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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Point de vue : Land Sharing vs Land Sparing – comment augmenter les rendements agricoles sans sacrifier les objectifs en matière de climat et de biodiversité ?

10 Janvier 2025 Publié dans #Agronomie, #Agro-écologie, #Biodiversité

Point de vue : Land Sharing vs Land Sparing – comment augmenter les rendements agricoles sans sacrifier les objectifs en matière de climat et de biodiversité ?

 

Graham Brookes, Genetic Literacy Project*

 

 

Crédit : Alan Manson via CC-BY-SA-3.0

 

 

Ma note : Land sharing et land sparing sont difficilement traduisible et le mieux est peut-être de ne pas traduire.

Le land sharing dénote un système agricole dans lequel on cherche à faire cohabiter sur la même terre les impératifs de production et de protection de la biodiversité. Dans le land sharing sparing, on cherche à optimiser la production sur les terres dédiées à l'agriculture, de manière à libérer des terres pour la biodiversité.

Cet article est fondé sur la situation en Angleterre. Il est tout à fait transposable à la France et à l'Union Européenne.

 

 

Quatre ans se sont écoulés depuis que j'ai mis en évidence les preuves scientifiques soulignant la nécessité urgente d'adopter une approche de land sparing comme base d'une future stratégie d'utilisation des terres au Royaume-Uni. Favorisée par Andrew Balmford et Ian Bateman, éminents spécialistes britanniques de l'environnement, et reprise dans le document « The Plan » de la Stratégie Alimentaire Nationale de 2021, cette approche préconise un modèle à trois compartiments pour l'utilisation des terres en Grande-Bretagne qui, s'il est correctement mis en œuvre, pourrait permettre d'atteindre un équilibre plus durable en termes de production alimentaire, d'utilisation des ressources, de conservation de la nature et d'atténuation des effets du changement climatique.

 

J'ai insisté sur la nécessité de réévaluer et d'affiner le système de gestion environnementale des terres (ELMS – Environmental Land Management Scheme) en Angleterre et ses équivalents en Irlande du Nord, en Écosse et au Pays de Galles, afin que ces options et les ressources fournies pour les soutenir reflètent mieux ce que nous disent les données scientifiques et factuelles.

 

 

Douze mois plus tard, quels sont les progrès accomplis ?

 

La nécessité de mettre en œuvre des politiques de lutte contre le changement climatique est plus urgente que jamais. Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, nous a récemment rappelé que : « L'ère du réchauffement climatique est terminée, l'ère de l'ébullition mondiale est arrivée. Les dirigeants doivent prendre les devants. Finies les hésitations. Finies les excuses. Plus question d'attendre que les autres agissent en premier. Il n'y a tout simplement plus de temps pour cela. »

 

Plusieurs nouveaux rapports ont également souligné l'urgence de mettre en œuvre des politiques d'utilisation des terres compatibles avec une approche de land sharing. Il s'agit notamment d'un nouveau rapport important sur l'utilisation des terres publié le mois dernier [en juillet 2023] par l'Institut des Ressources Mondiales (WRI – World Resources Institute). Le rapport du WRI indique qu'environ 85 % des terres utilisables dans le monde ont déjà été largement exploitées pour le bois ou converties à l'agriculture et que le monde est en passe de demander plus de 50 % de nourriture et de bois supplémentaires d'ici à 2050 par rapport aux niveaux de consommation de 2010. Au rythme actuel d'augmentation des rendements, cela signifierait qu'il faudrait convertir à l'agriculture une zone d'habitat naturel deux fois plus grande que l'Inde pour fournir ces denrées alimentaires et ce bois.

 

 

Crédit : John Spencer/DPE (CC BY-NC 4.0)

 

 

Le rapport du WRI propose un cadre à quatre volets intitulé « Produire, protéger, réduire et restaurer » comme solution potentielle à l'utilisation des terres dans nos pratiques de consommation et de production.

 

Il s'agit notamment de « protéger » les écosystèmes naturels et semi-naturels restants, de « réduire » le gaspillage alimentaire et les pratiques de consommation gourmandes en terres, et de « restaurer » les forêts et les zones humides sur les terres où les bénéfices en termes de carbone et de biodiversité sont exceptionnels, ou lorsque le potentiel de production alimentaire est faible.

 

Le message « produire » du rapport du WRI est tout aussi clair. Le monde doit accélérer les gains de productivité agricole pour éviter de nouvelles pertes d'écosystèmes naturels. Pour répondre à une croissance prévue de 56 % de la demande de calories agricoles entre 2010 et 2050, il faudrait multiplier les rendements agricoles par 1,2 par rapport au taux de croissance historique des rendements entre 1960 et 2010 (une période de 50 ans qui comprenait la « Révolution Verte » de Norman Borlaug).

