Pesticides et cancer du pancréas : de la publication scientifique à BFM TV
Sandrine Rousseau nous révèle une nouveau méfait des pesticides sur BFM TV le 6 janvier 2025
Philippe Stoop*
En résumé, cette étude cherche à expliquer que l’incidence du cancer du pancréas est plus élevée en France que dans les pays voisins, et y augmente plus vite. En partant du postulat (faux) que la France est très fortement consommatrice de pesticides, elle a cherché, et trouvé, une corrélation positive statistiquement significative avec la quantité de pesticides épandue par hectare cultivé, alors qu’en France cet indicateur est plus bas que dans les pays voisins, et a diminué continument depuis 20 ans, et que l’on sait déjà de façon sure que les personnes les plus exposées, les agriculteurs utilisateurs de pesticides, ont une incidence de cancer du pancréas inférieure de plus de 25% à la moyenne.
Ça fait beaucoup d’éléphants cachés dans la pièce que les reviewers n’ont pas repérés…
Qui a dit que les écologistes n’étaient pas de vrais scientifiques ? Invitée sur BFM TV le 6 janvier pour donner son avis sur la crise agricole, Sandrine Rousseau a montré qu’elle suivait de près l’actualité scientifique : après avoir répété pour la nième fois l’infox selon laquelle la France serait le plus gros pays consommateur de pesticides en Europe [i], elle a révélé un scoop épidémiologique tout frais et alarmant : l’incidence du cancer du pancréas en France augmente rapidement, et une étude aurait montré une « liaison très forte » entre l’usage des pesticides et le risque de cancer de pancréas chez les populations voisines.
C’est bien ce qu’annonce (au « très fort » près) une étude appelée ecoPESTICAP, dont les résultats ont été publiés sous le titre « Pesticides and risk of pancreatic adenocarcinoma in France: A nationwide spatiotemporal ecological study between 2011 and 2021 » (Brugel et al., 2024) [ii].
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Fig. 1 : Evolution récente de l’incidence du cancer du pancréas dans divers pays. On voit que sur la période considérée elle a augmenté plus vite en France que dans les autres pays européens proches, tels que l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni.
Source : https://www.canceropole-est.org/wp-content/uploads/2024/10/pesticides_canceropole_gest_decomp_-_diffusion_0.pdf, p. 2
En fait, la nouvelle n’est pas si fraiche que cela, la publication datant du 25 novembre 2024. Mais pour une fois, Stephane Foucart, le petit rapporteur des méfaits des pesticides auprès du monde politique, a attendu plus d’un mois avant d’en tirer pour Le Monde un des articles [iii] dont il a le secret. Les auteurs de cette étude ont croisé des bases de données géographiques sur l’incidence du cancer du pancréas et sur l’utilisation des pesticides, et recherché s’il y avait une corrélation entre ces données. Ils ont bien trouvé un lien statistiquement significatif, quoique plutôt modeste : l’incidence de cancer du pancréas augmente de 1,3 % quand le PEXI (l’indicateur d’exposition aux pesticides élaboré par les auteurs) augmente de 0,96. L’interprétation de ce PEXI n’étant pas évidente, il faut rentrer un peu plus dans les détails pour mesurer la portée de cette observation.
Le résultat le plus intéressant, et intriguant, est que les chercheurs ont observé de nettes disparités géographiques dans l’incidence du cancer du pancréas (CP), dont la cause parait difficile à rattacher à des données environnementales ou sociologiques : le risque de cancer du pancréas est plus élevé que la moyenne sur une bande qui traverse le pays du nord au sud, en traversant des zones très hétérogènes : les régions de plus forte incidence sont le sud du Massif Central, peu peuplé et avec peu d’activités économiques autres que l’agriculture, mais aussi l’Ile de France et la côte méditerranéenne :
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Fig. 2 : Répartition du Risque Relatif (RR) de cancer du pancréas en fonction des régions.
Un risque relatif de 1,4 signifie que l’incidence du cancer du pancréas est supérieure de 40 % à la moyenne nationale, un RR de 0,6 équivaut à une incidence réduite de 40 %. L’écart d’incidence entre les régions les plus et les moins exposées au cancer du pancréas est donc de 1.4/0.6, soit un rapport de 2,3.
