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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Créer des paniques... avec une grossière erreur de calcul

30 Décembre 2024 Publié dans #Article scientifique, #Activisme

Créer des paniques... avec une grossière erreur de calcul

 

Vous avez dit : « revue scientifique à comité de lecture » ?

 

 

(Source)

 

 

Un article dans la revue Chemosphere

 

Megan Liu, Sicco H. Brandsma et Erika Schreder ont produit un article publié dans Chemosphere en octobre 2024, « From e-waste to living space: Flame retardants contaminating household items add to concern about plastic recycling » (des déchets électroniques à l'espace vital : les retardateurs de flamme contaminant les articles ménagers renforcent les inquiétudes concernant le recyclage du plastique).

 

Deux auteurs (Megan Liu et Erika Schreder) sont affiliées à l'entreprise de lobbying états-unienne (bien sûr une « ONG ») Toxic-Free-Future. M. Sicco Brandsma relève de l'Amsterdam Institute for Life and Environment, Vrije Universiteit Amsterdam.

 

On se fera grâce du résumé de l'article dont le titre est, à lui seul, un poème.

 

Un titre qui est passé sous les fourches caudines du comité de lecture... Mais la question du fonctionnement des filières de recyclage est légitime.

 

Les auteurs ont analysé des ustensiles de cuisine en plastique noir et ont trouve que certains d'entre eux contenaient des (traces de) retardateurs de flamme provenant du recyclage de matières plastiques précédemment utilisés dans des produits électriques et électroniques.

 

 

Un article militant

 

Bien sûr, on apprend dès la deuxième phrase du résumé que : « Les problèmes de santé liés aux retardateurs de flamme (RF) comprennent la cancérogénicité, la perturbation endocrinienne, la neurotoxicité et la toxicité pour la reproduction et le développement. »

 

Comme il est d'usage dans la « science d'opinion », on nous abreuve de valeurs qui représentent des maxima. Ainsi, « Des RF [retardateurs de flamme] ont été trouvés dans 85 % des produits analysés, avec des concentrations totales de RF allant jusqu'à 22.800 mg/kg ». Le choix de l'unité n'est pas non plus anodin.

 

L'article nous livre un tableau avec des données chiffrées sur les teneurs en composés indésirables des 20 objets (sur 203) dans lesquels on a trouvé du brome à plus de 50 ppm (18.000 ppm pour le plus chargé, un plateau à sushis ; 5.410 pour le second, une voiture jouet ; moins de 1.000 à partir du rang 9). Rappel : 1 ppm = 1milligramme/kilogramme.

 

Selon les auteurs, ces 20 objets ont vraisemblablement été produits à partir de plastique recyclé et mal trié.

 

 

 

 

Des indications sommaires sur l'exposition...

 

Mais qu'est-ce que cela représente du point de vue de l'exposition ?

 

Selon le résumé,

 

« L'estimation de l'exposition au BDE-209 [décabromodiphényl éther] à partir d'ustensiles de cuisine contaminés a indiqué que les utilisateurs auraient une absorption médiane de 34.700 ng/jour, dépassant les estimations de l'absorption à partir de la poussière et de l'alimentation. »

 

Et, selon le texte, en partant d'une référence dans la littérature,

 

« […] Kuang et al. ont estimé l'exposition quotidienne au BDE-209 provenant d'ustensiles contaminés après avoir mené des expériences de migration simulant l'utilisation de ces ustensiles dans de l'huile chaude. En appliquant le taux de transfert dérivé de ces expériences (11,7 %) à la concentration médiane de BDE-209 dans les ustensiles de cuisine de cette étude, nous avons obtenu un apport quotidien estimé à 34.700 ng/jour provenant de l'utilisation d'ustensiles contaminés (voir SI pour les méthodes). Ce chiffre est à comparer à une absorption de ∑BDE aux États-Unis d'environ 250 ng/jour par ingestion de poussière domestique et d'environ 50 ng/jour par la nourriture (Besis et Samara, 2012) et se rapprocherait de la dose de référence américaine de BDE-209 de 7.000 ng/kg pc/jour (42.000 ng/jour pour un adulte de 60 kg) (Agence de Protection de l'Environnement des États-Unis, 2008). »

 

 

...mais grotesques...

 

C'est, à notre sens, parfaitement grotesque. L'affirmation présuppose que l'on utilise un ustensile chargé en brome tous les jours et en le trempant dans de l'huile chaude qui serait ensuite, vraisemblablement, consommée (ou qui transmettrait l'intégralité des substances en cause à l'aliment frit) !

 

 

 

 

À notre sens, aucun des ustensiles de leur étude n'est destiné à être trempé dans l'huile chaude, certainement pas les éplucheurs.

 

Nos trois auteurs estiment donc l'apport quotidien médian à 34.700 ng/jour (ou 34,7 µg/jour). Kuang et al. l'ont estimé à... 60 ng/jours de retardateurs de flamme totaux (c'est dans leur résumé). Un rapport de 1 à quelque 580 !

 

Ce ne sont certes pas les mêmes séries d'ustensiles, ni les mêmes produits mesurés, mais un tel écart aurait aussi dû, au minimum, intriguer les reviewers.

 

 

...et fausses

 

Mais il y a mieux encore !

