Réduction de l'usage des pesticides et résultats économiques : une thèse, deux lectures !
L'excellent Gil Rivière-Wekstein a produit une analyse d'une thèse de doctorat, présentée et soutenue à Dijon le 27 novembre 2024 par M. Romain Nandillon, « Réduction d’usage de pesticides : Évolution des pratiques et des performances technico-économiques au sein du réseau de fermes DEPHY ».
La thèse se limite aux filières de grandes cultures et de polyculture-élevage et, comme le dit son titre, aux fermes DEPHY particulièrement impliquées dans la problématique et choyées par les pouvoirs publics en termes de coaching. Elle a été préparée à l’UMR Agroécologie de l’INRAE à Dijon.
Voici le résumé (découpé) :
« L’utilisation massive des pesticides dans l’agriculture a des impacts sur la santé, et sur la biodiversité et les services écosystémiques qu’elle fournit. Pour autant, la maîtrise des bioagresseurs des cultures reste en France principalement basée sur les solutions chimiques.
Les faibles progrès de l’adoption de stratégies de Protection Intégrée des Cultures, fondées sur des combinaisons techniques alternatives à la chimie, peuvent s’expliquer par le manque de démonstration de la faisabilité à grande échelle de ces stratégies, et de leur efficacité technique et économique.
Les agriculteurs redoutent les risques qui seraient associés à la réduction d’usage de pesticides, et les représentants professionnels redoutent les conséquences d’une transition généralisée vers des systèmes de culture économes en pesticides sur la productivité de la ferme France.
Dans cette thèse, nous apportons des éléments de réponse en étudiant 1000 fermes commerciales du réseau DEPHY en grandes cultures et en polyculture élevage, engagées dans la réduction de l’utilisation des pesticides. Nous étudions avec une approche diachronique comment des changements de stratégie de conduite des systèmes de culture ont permis la réduction de la dépendance aux pesticides dans certaines fermes.
La diversification, la modération de la fertilisation, le régime du travail du sol et le désherbage mécanique ainsi que l’optimisation de la décision pour les traitements phytosanitaires apparaissent comme des facteurs techniques clefs de la transition.
Pour la grande majorité des exploitations, nous n’observons pas de corrélation entre la réduction de l’utilisation des pesticides et l’évolution des performances économiques. Nous soulignons la nécessité de considérer plusieurs indicateurs dans l’étude des liens entre réduction de l’utilisation des pesticides et performances économiques.
Nous explorons des scénarios de généralisation des stratégies économes en pesticides à l’échelle de la ferme France, pour évaluer les possibilités d’atteindre l’objectif de 50% de réduction, et les conséquences sur les performances économiques, la productivité, la souveraineté alimentaire, et la balance commerciale agricole française. »
Ce n'est pas très informatif. Et ça commence par les lieux communs qui ont le don d'activer mes muscles érecteurs... Pour ceux qui y penseraient mal, c'est au pluriel et le synonyme est « horripilateurs »
M. Romain Nandillon a publié un billet sur LinkedIn :
« […]
En nous basant sur les trajectoires des fermes du réseau DEPHY Ecophyto, nous confirmons la faisabilité agronomique et économique de réduire l’utilisation des pesticides dans les filières françaises des grandes cultures et de la polyculture élevage.
Réduire l’utilisation des pesticides à l’échelle de la France repose sur une reconception profonde des systèmes de culture, nécessite des changements à l’échelle du système agricole français dans son ensemble et implique d’accompagner étroitement les agriculteurs et les agricultrices dans leur transition. »
C'est encore vague, sans indication chiffrée, et cela relève de la lapalissade.
La soutenance de thèse a fait l'objet d'une séquence YouTube.
En guise d'introduction, une citation de Rachel Carson :
« Dans les circonstances présentes, notre sort n'est guère plus enviable que celui des invités des Borgia. »
Grrrr !
Il y a aussi eu un article dans une revue, le European Journal of Agronomy, de Yaoyun Zhang et al., « Pesticide use is affected more by crop species than by crop diversity at the cropping system level » (l'utilisation de pesticides est davantage influencée par les espèces cultivées que par la diversité des cultures au niveau du système de culture – texte ici).
Intérêt pratique ?
L'article de M. Gil Rivière-Wekstein dans Agriculture et Environnement s'intitule sobrement « Peut-on diminuer l’usage des pesticides tout en maintenant un excédent commercial agricole ? »
En introduction, et en quelque sorte résumé :
« Dans sa thèse, le doctorant Romain Nandillon tente de répondre à la question de savoir si une réduction considérable de l’usage des pesticides reste compatible avec la rentabilité de la Ferme France. La réponse est cependant bien moins convaincante que ne le suggère une brève parue dans la presse agricole. »
Et voici les pavés... L'essentiel y est dit, mais il faut prendre ces citations comme une incitation à lire un article très pédagogique, qui a aussi bénéficié du concours éclairé de M. André Fougeroux :
« Romain Nandillon démontre plutôt l’inefficacité de l’injonction centralisée et très jacobine qui consiste à vouloir imposer une réduction globale de 50% de l’usage des pesticides. »
« La diversification des cultures est d’autant moins une solution à généraliser qu’elle n’apporte pas toujours de réduction d’IFT. »
« En réalité, Romain Nandillon est contraint d’admettre qu’il n’existe pas de levier technique convaincant pour atteindre l’objectif de 50% de réduction de l’IFT. »
M. Gil Rivière-Wekstein conclut :
« La conclusion s’impose avec évidence : non, il n’est pas possible aujourd’hui de diminuer l’usage des pesticides tout en maintenant un excédent commercial agricole! »
C'est un peu catégorique et doit être mis en perspective.
D'une part, il y a sans doute des possibilités marginales de réduction grâce à une gestion plus fine de la lutte contre les parasites, maladies et mauvaises herbes. Et une réduction plus importante nécessitant des investissements dans le machinisme, la détection, l'intelligence artificielle... à condition, d'une part, d'avoir la capacité d'investissement et, d'autre part, l'environnement juridique qui permet de déployer les outils (problème des drones, par exemple).
D'autre part, il y a sans doute des possibilités importantes issues des techniques modernes d'amélioration des plantes – des « OGM » au sens strict du terme et des NGT. Là aussi, la question est pour une large mesure politique.
Mais « l'injonction centralisée et très jacobine » est et restera un désastre, pas seulement pour l'excédent commercial agricole, mais aussi pour notre souveraineté alimentaire.
On pourrait être tenté par le genre de critique qui a animé les agriculteurs de la FRSEA Île-de-France au début de cette année.
En effet, ce gros – sans doute très gros – travail n'apporte pas de solutions concrètes pour les agriculteurs. Il a toutefois le mérite de démontrer – s'il le fallait encore – la vacuité d'une politique qui court après un résultat qui flatte le paraître depuis près de vingt ans.
Mais curieusement – ou peut-être pas – l'INRAE n'a pas été diserte sur ce résultat.
(Source)