Pour estimer l’exposition potentielle aux pesticides (le PEXI), les auteurs ont ensuite collecté les statistiques d’achat de pesticides du Bureau National des Ventes de Produits Pharmaceutiques par les Distributeurs Agréés (BNVD), organisation créée dans le cadre du Plan Ecophyto. Ces données sont collectées à l’échelle du code postal, et ont ensuite été ramenées à la surface agricole cultivée sur la même unité de surface. Ce choix d’apparence anodine peut se justifier, mais il ne fait l’objet d’aucune discussion dans la publication, alors qu’il soulève une question évidente : ramener les quantités de pesticides utilisées à la surface agricole permet de caractériser le niveau d’intensification des cultures ; c’est donc la bonne façon de procéder si l’on veut montrer un lien entre agriculture intensive et cancer. Mais pour évaluer l’exposition de la population générale, il serait probablement plus pertinent de ramener les quantités de pesticides épandues à la surface totale de la région considérée, surtout quand on ne mesure pas la distance entre les zones habitées et les cultures (ce qui est le cas ici). Ramener à l’hectare cultivé crée un biais particulièrement important pour les régions fortement urbanisées, où les surfaces agricoles sont résiduelles. Les données sanitaires sont collectées à l’échelle de zones dites PMSI, dont la surface moyenne est de 70 km². Prenons l’exemple d’une zone PMSI urbaine, où les cultures ne couvrent plus que quelques centaines d’hectares, donc quelques km². Si ces cultures reçoivent une forte protection (ce qui est souvent le cas dans les zones péri-urbaines, avec une forte proportion de cultures légumières ou fruitières), il suffit donc de quelques hectares cultivés pour qu’une zone PMSI soit déclarée fortement exposée, alors que l’immense majorité de ses habitants vivent à plusieurs kilomètres de toute parcelle agricole. A tout prendre, une exposition calculée à partir des quantités de pesticides ramenée à la surface totale de la zone PMSI (plutôt que la surface agricole) serait probablement moins biaisée. Mais elle aurait pour conséquence que l’Ile de France et les Bouches du Rhône seraient classées comme faiblement exposées, alors qu’il s’agit de régions à fort risque de cancer du pancréas… ce qui colle moins à l’hypothèse des auteurs !
Quoi qu’il en soit, la méthode choisie par les auteurs pour le calcul du PEXI nous donne la carte suivante :
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Fig. 3 : Carte du PEXI global (indicateur d’exposition globale aux pesticides calculé dans Brugel et al. 2024).
Cette carte présente quelques ressemblances, mais très superficielles, avec la carte des incidences du cancer du pancréas : dans les deux cas, on trouve des valeurs plutôt élevées dans le nord de la France et sur le littoral méditerranéen, et faibles en Bretagne et dans l’Est de la France. Par contre, le sud du Massif Central, qui est une région à forte incidence du CP, est une région où l’utilisation de pesticides est très faible. A l’inverse, la forte utilisation de pesticides dans le Val-de Loire n’est associée à aucune augmentation du risque de CP. De plus, il y a bien une bande de forte utilisation de pesticides qui relie le Nord et le Sud de la France, via la vallée du Rhône, mais elle est fortement décalée à l’Est par rapport à la ligne droite des zones à haut risque de CP.
Comme les auteurs ont utilisé des indicateurs statistiques non spatialisés [iv], ces différences géographiques majeures entre les deux cartes ne les ont pas empêché d’obtenir au bout du compte une liaison faible, mais statistiquement significative, entre Incidence du CP et PEXI. On voit sur la carte du PEXI que, pour l’immense majorité du territoire (en excluant les zones vert sombre et brun sombre, qui ne couvrent que des surfaces marginales), les écarts de PEXI ne se jouent qu’entre +3 et -3 unités par rapport à la moyenne, soit 6 unités de PEXI. Nous avons vu que le risque augmente de 1,3 % quand le PEXI augmente d’une unité, cela veut donc dire que, même si on adhère à la thèse des auteurs, l’exposition aux pesticides ne provoquerait qu’une augmentation de l’incidence de l’ordre de 8 % (1,013^6), entre les régions les plus exposées et les moins exposées, alors que les variations d’incidence observées sont plutôt de l’ordre de 230 %. De plus, cet effet attribué aux pesticides serait encore plus faible si les PEXI avaient été ramenés à la surface des zones PMSI plutôt qu’à la surface cultivée, ce qui serait une approche a priori au moins aussi valide.