 

Ce même message a été relayé dans le récent rapport OCDE-FAO sur les perspectives agricoles 2023-32, qui souligne le besoin urgent d'investissements dans l'innovation, de nouveaux gains de productivité et de réductions de l'intensité en carbone de la production agricole pour soutenir la sécurité alimentaire à long terme, l'accessibilité financière et la durabilité.

 

En effet, un fonctionnaire de la FAO a récemment reproché à l'UE d'avoir sacrifié les gains de productivité agricole dans son approche politique du Green Deal, qui comprend des objectifs visant à réduire de moitié l'utilisation des pesticides, à diminuer de 20 % l'utilisation des engrais et à consacrer un quart des terres agricoles à l'agriculture biologique.

 

David Laborde, directeur de la Division de l'Économie Agroalimentaire de la FAO, a mis en garde : « Moins l'Europe produit, moins elle exporte et plus elle demande sur les marchés mondiaux. Cela peut accroître les tensions. »

 

M. Laborde a ajouté que l'enjeu ne devrait pas être de sacrifier la productivité ou la durabilité, mais plutôt : « Comment les pays de l'UE peuvent-ils obtenir à la fois un gain d'intensification et une productivité durables ? »

 

En attendant, alors que le message de la politique de préservation des terres est de plus en plus défendu dans le monde, il est décevant de constater l'absence de progrès au Royaume-Uni.

 

Depuis de nombreuses années, la politique britannique en matière d'agriculture et d'utilisation des terres est fondée sur une approche de land sharing, qui a été reprise dans les politiques post-Brexit telles que l'ELMS.

 

Le problème avec l'approche du land sharing est qu'elle cherche à assurer la production alimentaire et la conservation en même temps, par exemple en réduisant l'utilisation d'intrants et l'intensité de la production et en créant des habitats à petite échelle tels que les bords de champs non traités et les petites parcelles boisées. En règle générale, le land sharing entraîne une baisse des rendements, de sorte qu'au niveau national ou mondial, une plus grande superficie de terre est nécessaire pour produire la même quantité de nourriture.

 

Andrew Balmford et Ian Bateman ont récemment mis en garde, dans la revue Nature, contre le fait que des pays comme le Royaume-Uni, qui adoptent des politiques de land sharing dans l'intention de réduire l'impact environnemental de l'agriculture – y compris les programmes agro-environnementaux, le ré-ensauvagement et l'agriculture biologique – pourraient, sans le vouloir, accélérer la perte de biodiversité mondiale et l'impact négatif sur le climat en réduisant la production nationale et en augmentant les importations de denrées alimentaires, à moins que des mesures politiques correspondantes ne soient prises pour augmenter les rendements ailleurs afin de maintenir et d'accroître la production alimentaire nationale.

 

Dans un article de suivi, Balmford et Bateman écrivent :

 

Le plus grand défi de ce siècle est de trouver comment nourrir, habiller et alimenter 10 milliards de personnes sans provoquer d'extinction massive des espèces et sans détruire le climat. Les preuves scientifiques à l'appui de la préservation des terres sont irréfutables. Alors pourquoi n'est-ce pas l'approche politique dominante aujourd'hui ?

 

L'une des réponses, selon les auteurs, pourrait résider dans l'influence politique des grands propriétaires terriens qui souhaitent maintenir le statu quo (12 % des exploitations agricoles reçoivent actuellement 50 % de l'ensemble des subventions publiques).

 

Et ces propriétaires fonciers ne sont pas beaucoup plus grands que le National Trust, le deuxième plus grand propriétaire foncier du Royaume-Uni, qui possède plus de 800.000 acres (320.000 hectares), ou la RSPB (Royal Society for the Protection of Birds – société royale de protection des oiseaux) avec plus de 320.000 acres (130.000 hectares, cinquième plus grand propriétaire).

 

Avec les Wildlife Trusts, ces deux grandes ONG propriétaires foncières ont récemment publié un rapport commandé indépendamment et intitulé « An assessment of the financial resources needed for environmental land management in the UK » (évaluation des ressources financières nécessaires à la gestion environnementale des terres au Royaume-Uni), dont la principale conclusion, selon les trois organisations, est qu'« au moins 4,4 milliards de livres par an doivent être consacrés uniquement aux programmes agro-environnementaux », au lieu des 3,5 milliards de livres actuellement dépensés pour l'aide aux exploitations agricoles.

