Des paiements controversés : comment les ONG sont utilisées dans la lutte pour le pouvoir de l'UE
Peter Laufmann, AGRARHEUTE*
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© stock.adobe.com/ andriano_cz
L'utilisation de l'argent dans l'UE fait régulièrement l'objet de critiques.
Au sein de la Commission Européenne, on joue les uns contre les autres. Les ONG, qui reçoivent parfois de l'argent, en sont les instruments. Et d'autres fois non.
Le lobbying fait partie de la politique. Toutes sortes de groupes d'intérêts travaillent à Bruxelles pour leurs prébendes. Il est parfois difficile de comprendre de l'extérieur les implications et les actions des institutions. Aujourd'hui, deux développements ont été rendus publics qui, ensemble, font sens. Il s'agit en l'occurrence du comportement des associations environnementales et de la manière dont certaines parties de la Commission européenne ont tenté de se mettre en travers du chemin d'autres parties. Mais reprenons les choses dans l'ordre : la semaine dernière, la Commission Européenne a ordonné aux ONG environnementales de ne plus utiliser l'argent qu'elles reçoivent des projets verts de l'UE pour faire du lobbying. Cela vise en particulier des parties du programme LIFE, doté de 5,4 milliards d'euros.
Dans trois lettres de l'agence de la Commission Européenne responsable du projet Green Deal, CINEA, que le service d'information Politico a obtenues, il est fait mention de subventions provenant du fonds de projets environnementaux de l'UE LIFE. Parmi les bénéficiaires de ces fonds figurent par exemple le WWF, Friends of the Earth, ClientEarth et de nombreuses petites organisations caritatives et environnementales.
L'argent doit maintenant être utilisé différemment. La Commission a déclaré que les activités de lobbying actives, telles que l'organisation de réunions ou la fourniture de matériel à certaines institutions ou certains fonctionnaires de l'UE, peuvent constituer un risque pour la réputation de l'Union. Cela correspond aux changements politiques au sein de l'UE, selon lesquels un lobby environnemental actif doit être moins soutenu.
Mais cela ne signifie pas que le travail des ONG ne sera plus du tout financé. Alors que le travail de lobbying ne sera plus financé, les organisations pourront continuer à utiliser les fonds de l'UE pour des méthodes de communication moins coercitives, telles que l'élaboration de documents stratégiques, de documents de recherche, l'organisation d'ateliers, de conférences ou de formations. Le travail de lobbying des ONG doit être plus neutre. Elles doivent revoir leurs domaines d'activité pour 2024 [ma note : sans doute 2025].
L'invitation adressée aux organisations a un goût de trop peu, si l'on en juge par les nouvelles de ces derniers jours. On a appris que la Commission Européenne, plus précisément la Direction Générale de l'Environnement (DG ENV), soutient des organisations non gouvernementales avec des sommes considérables. Et ce n'est pas tout : des contrats tenus secrets jusqu'à présent montrent que ces fonds étaient liés à certaines conditions.
On pourrait tout à fait dire qu'un bras de la Commission Européenne voulait empêcher l'autre d'agir. La Commission a payé des ONG pour qu'elles fassent du lobbying contre l'accord de libre-échange avec le Mercosur, rapporte le média en ligne Table.media. Cela allait à l'encontre des objectifs officiels de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et du commissaire au commerce de l'époque, Valdis Dombrovskis.
Des ONG comme le Bureau Européen de l'Environnement ont reçu des instructions pour faire du lobbying auprès des institutions européennes et des États membres afin d'empêcher la ratification de l'accord commercial. Le Bureau Européen de l'Environnement a probablement reçu une subvention de fonctionnement de 700.000 euros par an. Il s'agit d'une organisation faîtière de l'UE regroupant des ONG environnementales de 41 pays, dont font partie, pour l'Allemagne, le Bund für Umwelt- und Naturschutz (BUND) et la Deutsche Umwelthilfe (DUH).
Mais ce ne sont pas les seuls. Table.media a obtenu une partie des contrats des ONG avec l'UE. Il en ressort que l'ONG Carbon Market Watch a reçu 205.000 euros par an pour travailler avec des députés du Parlement Européen. Ils devaient justifier d'un certain nombre de rencontres avec des députés et introduire des formulations concrètes dans les lois européennes.
La Health and Environment Alliance (HEAL) a reçu 598.000 euros par an pour organiser le soutien à l'interdiction du glyphosate et des PFAS. Le paquet comprenait des rencontres avec des membres de cabinets de commissaires et des discussions avec des représentants de la présidence de l'UE. Enfin, Client Earth a reçu 350.000 euros par an pour faire avancer la sortie du charbon en Allemagne. Les militants devaient déposer des plaintes contre des centrales à charbon comme Garzweiler et Boxberg et obtenir la fermeture de la centrale Datteln 4.
Les agriculteurs seraient également concernés. Ainsi, des ONG auraient été obligées d'intenter des actions en justice contre des agriculteurs qui travaillent dans des zones protégées et de contester les dérogations accordées par les autorités. L'objectif de ces mesures serait d'inverser la charge de la preuve, en obligeant les agriculteurs à prouver que leur travail ne cause pas de dommages à l'environnement. M. Max von Elverfeldt, président des Entreprises Familiales Agricoles et Forestières, s'est exprimé à ce sujet : « Il est scandaleux que des fonds publics soient utilisés pour faire peser une suspicion générale sur les agriculteurs et les mettre sous pression juridique. La prise d'influence ciblée via le lobbying des ONG entame durablement la confiance dans les institutions européennes et leurs processus décisionnels ».
Dans ce contexte, les lettres adressées aux ONG deviennent plus compréhensibles. Cela a été rendu public après que la Commission du Contrôle Budgétaire du Parlement Européen a découvert et critiqué ces pratiques. Une fois de plus, des questions sur la transparence et l'utilisation appropriée des fonds de l'UE ont éclaté. La Commission n'a pas contesté le contenu des contrats, mais ne se montre guère rongée par la culpabilité.
Les ONG réagissent également aux lettres et aux critiques. Dans une lettre adressée à Mme Ursula von der Leyen, elles précisent leur point de vue sur la question. Dans cette lettre, signée par 26 ONG, on peut lire : « Par ces activités, nous avons exercé notre droit à la participation du public aux processus de décision en matière de politique environnementale [...] Contrairement aux acteurs disposant de ressources importantes, tels que les gouvernements étrangers, les multinationales et les associations commerciales, les citoyens européens et leurs organisations de la société civile (OSC) et plus largement les organisations non gouvernementales (ONG) ne disposent souvent pas de ressources suffisantes pour être présents dans les dialogues publics au niveau européen ». Elles précisent également que les subventions de fonctionnement de LIFE pour les ONG environnementales et les organisations de la société civile ne s'élèvent qu'à 15,5 millions d'euros par an, soit 0,006 % du budget de l'UE.
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* Peter Laufmann travaille comme chef de texte à la rédaction d'AGRARHEUTE. Le rédacteur et auteur travaille depuis de nombreuses années dans le journalisme environnemental et scientifique. Son intérêt porte régulièrement sur le grand écart entre l'utilisation et la protection des ressources naturelles.
Source : Umstrittene Zahlungen: Wie NGOs im EU-Machtkampf benutzt werden | agrarheute.com