Au-delà du PEXI général déjà cité (exposition à l’ensemble des pesticides), les auteurs ont également calculé des PEXI spécifiques pour quelques molécules parmi les plus utilisées, ou les plus suspectées d’effet cancérigène. Ils ont trouvé une liaison significative pour 3 d’entre elles : le « soufre pour pulvérisation », le mancozèbe, et le glyphosate. Le « soufre » tout court arrive en 4e position, mais non significatif [v]. Ces 3 molécules sont parmi les plus utilisées en France (ou tout au moins l’étaient en 2021, dernière année de l’étude, le mancozèbe ayant été retiré depuis). Il n’est donc pas surprenant qu’elles arrivent dans le tiercé de tête, malgré la diversité de leurs profils toxicologiques : le mancozèbe est classé CMR2, donc suspecté d’effets sur la cancérogénèse, la mutagénèse ou la reproduction, mais plutôt côté reproduction que côté cancérogénèse ; le soufre n’a à ma connaissance jamais été suspecté d’être cancérigène ; quant au glyphosate, sans revenir sur les polémiques qui le concernent, même le CIRC, qui l’a classé comme cancérigène probable, n’a trouvé aucun élément suggérant un lien avec le cancer du pancréas. De toutes façons, dans cette étude, aucun de ces produits n’a montré un lien avec l’incidence de CP plus élevée que le lien observé avec les pesticides en général, ce qui devrait être le cas si l’une de ces molécules était réellement le « coupable ».
Dans une publication statistique de ce type, ce sont normalement les paragraphes « Analyse de sensibilité » et « Discussion » qui permettent de débattre du niveau de preuve des résultats obtenus.
Au sens scientifique, l’analyse de sensibilité est « l'étude de la façon dont l'incertitude de la sortie d'un code ou d'un système (numérique ou autre) peut être attribuée à l'incertitude dans ses entrées » [vi]. En l’occurrence, il s’agirait donc d’évaluer en quoi l’incertitude sur l’évaluation de l’exposition aux pesticides, ainsi que l’incertitude sur la mesure de l’incidence du CP, influent sur la corrélation trouvée entre ces deux variables. Par exemple, nous avons vu que le PEXI aurait pu être légitimement calculé en ramenant la quantité de pesticides sur chaque code postal à sa surface totale, plutôt qu’à la surface cultivée. Il aurait donc été de bon ton de comparer les résultats obtenus avec ces deux modes de calcul du PEXI dans l’analyse de sensibilité. Par ailleurs, comme il s’agit d’une étude portant sur la coïncidence spatiale de deux variables calculées sur des unités géographiques différentes, on aurait pu y ajouter des interrogations sur l’impact de la méthode de spatialisation utilisée pour mettre en correspondance ces deux variables. On ne trouve rien de tout cela dans l’« analyse de sensibilité » de l’article, qui tient en 3 lignes, et porte uniquement sur un sujet complètement mineur : la prise en compte ou non de la consommation de tabac dans les ajustements statistiques utilisés. Cette conception de l’analyse de sensibilité est affligeante, mais on ne peut pas en tenir rigueur aux auteurs, tant le procédé est courant dans les études épidémiologiques : la plupart du temps, cette analyse de sensibilité est traitée comme une simple « case à cocher » pour faire plaisir aux reviewers, quitte à n’y traiter que de problèmes potentiels parfaitement insignifiants.
