Le Figaro et la biodynamie : sans prise de recul ni esprit critique
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Le Figaro a publié le 30 janvier 2025, dans sa rubrique « vins », un article qui fait la promotion de la biodynamie, et ce, sans recul ni esprit critique.
Le titre est même une insulte à la rationalité : « Un film pour (enfin) comprendre le vin en biodynamie ».
Le film (un quart d'heure) est reproduit en fin d'article... Faut c'qui faut...
En chapô :
« Dans le documentaire"Histoire d’une conversion", les vignerons Philippe Pascal et Guillaume Marko expliquent comment ils cultivent en biodynamie les vignes du Cellier aux Moines, à Givry, en Bourgogne. Didactique et passionnant. »
Didactique ?
« Au fil des séquences, les deux vignerons jouent les professeurs, ou plutôt les guides. Guillaume Marko explique l’utilisation limitée du soufre [ma note : en fait, du cuivre] (1,2 kg par hectare) puis la fabrication de la décoction de prêle qui permet de lutter contre le mildiou en empêchant les champignons de pénétrer la plante. Le vigneron pulvérise sa décoction en préventif avant chaque pleine lune à partir de Pâques, puis en curatif, à chaque fois que la maladie se déclare au vignoble. »
Voyez-vous ça ! La « décoction de prêle » serait donc efficace contre le mildiou !
Il y a, certes, abondance d'articles sur les vertus de la prêle, particulièrement dans la littérature « bio » et pour jardiniers amateurs. Beaucoup sur les recettes (modes de fabrication), peu sur les résultats...
Mais il n'y a pas, semble-t-il, d'article de recherche, d'ordre technique, des fans de la biodynamie de l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement.
Il y a cependant une étude – qu'on peut qualifier de dégrossissage – d'une brochette d'auteurs dans Innovations Agronomiques, de 2014, « Évaluation des caractéristiques et de l’intérêt agronomique de préparations simples de plantes, pour des productions fruitières, légumières et viticoles économes en intrants » de P.A. Marchand, et al. Elle montre – ou tend à montrer – qu'« il y a quelque chose ».
La description des résultats sur les essais en plein champ n'est pas d'une clarté lumineuse. Contentons nous ici de : « En 2012, année à forte pression mildiou, les modalités alternatives décrochent assez vite. » Bref, ce n'est pas convaincant.
De fait, personne ne s'est engouffré dans cette sorte de brèche pour développer commercialement une PNPP, une « préparation naturelle peu préoccupante » (mais apparemment pas sans danger pour les abeilles selon l'étude précitée)...
Et les défenseurs du cuivre – une coalition improbable de thuriféraires du « bio » et d'industriels de l'agrochimie – se sont bien gardés d'en faire état quand la Commission Européenne envisageait de mettre fin à l'autorisation dudit cuivre.
(Source)
Pourtant, la prêle des champs (Equisetum arvense) est approuvée comme substance de base au niveau de l'Union Européenne.
Cependant, dans le Figaro, on va plus loin, même si on admet quand même recourir au cuivre : pour les préconisations d'emploi, on a sans doute constaté que l'efficacité en préventif est maximale en traitement avant la pleine lune – « car c'est le moment où les micro-organismes, donc les champignons comme le mildiou, sont les plus actifs », est-il dit dans la vidéo.
Plasmopara viticola est sans doute lunatique, au sens astrologique...
Non, non, ne riez pas ! Une « fiche technique » de Biodynamie Services nous apprend que c'est l'enseignement du grand savant (ironie) Rudolf Steiner – « un philosophe et scientifique autrichien selon un autre article du Figaro :
« L’emploi de la prêle des champs (Equisetum arvense) est basé sur les indications de Rudolf Steiner dans la sixième conférence du "cours aux agriculteurs". La décoction de prêle des champs y est présentée comme efficace en prévention des maladi cryptogamiques qui se développent à la suite d'excès d'humidité durant la période hivernale ou printanière. Ceci conduit à une trop grande activité des forces lunaires provoquant un accroissement anormal des forces végétatives. La décoction aurait la capacité de ramener vers la sphère du sol ces forces lunaires excédentaires, là où elles trouvent leur juste place pour stimuler l'activité biologique du sol (bactéries, mycorhizes et mycéliums divers). »
Notez toutefois le conditionnel...
Mais, la pleine lune de Pâques ?
« La pulvérisation dans la période qui précède la pleine lune de Pâques est née d’une hypothèse de Pierre Masson, conseiller en biodynamie, sur les meilleurs moments de pulvérisation pour favoriser l'efficacité de cette préparation en fonction des cycles lunisolaires. Cette idée a été mise en œuvre avec succès dans les vignes par Patrick Meyer vigneron biodynamiste alsacien, puis par de nombreux biodynamistes. [...] »
Arrêtons-nous là et passons au chai...
« Toutes les opérations sont réalisées en fonction des rythmes lunaires. Par exemple, la mise en bouteille est toujours réalisée en lune décroissante, quand l’astre a le moins d’influence sur le vin. »
Cela me plonge dans un abîme de perplexité : quand devrais-je boire le vin ? En lune croissante ou décroissante ?
Trève de plaisanterie : le Figaro propose d'autres articles sur le « même thème », et il y en a encore bien davantage étiquetés « biodynamie ».
Dans le lot, « Révolution dans le vignoble : ces vignerons qui font écouter de la musique à leurs vignes », d'octobre 2022.
En chapô :
« Utiliser la musique, on plutôt des séquences d’ondes, pour aider la vigne à lutter contre certaines maladies est encore rare. Pourtant, les résultats sont étonnamment bons. »
En voici la conclusion :
« Et avec des surprises comme lorsque ce vigneron du Languedoc, en cours d’agrément biodynamie par Demeter, a souhaité mettre en place la solution de Genodics. "Un responsable de l’organisme a déclaré que ce n’était pas un procédé admissible en biodynamie, alors même que nos premiers expérimentateurs étaient justement des vignerons en biodynamie", regrette Michel Duhamel. »
Le monde des méthodes « alternatives » est impitoyable... Et la rubrique « vins » du Figaro est – pour rester diplomatiquement correct – bien problématique.