 

« […] la dose de référence américaine de BDE-209 de 7.000 ng/kg pc/jour (42.000 ng/jour pour un adulte de 60 kg) [...] »

 

Non, ce n'est pas 42.000, mais 420.000 ng/jour, dix fois plus.

 

Le chiffre – déjà extravagant en soi – de 34.700 ng/jour ne se traduit donc pas par une absorption journalière de 83 % de la dose journalière admissible, mais de 8,3 %.

 

Chemosphere est une revue à comité de lecture...

 

Du coup – locution à la mode – se pose la question de savoir si le titre de l'article est vraiment approprié.

 

 

...ayant alimenté les marchands de peur

 

La version électronique de l'article n'a pas été corrigée... alors que l'erreur est énorme et que les marchands de peur se sont engouffrés dans la brèche.

 

Le National Post écrit dans « How a simple math error sparked a panic about black plastic kitchen utensils » (comment une simple erreur de calcul a déclenché une panique à propos des ustensiles de cuisine en plastique noir) :

 

« Il est rare que les plastiques fassent l'objet d'une telle couverture médiatique. De Newsmax à Food and Wine, et du Daily Mail à CNN, les médias ont accueilli avec enthousiasme un article publié en octobre dans la revue à comité de lecture Chemosphere.

 

"Votre ustensile de cuisine noir pourrait vous empoisonner lentement, selon une étude. Voici ce qu'il faut faire", a déclaré le LA Times. "Oui, jetez votre spatule noire", a déclaré le San Francisco Chronicle. Le Salon a été le plus direct : "Votre spatule préférée pourrait vous tuer". »

 

 

Chemosphere irresponsable

 

Chemosphere s'est contenté d'un discret renvoi à un corrigendum ! Et que disent les auteurs ?

 

« Les auteurs regrettent que notre manuscrit original ait été imprimé avec une erreur dans le calcul de la dose de référence de BDE-209 pour un adulte de 60 kg. Nous avons comparé la dose journalière estimée de 34.700 ng/jour de BDE-209 provenant de l'utilisation d'ustensiles contaminés à la dose de référence américaine de BDE-209 de 7.000 ng/kg pc/jour. Cependant, nous avons mal calculé la dose de référence pour un adulte de 60 kg, l'estimant initialement à 42.000 ng/jour au lieu de la valeur correcte de 420.000 ng/jour. En conséquence, nous avons révisé notre déclaration de "la dose journalière calculée s'approcherait de la dose de référence du BDE-209 aux États-Unis" à "la dose journalière calculée reste inférieure d'un ordre de grandeur à la dose de référence du BDE-209 aux États-Unis". Nous regrettons cette erreur et l'avons mise à jour dans notre manuscrit. Cette erreur de calcul n'affecte pas la conclusion générale de l'article. Les auteurs tiennent à s'excuser pour les désagréments occasionnés. »

 

Admettons, pour la conclusion générale, qu'« Il faut davantage de réglementation pour mettre fin à l'utilisation d'additifs dangereux et veiller à ce que les produits de remplacement soient fabriqués avec des matériaux et des produits chimiques plus sûrs. » Sachant que les auteurs enfoncent une porte ouverte, les autorités de réglementation faisant leur travail.

 

Mais Chemosphere se conduit de manière irresponsable.

 

Il n'est pas difficile, en effet, d'incorporer les corrections dans l'article de base en signalant le passage de la version initiale à la version corrigée.

 

Cet article devrait aussi montrer à tous ceux qui vouent une confiance absolue aux articles de revues à comité de lecture – à ceux qui flattent leur biais de confirmation – qu'il faut faire preuve de prudence.

 

 

 

 

Pas de conflits d'intérêts (air connu)

 

Un dernier mot :

 

« Déclaration d'intérêts concurrents

 

Les auteurs déclarent qu'ils n'ont pas d'intérêts financiers concurrents connus ou de relations personnelles qui auraient pu sembler influencer le travail présenté dans cet article. »

 

Nooooon ! Des employés du lobby Toxic-Free-Future...

 

 

Oups !

 

Ce n'était pas le dernier mot : Chemosphere est sur la sellette.

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H
Je peux quand vous confirmer que le plastique tue. <br /> Quelqu'un de ma famille avait une des plus belles collections de tuperwarre de France. Elle avait été une Madame Tupperware dès que c'est arrivé en France fin des années 1950. <br /> Elle s'était fait une spécialité des moules à charlottes de toutes formes et toutes tailles et bon an mal an, faisait au moins (plus s'il y avait du monde) une charlotte bien sucrée et bien grasse par jour et en mangeait la plus grande partie. Et elle ne mangeait pas que cela, elle dévorait et tout ce qui était possible était dans des tupperwares... <br /> Elle est morte obèse, des infections aux jambes, suites d'un diabète 2 à un peu plus de 90 ans, les charlottes en tupperware l'ont tué.<br /> <br /> Je reconnais que ses charlottes étaient fabuleuses !
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J
des retardateurs de feu provenant du recyclage du plastique...<br /> la place du plastique n'est pas dans une benne spéciale (qui coûte un bras) mais à l'incinérateur, en plus ça brûle très bien
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U
La revue par les pairs est une opération humaine, avec tout ce que cela comporte. Complaisance pour les copains, crocs en jambe pour les concurrents, objectivité et sérieux parfois.<br /> C'est sans doute la moins imparfaite façon d'éviter les bêtises et les fraudes, mais ce n'est pas parole d'évangile.
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