La discussion aurait pu être l’occasion de réfléchir enfin sérieusement aux vraies difficultés de la méthode utilisée, en particulier la pertinence du PEXI comme indicateur d’exposition. C’est là que l’on découvre que les auteurs ont réussi à la rédiger en contournant complètement deux beaux éléphants cachés dans la pièce :
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Si l’exposition de la population générale aux pesticides est difficile à mesurer, il y a au moins une catégorie de personnes dont on peut être à peu près sûr que leur exposition est particulièrement forte : les agriculteurs, et en particulier ceux qui utilisent des pesticides. Or, sur ce sujet, le consensus scientifique est clair : toutes les cohortes d’agriculteurs trouvent avec une belle unanimité que leur incidence de cancer du pancréas est inférieure de 20 à 30 % à celle de la population générale ! La métanalyse AGRICOH, qui regroupe les principales cohortes mondiales trouve une incidence réduite de 28 % chez les hommes, et 16 % chez les femmes [vii]. Il est assez stupéfiant de constater que les reviewers de la revue aient laissé passer l’absence de toute allusion à ce « petit détail ». Les auteurs, eux, ne l’ignorent évidemment pas : dans une présentation de ces travaux disponible en ligne, Mathias Brugel, le premier auteur de l’article, rappelle ce résultat bien connu de tous les spécialistes du sujet [viii]. Mais puisque les reviewers ne l’exigent pas, à quoi bon citer dans la publication les sujets qui fâchent ?
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L’étude cherche à élucider les raisons de l’augmentation récente de l’incidence du CP en France, plus rapide que dans les autres pays européens. Or, contrairement aux affirmations de Mme Rousseau (et de M. Brugel, qui déclare dans Le Monde, sous la plume de Stéphane Foucart, que « la France est un grand pays agricole, où l’usage des pesticides est l’un des plus intenses au monde »), des pays proches comme la Belgique et les Pays-Bas utilisent beaucoup plus de pesticides que la France, et auraient donc des PEXI beaucoup plus élevés si on leur appliquait la même méthode. La méthode utilisée en France devrait donc conduire à trouver un risque de CP plus élevé dans le reste de l’Europe de l’Ouest, alors que c’est le contraire que l’on observe.
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Fig. 4 : Carte des quantités de pesticides/ha utilisées en Europe. La France est proche de la moyenne européenne (et nettement en dessous de la moyenne de l’Europe de l’Ouest). Pour expliquer pourquoi la croissance de l’incidence du CP est plus élevée en France que dans le reste de l’Europe, M. Brugel et ses collègues utilisent donc un indicateur d’exposition aux pesticides qui est plus bas en France que chez la plupart de ses voisins, en particulier l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, où l’incidence du CP a beaucoup moins augmenté. (Source : données FAO, mises en forme sur https://fr.statista.com/infographie/15061/utilisation-pesticides-en-europe-par-pays/)
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Fig. 5 : Evolution des quantités de pesticides vendues en France depuis 1999. Pour expliquer l’augmentation récente de l’incidence du CP en France, M. Brugel et ses collègues utilisent donc un indicateur d’exposition aux pesticides qui diminue régulièrement depuis plus de 20 ans. (Source : https://agridemain.fr/evolution-des-pesticides-utilises/)
Le powerpoint déja cité de M. Brugel est une illustration très éclairante du double langage des épidémiologistes et des institutions de recherche médicale sur les impacts sanitaires des pesticides. Quand il s’adresse à ses pairs, comme c’est le cas dans ce powerpoint, M. Brugel reconnait en toute transparence que le niveau de preuve de cette étude est faible (diapo 18). Page 4, on trouve même de façon très explicite un troisième éléphant plus global, soigneusement glissé sous le tapis par l’INSERM dans ses deux expertises collectives sur les pesticides de 2013 et 2021 : le fait que l’immense majorité des études mettant en cause les pesticides sont des études cas-témoin rétrospectives, alors que les études de cohortes prospectives, classiquement considérées comme ayant un niveau de preuve plus élevé, sont beaucoup plus rassurantes. En 2018, j’avais rédigé un article sur ce sujet, « Pesticides et cancers chez les agriculteurs : la fuite en avant vers l’irréfutabilité » [ix], pour souligner que le caractère « désespérément » rassurant des études prospectives conduisait les recherches sur les effets sanitaires des pesticides dans une fuite en avant, vers la recherche d’effets de plus en plus faibles avec des méthodes statistiques au niveau de preuve de plus en plus incertain, plutôt que d’essayer d’éclaircir la cause de cette divergence études prospectives et rétrospectives. Ces articles m’ont valu une solide réputation de crypto-lobbyiste pro-pesticides ; il est donc assez amusant de voir qu’entre eux, les épidémiologistes partagent le même constat… même s’ils se gardent bien d’en parler dans leurs publications scientifiques, et si les reviewers se gardent bien d’exiger qu’ils en fassent état !
