Foie gras à l'ARNm : vous êtes sérieux, là, 60 Millions ?
60 Millions de Consommateurs a publié un petit article potentiellement anxiogène sur un non-sujet. Une dérive du consumérisme sur fonds publics, c'est-à-dire nos impôts.
J'ai réussi à contenir un cri de stupeur et d'indignation à la lecture du sommaire du 60 Millions de Consommateurs de décembre 2024.
Quoi ? « Sécurité sanitaire : Du foie gras à l'ARN messager » ? Notez bien : ce point d'interrogation n'est pas journalistique ; il est grammatical, et c'est le mien.
J'étais dans la file d'attente pour payer mes emplettes chez le marchand de journaux... J'ai résisté...
Ce n'est qu'un articulet. Mais on hésite entre la bêtise crasse et la manipulation sournoise des opinions (la seconde option impliquant aussi une part de bêtise).
L'articulet prend en effet appui sur le démarrage de la campagne de vaccination des canards contre la grippe aviaire à l'aide d'un vaccin à ARNm, similaire dans son principe aux vaccins contre la Covid-19 de Moderna et Pfizer.
L'ARNm injecté pénètre dans des cellules et la machinerie cellulaire – du cytoplasme, pas du noyau – produit des protéines qui sont reconnues comme étrangères et qui induisent donc une réponse immunitaire. Dans un autre type de vaccin on injecterait ces protéines.
L'ARNm, par nature, a une durée de vie faible. Prenons-le de l'INRAE :
« Les désavantages de ces molécules d’ARNm sont essentiellement liés à leur stabilité plutôt faible. En effet, ce sont des molécules fragiles et leur conservation n’est pas toujours évidente même si des progrès ont été faits ces dernières années (lyophilisation). Que ce soit hors ou dans les cellules, les ARNm disparaissent vite, en raison de leur structure moléculaire… »
En bref, la question du « foie gras à l'ARN messager »... se pose et ne se pose pas !
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Les cellules du foie gras – comme de nombreux produits alimentaires issus du monde vivant – contiennent de l'ARN messager ;
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Mais ces mêmes cellules ne contiennent pas d'ARN messager vaccinal compte tenu du délai qui s'écoule entre la vaccination et la valorisation de l'animal, que ce soit sous forme de foie gras ou de viande.
Et quand bien même... Les ARN – tout comme l'ADN – sont dégradés lors de la digestion. Si l'on dit d'une personne qu'elle a des oreilles en feuille de chou ou un oignon au pied, ce n'est pas parce qu'elle a consommé du chou ou des oignons...
Le truc déployé dans l'articulet est très classique : on pose une question – qui, du reste, ne semble pas avoir été posée sur Internet ou plus généralement dans l'opinion publique – et on apporte la réponse idoine. Mais le simple fait de poser la question aura suscité la suspicion et permet le démarrage des théories du complot et autres extravagances, surtout que la réponse est alambiquée.
Bref, 60 Millions lance, au su ou à l'insu de son plein gré, une peur alimentaire, même si l'articulet se termine par : « Question de goût ou de conviction... mais pas de sécurité sanitaire. »
Il aura du reste fallu faire preuve d'acrobatie ou de mauvaise foi (ou des deux) pour remplir le quart de page.
En effet,
« L'Agence nationale du médicament vétérinaire garantit l'innocuité de ce dernier. Mais est-il risqué pour les consommateurs ? »
La réponse à la question est fournie... par la phrase précédente !
60 Millions a ensuite consulté un professeur de pathologie aviaire. Sa réponse n'est pas vraiment satisfaisante. Mais on peut supposer qu'on l'aura fait parler suffisamment longtemps pour obtenir de quoi étoffer l'articulet par une citation sélective de ses propos.
En définitive, il s'agit là de très mauvais journalisme et d'une dérive du consumérisme : l'objectif n'est pas, nous semble-t-il, d'informer le consommateur et citoyen, mais d'assurer l'existence du journal.
Rappelons que cette revue est largement subventionnée par nos impôts, et qu'à l'exigence de qualité journalistique s'ajoute le respect des obligations incombant à un service public.
Additif de 16 heures
C'est parti (hélas à cause de moi, car je viens de découvrir qu'il me suit). Déjà 58k vues... (Source)