à 95 % (IC) 0,54-0,75 ; RR = 0,47, IC à 95 % 0,38-0,59 ; et RR = 0,63, IC à 95 % 0,54-0,74, respectivement). Ces associations étaient considérablement atténuées après ajustement en fonction de l'indice de masse corporelle (IMC) (faibles mangeurs de viande : HR = 0,78, IC à 95 % 0,66-0,92 ; mangeurs de poisson : HR = 0,64, IC à 95 % 0,51-0,80 ; et végétariens : HR = 0,89, IC à 95 % 0,76-1,05). »

 

La population totale étudiée était de 45.314 personnes se répartissant en mangeurs réguliers de viande (≥50 g par jour : n = 15.181) ; faibles mangeurs de viande (<50 g de viande par jour : n = 7.615) ; mangeurs de poisson (ne mangeaient pas de viande mais consommaient du poisson : n = 7.092) ; et végétariens (ne mangeaient ni viande ni poisson, y compris les végétaliens : n = 15.426).

 

Selon cette étude, si nous considérons les chiffres du résumé, le régime végétarien (et végétalien) n'apporte pas de bénéfice par rapport à une consommation faible de viande. L'étude a toutefois d'importantes limitations. Les auteurs écrivent notamment :

 

« Il faut également tenir compte du fait qu'une consommation de viande faible ou nulle peut être un marqueur global d'un mode de vie plus sain et, bien que nous ayons ajusté les estimations du risque en fonction du tabagisme, de la consommation d'alcool et de l'activité physique, il est possible que l'association protectrice de ces régimes puisse être en partie attribuée à des facteurs de confusion résiduels. »

 

Les auteurs de cette étude se sont bien gardés d'énoncer une conclusion péremptoire que, de toute manière, les résultats ne pouvaient étayer. Au contraire,

 

« Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour […] déterminer (à l'aide de variantes génétiques par exemple) si la viande est liée de manière causale au développement du diabète. »

 

En revanche, « Vegetarian diets and incidence of diabetes in the Adventist Health Study-2 » (régimes végétariens et incidence du diabète dans l'étude Adventist Health Study-2) de Tonstad et al. a produit des différences importantes pour un suivi de deux ans. Mais là aussi, l'image n'est pas claire (OR par rapport aux non-végétariens, après ajustement pour une série de facteurs : végétariens : 0,381 ; lacto-ovo-végétariens : 0,618 ; « semi-végétariens » : 0,486).

 

On comprend donc, compte tenu du nombre limité des études retenues, de leurs résultats et de leurs faiblesses, que les auteurs de l'ANSES aient prudemment conclu à un niveau de preuve modéré.

 

 

(Source)

 

 

Qu'en est-il des aspects négatifs des régimes végétariens ?

 

Pour les fractures, le groupe de travail a conclu ce qui suit :

 

« Le GT conclut qu’un régime végétarien comparé à un régime incluant de la chair animale est associé à un risque plus élevé de fractures. Le poids des preuves est faible. Néanmoins, un régime lacto-ovovégétarien, comparé à un régime incluant de la chair animale, n’est pas associé au risque accru de fractures. Le poids des preuves est faible. Un régime végétalien comparé à un régime incluant de la chair animale est associé à un risque plus élevé de fractures. Le poids des preuves est faible. »

 

Pour l'hypospadias, on peut se référer à la conclusion du résumé de « A maternal vegetarian diet in pregnancy is associated with hypospadias » (le régime végétarien de la mère pendant la grossesse est associé à l'hypospadias) de K. North et al. :

 

« Comme les végétariens sont plus exposés aux phytoestrogènes que les omnivores, ces résultats confirment la possibilité que les phytoestrogènes aient un effet délétère sur le développement du système reproducteur masculin. »

 

On peut trouver cette conclusion un peu raide dans sa formulation, quoique logique. Sur 7.928 naissances de garçons et 51 cas d'hypospadias, les auteurs ont trouvé un odds ratio (OR) de 4,99 pour les mères végétariennes par rapport aux mères non végétariennes et non complémentées avec du fer.

 

Curieusement, l'OR était de 2,07 pour les mères non végétariennes complémentées avec du fer. Mais peut-être faut-il voir dans ce résultats une preuve des difficultés et des incertitudes auxquelles sont confrontées les études épidémiologiques.

 

Les auteurs de l'expertise ont donc conclu à très juste titre à un niveau de preuve faible.

 

 

On peut rester sur sa faim...

 

La deuxième expertise, sur les « repères alimentaires » est un document très complexe. Pour établir ses repères, l’ANSES a fait tourner un modèle mathématique dit d'« optimisation » permettant de « répondre aux objectifs fixés, c’est-à-dire la réduction des risques nutritionnels et toxicologiques, tout en s’éloignant le moins possible des habitudes de consommation actuellement observées ».

 

En bref, les personnes qui suivent « un régime d’exclusion de tout ou partie des aliments d’origine animale » devraient se livrer à de savantes combinaisons pour élaborer des menus (de préférence appétissants) leur apportant tous les nutriments nécessaires ou souhaitables, et leur évitant donc des carences.

 

Notons que ce genre d'exercice devrait aussi être mené par les consommateurs de produits d'origine animale. Il n'est du reste pas exclu que les – ou des – bénéfices attribués aux régimes végétariens soient dus au meilleur respect des équilibres nutritionnels issu du besoin de faire attention, plutôt qu'à l'exclusion des produits d'origine animale, ou de certains d'entre eux.

 

Noyé dans la conclusion générale, on trouve ceci dans le document de l'ANSES :

 

« L’Anses souligne que les repères élaborés dans cette expertise ne sont valables que pour la population générale adulte, hors femmes enceintes ou allaitantes et hors personnes âgées ou populations physiquement très actives, populations qui présentent des besoins particuliers. Ainsi, s’agissant des enfants et des populations adultes non prises en compte dans l’élaboration de ces repères, des travaux spécifiques devront être menés pour déterminer si l’adoption de régimes d’exclusion est compatible avec la couverture de leurs besoins spécifiques, en identifiant le cas échéant des combinaisons d’aliments leur permettant d’atteindre les repères nutritionnels qui leur sont propres. »

 

On aurait apprécié une conclusion plus ferme !

 

Tenez ! Le principe de précaution ! Comme on ne sait – visiblement – pas « si l’adoption de régimes d’exclusion est compatible... », il faut s'abstenir de suivre ces régimes.

 

La limitation précitée – qui n'est pas anodine compte tenu des populations en cause – ne figure pas dans le communiqué de presse de l'ANSES.

 

Mais certains médias ont suppléé à cette carence. Ainsi, le Figaro, mentionné dans le résumé produit par l'IA :

 

« Ces recommandations, souligne l’Anses, ne concernent que les adultes en bonne santé. "Il est nécessaire d’acquérir des données de consommation dans d’autres populations de végétariens pour pouvoir établir des repères adaptés (par exemple, les enfants, adolescents, femmes enceintes ou allaitantes, personnes âgées, populations physiquement très actives)", qui ont des besoins spécifiques. »

 

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