Il est vrai que M. Brugel mentionne aussi un type d’étude qui aurait un niveau de preuve encore plus élevé que les cohortes prospectives : une étude de cohorte cas-témoin, qui a montré une relation nettement plus solide entre l’incidence du cancer du pancréas et un pesticide (ou plutôt un métabolite de pesticides), le nonachlore : la présence de cette molécule dans le plasma sanguin serait associée à un risque multiplié par 2 de risque de cancer du pancréas (donc une association statistique 20 fois plus forte que celle trouvée dans ecoPESTIPAC). Mais, en dépit des apparences, ce résultat ne vient nullement conforter le faible niveau de preuve d’ecoPESTIPAC ; au contraire, il ouvre plutôt une autre piste. En effet, le nonachlore est un produit de dégradation du chlordane, un insecticide organochloré interdit en France depuis 1992 ! Il est donc parfaitement inutile d’en chercher l’effet dans les traitements agricoles réalisés de 2011 à 2021, comme cela a été fait. Certes le chlordane est encore présent à l’état de traces dans l’environnement plus de 30 ans après. Mais sa présence est désormais en grande partie due à ses anciennes utilisations comme traitement insecticide pour le bois d’œuvre, ou en traitement de sol contre les termites [x]. Bien sûr, un rôle éventuel des insecticides organo-chlorés n’explique pas a priori les variations géographiques d’incidence du CP, et encore moins le fait que les agriculteurs utilisateurs de pesticides soient peu sujets à cette maladie. Par ailleurs, M. Brugel signale lui-même dans l’article du Monde que leur interdiction est trop ancienne pour que leur effet explique l’augmentation récente de l’incidence du CP. Mais cette hypothèse se prêterait à des vérifications ciblées beaucoup moins hasardeuses qu’une enquête générale comme ecoPESTIPAC, en recherchant une sur-incidence chez les agriculteurs assez âgés pour avoir utilisé des organo-chlorés dans leur jeunesse, et chez les applicateurs de traitement insecticides du bois.
Laissons de côté les questions méthodologiques, et restons-en aux faits et aux résultats obtenus. Cette étude cherche à expliquer que l’incidence du cancer du pancréas est plus élevée en France que dans les pays voisins, et y augmente plus vite. En partant du postulat (faux) que la France est très fortement consommatrice de pesticides, elle a cherché, et trouvé, une corrélation positive statistiquement significative avec la quantité de pesticides épandue par hectare cultivé, alors qu’en France cet indicateur est plus bas que dans les pays voisins, et a diminué continument depuis 20 ans, et que l’on sait déjà de façon sure que les personnes les plus exposées, les agriculteurs utilisateurs de pesticides, ont une incidence de cancer du pancréas inférieure de plus de 25 % à la moyenne.
Cet exploit statistique méritait bien un coup de projecteur médiatique dans la bouche d’une responsable politique nationale, mais pour y arriver il faut faire preuve de doigté.
La première étape est de faire publier les résultats dans une revue scientifique, de préférence de bon niveau. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas le plus difficile : il suffit de présenter des résultats statiquement significatifs, en s’abstenant de toute affirmation erronée ; par contre, tous les mensonges par omission sont permis quand il s’agit d’un sujet aussi « consensuel » que les méfaits des pesticides, comme nous l’avons vu avec la petite famille d’éléphants (roses ?) occultés dans cette publication, ainsi qu’avec le traitement minimaliste de l’analyse de sensibilité.
