La vision d'un agriculteur mexicain d'une agriculture autosuffisante qui intègre le commerce et la technologie
Cesar Galaviz, Réseau Mondial d'Agriculteurs*
Crédit photo : ProtoplasmaKid / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0
Ma note : L'article original a été publié fin novembre 2024, mais il reste d'actualité.
Mme Claudia Sheinbaum est scientifique de formation (climatologue et spécialiste de l'efficacité énergétique, une des auteurs principaux du cinquième rapport d'évaluation du GIEC (2014)). Je ne m'étonnerai pas vraiment devant le fait qu'elle fasse prévaloir des considérations politiciennes et populistes sur la rationalité scientifique et économique.
La nouvelle présidente du Mexique cherche à revenir en arrière sur les agriculteurs.
C'est ainsi que l'Associated Press a considéré le nouveau plan agricole de la présidente Claudia Sheinbaum, qui a pris ses fonctions le mois dernier.
« Le Mexique annonce un plan pour l'alimentation et l'agriculture qui pourrait ramener le pays aux années 1980 », titre l'AP.
Je n'ai rien contre les années 80, mais les agriculteurs et les consommateurs mexicains ont besoin d'un avenir tourné vers l'avenir plutôt que vers le passé.
La présidente Sheinbaum déclare vouloir engager l'agriculture de notre pays dans un principe d'« autosuffisance » dans lequel les agriculteurs mexicains cultivent tout le maïs et les haricots que les Mexicains consomment.
« Il s'agit de produire ce que nous consommons », explique Mme Sheinbaum.
Ce concept est séduisant dans l'abstrait. La capacité à prendre soin de soi et de sa famille sans l'aide d'autrui est un objectif louable. Elle peut améliorer la confiance en soi et la résilience, et conduire à une meilleure qualité de vie.
Pourtant, le programme agricole de la présidente Sheinbaum est en fait le contraire de l'autosuffisance. Il s'agit d'un programme d'aide sociale visant à promouvoir la production dans la campagne mexicaine par les petits et moyens agriculteurs, principalement pour le maïs et les haricots, en les incitant à cultiver ce que le gouvernement soutient, plutôt que de leur permettre de répondre aux signaux du marché qui représentent ce que les consommateurs veulent vraiment. Il n'offre rien non plus aux grands agriculteurs comme moi, qui sont essentiels pour assurer la sécurité alimentaire de notre pays.
Source : INEGI
En tant qu'agriculteur de troisième génération dans la région de Sinaloa, le grenier à blé du Mexique, je produis du maïs, des haricots, des pois chiches, du sorgho et des mangues. Les agriculteurs peuvent cultiver presque tout ici, et notre région explique en grande partie pourquoi le Mexique est déjà autosuffisant en matière de production de maïs blanc destiné à la consommation humaine sous la forme de tortillas et d'autres aliments de base.
J'aimerais cependant proposer une vision différente de l'autosuffisance, une vision qui s'appuie sur les agriculteurs mexicains pour faire ce qu'ils font le mieux et qui tient compte des avantages du commerce et de la technologie.
Personne n'est vraiment autosuffisant. C'est pourquoi nous vivons en communautés. Tout le monde dépend des autres.
Un chauffeur de bus de Mexico qui mange un taco à midi dépend des éleveurs qui produisent du bœuf, des maraîchers qui cultivent de la laitue et des tomates, et des producteurs laitiers qui fabriquent du fromage. Il a également besoin d'agriculteurs comme moi, car nous sommes responsables du maïs qui entre dans la composition de la tortilla.
En un sens, ce chauffeur de bus n'est pas autosuffisant. Pourtant, s'il gagne un salaire honnête qui lui permet de payer ce qu'il consomme, on peut raisonnablement le qualifier d'« autosuffisant ».
Nous devrions considérer la nourriture mexicaine de la même manière. Nos agriculteurs peuvent produire une grande partie de ce dont nous avons besoin, mais il est également normal d'acheter et de vendre au-delà des frontières. Le Mexique, par exemple, ne produit pas suffisamment de maïs jaune et de protéagineux pour son bétail. Nous en importons une grande partie des États-Unis, dans le cadre d'un échange équitable de biens et de services qui nous permet également d'exporter des avocats, du bœuf, de la tequila et bien d'autres choses encore.
Ces réseaux commerciaux nous permettent en fait d'être autosuffisants. Nous devrions chercher à développer le commerce et à le renforcer, plutôt qu'à le réduire et à l'affaiblir, ce qui semble être l'objectif de la proposition de la présidente Sheinbaum.
Nous devons également avoir accès à la technologie. Ramener l'agriculture « aux années 1980 », c'est la ramener à une époque où la production était plus faible, les prix plus élevés et où l'on se souciait moins de la protection de l'environnement.
Au cours des dernières décennies, les progrès technologiques ont permis à beaucoup d'entre nous d'avoir dans leur poche une puissance de calcul supérieure à celle des plus grands superordinateurs des générations précédentes. Les agriculteurs ont également bénéficié d'une révolution technologique, depuis la génétique des semences jusqu'au semis de précision grâce aux satellites GPS.
Nous sommes plus à même que jamais de produire des denrées alimentaires de manière durable.
Plutôt que d'essayer de ramener l'agriculture mexicaine à son passé peu technologique, en promouvant certains produits et en subventionnant les ventes dans les magasins gérés par le gouvernement, nous devrions encourager les agriculteurs à innover en produisant ce que les gens veulent et en atteignant des objectifs à la fois environnementaux et économiques.
Les plus grands défis du Mexique en matière de production et de sécurité alimentaires concernent l'augmentation du coût des ressources telles que les engrais, la nécessité d'accéder à une protection efficace des cultures et la dangereuse pénurie d'eau dans un monde marqué par la sécheresse et le changement climatique. Ces questions n'ont pas grand-chose à voir avec le rêve d'autosuffisance de la présidente Sheinbaum et doivent faire l'objet d'une plus grande attention de la part de notre gouvernement.
Je partage une préoccupation avec la présidente Sheinbaum, qui dit vouloir que les Mexicains améliorent leur alimentation. Tout le monde peut manger mieux. Le succès commence par l'éducation dans les écoles et peut-être par une campagne destinée au grand public.
Mais une alimentation saine commence par des exploitations agricoles saines, et des exploitations agricoles saines nécessitent des dirigeants qui se projettent dans un avenir d'autosuffisance fondé sur le commerce et la technologie.
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* Cesar Galaviz
Cesar Galaviz est un nouveau membre du Réseau Mondial d'Agriculteurs. Il est originaire du Mexique, où il est agriculteur et éleveur. Cesar est un homme aux multiples talents, puisqu'il est également président de l'Association des Agriculteurs du Rio Fuerte Sur.