Selon le Monde de M. Stéphane Foucart, les aliments bios sont meilleurs pour la santé – c'est (presque) prouvé (1)
On nous prend pour des perdreaux de l'année !
Le Monde a consacré quasiment trois pages de son cahier « Science & Médecine » du 6 novembre 2024 à deux articles de M. Stéphane Foucart sur le thème des bienfaits (allégués) de l'alimentation « bio » pour la santé. Le premier est un florilège d'articles favorables au bio, fruit d'un picorage (cherry picking), en partie dans la littérature de « science » militante.
Démontage d'une première « preuve » tirée d'un essai sur des perdrix.
Commençons par l'article secondaire : « Des institutions scientifiques entretiennent le doute sur les bénéfices du bio » (édition électronique) ou : « Quand des institutions scientifiques entretiennent le doute » (édition papier). Lisez bien : il faut comprendre que les bénéfices du bio sont prouvés.
M. Philippe Stoop et moi-même nous sommes penchés sur cet article dans, respectivement, « Le débat scientifique selon Le Monde : Alimentation bio et santé » et : « "Bio" et cancer : quand le Monde de M. Stéphane Foucart jette l'opprobre sur des institutions scientifiques ».
L'article principal, c'est pour l'édition électronique : « Les aliments bio sont-ils meilleurs pour la santé ? Ce que la science dit vraiment » et, pour l'édition papier : « Alimentation bio et santé, ce que dit vraiment la science » et, en page intérieure : « Manger bio, quels bienfaits prouvés sur la santé ? » (c'est le Monde qui a graissé).
En chapô de l'édition électronique :
« Enquête | Plusieurs études montrent des bénéfices de l’alimentation bio, notamment des risques moindres de certains cancers, de surpoids et d’obésité, de malformations congénitales. Les spécialistes insistent sur la cohérence d’ensemble de ces résultats, même si leur nombre reste trop faible pour que les liens de causalité soient incontestablement établis. »
Bref, c'est établi, mais sans être incontestablement établi – oups ! ce sont « les liens de causalité » qui ne sont pas « incontestablement établis ».
C'est encore un exemple de l'art consommé de la fabrication, ici, d'une certitude... enfin d'une quasi-certitude.
L'article examiné ici est un florilège d'articles favorables au bio, fruit d'un picorage (cherry picking), en partie dans la « science » militante ou, pour reprendre une expression de M. Philippe Stoop, « d'opinion ».
On ne trouvera donc pas de référence à des articles, ou encore à des méta-analyses, ayant conclu à l'absence de preuves (le cas échéant convaincantes) de (certains) bénéfices allégués (voir à cet égard un article un peu ancien, mais toujours d'actualité : « Aliments "bio" : ils sont beaux, les biais, par Wackes Seppi »).
L'entrée en matière est hilarante pour le rationaliste, impressionnante pour le lecteur béotien : voici donc une équipe de chercheurs experts en protocoles de recherche compliqués en situation réelle, sur le terrain, exigeant la collecte d'un grand nombre de mesures et leur interprétation par des outils de statistique complexes pour en extraire une mesure du paramètre recherché (d'aucuns diront : « la mesure souhaitée du paramètre recherché »). Elle a donc trouvé l'œuf de Colomb !
« Trouver un protocole expérimental qui mime ces conditions de vie, pour les comparer à une situation où les animaux ne sont pas ou très peu exposés, était compliqué : nous avons donc choisi de jouer sur la nourriture des oiseaux»,
dit l'un des auteurs.
Ils ont donc nourri pendant 29 semaines 40 et, l'année suivante, 38 perdrix grises pour moitié avec des graines issues de l'agriculture biologique et pour moitié de graines issues de l'agriculture conventionnelle. Cela rappelle beaucoup une infameuse étude sur des rats nourris avec du maïs génétiquement modifié et/ou assaisonné de glyphosate.
Dans l'article scientifique ainsi que dans la communication institutionnelle du Centre d'Études Biologiques de Chizé (CEBC/CNRS) de l'époque, « Chez les oiseaux aussi, manger bio est meilleur pour la santé », le dispositif expérimental avait été qualifié d'« innovant » !
Notez le « aussi » ! Le bénéfice de l'alimentation « bio » chez les humains est donc implicitement admis...
Dans l'étude, le traitement « bio » est qualifié de témoin. Ce n'est pas anodin, et témoigne d'un biais : l'objectif était de démontrer les méfaits des pesticides.
Et les résultats auraient été « frappants » :
« En quelques semaines d’expérience seulement, les "perdrix conventionnelles" voient leur système immunitaire déréglé par rapport à celui des "perdrix biologiques", leur taux de globules rouges réduit, la quantité de parasites intestinaux augmentée. Publiés en 2021 dans Environmental Pollution, ces résultats montrent en outre que les femelles conventionnelles pondent des œufs plus petits, à la coquille moins épaisse ; elles ont aussi accumulé plus de masse graisseuse et sont d’une corpulence plus forte que les "biologiques". Quant aux mâles, leur plumage est moins coloré. Ces effets modulés selon le sexe pourraient être liés, selon les chercheurs, aux propriétés de perturbateur endocrinien de certains pesticides. »
Les mots sont choisis par le Monde, le conditionnel final est de rigueur... l'explication est proposée par « les chercheurs », dans une conversation.