Le tampon « Science officielle et indépendante des lobbies» étant ainsi obtenu, il faut ensuite trouver un relais médiatique pour faire connaitre ces travaux au grand public, tout en faisant mousser leurs résultats peu compréhensibles (et pour cause) dans la publication scientifique. Dans ce cas précis, cette étape a tardé de façon inquiétante, Le Monde ne s’étant pour une fois pas jeté tout de suite sur cette étude, qu’il a préféré garder au chaud jusqu’à la trêve des confiseurs. C’est là que l’on peut introduire les petits arrangements avec la réalité qui font avaler la pilule, mais qui auraient barré l’accès à la revue scientifique : ici, prétendre que la France est un pays « où l’usage des pesticides est l’un des plus intenses au monde », pour donner un semblant de rationalité à l’hypothèse formulée. Bien qu’il s’agisse de vulgarisation, il faut également veiller à exprimer les résultats chiffrés de façon assez obscure, pour que les lecteurs ne se rendent pas compte de leur caractère dérisoire : ici, expliquer que « En clair (sic), pour une augmentation de 2,6 kilos de pesticides utilisés à l’hectare, le risque relatif de cancer pancréatique augmente en moyenne de 1,3 % », sans préciser que cela représente au maximum une variation de + ou – 10 % de l’incidence, alors que celle-ci varie du simple à plus du double selon les régions. Dans le même temps, le milieu de la recherche n’étant pas toujours le monde des bisounours, il faut veiller à avoir une communication avec les pairs beaucoup plus modérée, et reconnaissant les faiblesses de l’étude, pour éviter toute critique. Cela permet aussi de laisser une trace écrite montrant que les chercheurs ne sont en rien responsables des interprétations abusives que certains journalistes font de leurs travaux.
Reste alors à espérer que des décideurs politiques s’emparent du sujet : ici, la réussite a été complète et rapide, puisqu’une semaine seulement après l’article de Stéphane Foucart, Sandrine Rousseau le citait sur le plateau de BFM TV. Maintenant qu’elle a attiré l’attention du public sur cette publication majeure, elle ne peut que réclamer les mesures fermes qui en découlent, pour interdire les produits incriminés : pour le glyphosate, elle l’a déjà demandé, pour le mancozèbe, ce n’est plus la peine puisqu’il est déjà retiré ; il ne lui reste donc plus qu’à exiger dans les plus brefs délais l’interdiction du soufre, même si ses conseillers lui soufflent dans l’oreillette que c’est un produit bio. Nous attendons avec impatience ses prochaines déclarations dans ce sens.
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[i] Un exemple classique d’information vraie, mais formulée de façon trompeuse, et répétée en boucle par les écologistes et le lobby bio : s’il est vrai que la France est le pays européen qui consomme le plus de pesticides[en tonnahe], c’est uniquement dû au fait qu’elle est de loin le pays qui a la plus grande surface agricole. Ramenée à l’hectare cultivé, son utilisation de pesticides est tout-à-fait dans la moyenne européenne, un peu en-dessous de 4kg/ha/an, et nettement inférieure à celle de ses voisins les plus proches d’Europe de l’Ouest (voir la figure 2).
[iv] Sur les différences entre indicateurs statistiques spatialisés et non spatialisés, voir : https://www.linkedin.com/posts/philippe-stoop-96316419_analyse-de-la-th%C3%A8se-de-d-pasquel-sur-le-activity-7191725266543468546-6cIG
[v] La publication n’explique pas clairement en quoi consistent ces deux types de soufre, mais comme le « soufre pour pulvérisation » est le plus utilisé, il est probable qu’il correspond au soufre mouillable, le soufre tout court étant probablement le soufre poudre.
[vi] https://fr.wikipedia.org/wiki/Analyse_de_sensibilit%C3%A9
[viii] https://www.canceropole-est.org/wp-content/uploads/2024/10/pesticides_canceropole_gest_decomp_-_diffusion_0.pdf, diapo 4.
[ix] Pesticides et cancers chez les agriculteurs : la fuite en avant vers l’irréfutabilité (première partie) et Pesticides et cancers chez les agriculteurs : la fuite en avant vers l’irréfutabilité (2ème partie)
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* Directeur Recherche & Innovation ITK - Membre de l'Académie d'Agriculture de France
Le résumé est tiré d'un courriel.