 

Il n'est pas surprenant que les conclusions du rapport, telles qu'elles ont été interprétées par les organisations commanditaires, aient fait l'objet d'une couverture dans la presse agricole britannique : « L'agriculture a besoin de 4,4 milliards de livres par an, et non de 3,5 milliards, affirment les groupes de pression verts », a déclaré Farmers Weekly. « Au moins 4,4 milliards de livres par an sont nécessaires pour une agriculture respectueuse de la nature », a déclaré The Scottish Farmer.

 

Cependant, un examen plus approfondi suggère que ce n'est pas du tout la conclusion du rapport indépendant.

 

Loin de préconiser 4,4 milliards de livres pour les programmes agro-environnementaux, le rapport indépendant recommande en fait qu'au moins la moitié du budget de soutien à l'agriculture soit détournée de l'agriculture productive et allouée à la création ou à la restauration de zones boisées, de zones humides et de prairies semi-naturelles sur 25 % des terres actuellement cultivées, d'ici à 2050.

 

En tant que tel, ce rapport semble plus aligné sur certaines des politiques de land sparing soutenues par la science et les preuves, et moins aligné sur les politiques de land sharing favorisées par les ONG qui ont commandé le rapport.

 

Néanmoins, le rapport commandé par les ONG préconise toujours que l'autre moitié du budget, d'un montant de 4,4 milliards de dollars, proposé pour l'utilisation des terres et l'agriculture soit consacrée à des programmes agro-environnementaux qui favorisent une agriculture moins productive, tout en restant silencieux sur la reconnaissance ou la nécessité d'une augmentation correspondante de la production alimentaire sur les terres restant dans l'agriculture productive afin d'éviter de devoir importer davantage de denrées alimentaires et d'éviter des dommages potentiellement encore plus importants pour la biodiversité, l'impact climatique et la dégradation de l'environnement dans d'autres régions.

 

Cette myopie politique, qui favorise le land sharing plutôt que l'approche politique à trois compartiments, fondée sur la science et les faits, continue de dominer la politique britannique d'utilisation des terres après le Brexit, bien qu'elle soit incompatible avec l'engagement pris par le gouvernement britannique dans le cadre de sa propre stratégie alimentaire de maintenir les niveaux actuels de la production alimentaire nationale.

 

Comme je l'ai déjà fait remarquer, le principal défi de l'approche du land sparing est de convenir de l'affectation des terres à chacun des trois compartiments afin d'obtenir les résultats politiques souhaités en termes de production alimentaire nationale, de climat et d'objectifs de biodiversité.

 

En interprétant les résultats d'études de cas détaillées sur l'utilisation des terres axées sur ces objectifs et couvrant les Fens et la plaine de Salisbury, j'ai suggéré qu'une répartition de l'utilisation des terres d'environ 60 % dans l'agriculture à haut rendement/haute intensité, 25 % en tant qu'habitat naturel (pas d'agriculture) et 15 % dans l'agriculture extensive à faible rendement pour l'ensemble du pays pourrait être appropriée.

 

Cette approche scientifique et factuelle de l'affectation des terres devrait être la pierre angulaire de l'engagement du gouvernement britannique à publier un cadre d'affectation des terres d'ici à la fin de 2023. Elle devrait également être le principal moteur d'une refonte fondamentale du financement et de l'orientation du système de gestion environnementale des terres (Environmental Land Management SchemeELMS) de l'Angleterre, qui met trop l'accent sur l'approche politique du land sharing.

 

Comme nous le rappellent les propos du secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, évoqués plus haut, il est urgent de penser différemment notre utilisation des terres au Royaume-Uni. Ne pas le faire n'est plus une option si nous voulons jouer notre rôle en contribuant à un système agricole plus durable à la fois au Royaume-Uni et dans d'autres pays.

 

______________

 

* Graham Brookes est économiste agricole chez PG Economics, au Royaume-Uni. Il a plus de 30 ans d'expérience dans l'analyse de l'impact de l'utilisation des technologies et des changements de politique dans l'agriculture et a rédigé de nombreux articles dans des revues à comité de lecture sur l'impact de la réglementation, des changements de politique et de la technologie des cultures génétiquement modifiées.

 

Cet article a été publié pour la première fois sur Genetic Literacy Project le 14 septembre 2023.

 

Source : Viewpoint: Land sharing vs land sparing — How can we increase crop yields without sacrificing climate and biodiversity goals - Genetic Literacy Project

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