Et c'est un peu – beaucoup – différent du résumé de « Feeding partridges with organic or conventional grain triggers cascading effects in life-history traits » (nourrir les perdrix avec des céréales biologiques ou conventionnelles déclenche des effets en cascade dans les traits d'histoire de vie) de Jérôme Moreau, Karine Monceau, Malaury Crépin, Flavie Derouin Tochon, Cécilia Mondet, Marie Fraikin, Maria Teixeira et Vincent Bretagnolle.
Ainsi, « leur système immunitaire déréglé » du Monde, c'est : « les oiseaux exposés à des doses chroniques […] avaient un système immunitaire plus activé » dans le résumé. Les auteurs avaient aussi noté des différences en faveur de ces oiseaux, par exemple « une activité comportementale et un état corporel plus élevés ». Ils entretiennent également le flou :
« Nos résultats sont cohérents avec un effet hormétique, dans lequel l'exposition à une faible dose d'un agent chimique peut induire une réponse positive, mais nos résultats indiquent également que les adultes reproducteurs peuvent présenter des traits de fitness altérés ayant des conséquences sur la population par le biais d'une réduction de l'investissement dans la reproduction ou de la productivité. »
(Source)
Il serait fastidieux d'examiner en détail cet article qui commence par des considérations militantes et dont le résumé se termine par une recommandation tout aussi militante, avec la nécessaire dose de prudence :
« Compte tenu de l'ampleur actuelle de l'utilisation des pesticides dans les agrosystèmes, nous suggérons que de tels changements dans les traits du cycle de vie peuvent avoir un impact négatif à long terme sur les populations d'oiseaux sauvages dans l'ensemble des agrosystèmes. Nous insistons sur le fait que les effets à long terme ne devraient plus être ignorés dans l'évaluation des risques liés aux pesticides, alors qu'actuellement, seuls les effets à court terme sont pris en compte. »
Mais voyons brièvement le résumé graphique : pourquoi ne pas avoir mentionné la perte de poids des mâles « bio » à partir de la semaine 3 dans le résumé ? Comment peut-on l'expliquer ? Comment expliquer la prise de poids des femelles « conventionnelles » à partir de la semaine 6 ? D'ailleurs pourquoi les deux graphiques s'arrêtent-ils à la semaine 10 alors que les essais ont duré 29 semaines ?
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Un autre graphique, sur la charge parasitaire, montre une évolution difficilement conciliable avec l'hypothèse d'un effet des résidus de pesticides dans l'alimentation conventionnelle (il y en aurait eu quatre dans l'alimentation de 2017 et un seul dans celle de 2018). Notons ici que l'article n'a été publié qu'en juin 2021.
Quelle est, du reste, la rationalité d'un protocole expérimental sur deux ans avec des aliments de compositions différentes ? À part pouvoir incriminer l'alimentation « conventionnelle » et « les » pesticides ?
(Source – C'est le texte complet de l'article)
Cet article ne semble pas avoir fait l'objet de beaucoup de publicité. Comme nous l'avons vu plus haut, le Centre d'Études Biologiques de Chizé (CEBC/CNRS) – de M. Vincent Bretagnolle – a publié un article au titre péremptoire et archi-militant : « Chez les oiseaux aussi, manger bio est meilleur pour la santé », mais, en définitive, il n'est pas convaincant – et pour cause.
Que l'on puisse produire un communiqué avec un tel titre – avec une généralisation à l'alimentation « bio » – est proprement scandaleux : pour un essai portant sur des groupes de 10 (ou 9) mâles et 10 (ou 9) femelles par traitement ; mettant en jeu quatre résidus de pesticides (deltaméthrine, isoproturon, pipéronyle butoxide, pirimiphos-méthyle) puis un (chlorpyriphos-méthyle à la dose de 0,048 mg/kg) ; ayant produit des différences qui paraissent aléatoires, au mieux difficilement explicables par l'alimentation ; et dont les conséquences néfastes sont « simplement » supputées, mais largement évoquées...
Mais c'est la première pièce du Monde de M. Stéphane Foucart, en réalité, à charge contre l'agriculture conventionnelle.
Soyons logiques : si « Chez les oiseaux aussi, manger bio est meilleur pour la santé » – notez encore une fois le « aussi » – était vrai, cela ferait longtemps que cela se saurait. Les producteurs de volailles et d'œufs n'auraient pas manqué de le remarquer. Et cette supériorité ici alléguée pour les élevages n'est pas un élément de l'argumentaire des thuriféraires du « bio ».
À suivre...