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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Bâtiments et travaux publics : les services de l’État n’ont pas à promouvoir des pratiques ésotériques

11 Décembre 2024 Publié dans #Charlatanisme, #AFIS

Bâtiments et travaux publics : les services de l’État n’ont pas à promouvoir des pratiques ésotériques

 

Association Française pour l’Information Scientifique*

 

 

 

 

Le monde du bâtiment et des travaux publics obéit à de nombreuses réglementations visant à assurer la sécurité et la solidité des constructions, garantir des performances énergétiques et environnementales minimales, ou encore assurer la qualité sanitaire et le confort des occupants. Les services de l’État sont supposés aider à la mise en place des moyens appropriés. Mais peuvent-ils le faire en faisant la promotion de l’ésotérisme ?

 

La géobiologie semble ainsi jouir d’une certaine complaisance que rien ne légitime scientifiquement. La géobiologie, héritière de la sourcellerie et du Feng Shui, postule des « influences cosmo-telluriques » sur le bien-être et la santé des humains, des animaux et des végétaux [1]. Selon cette pseudo-science, des « réseaux telluriques » entoureraient la Terre et formeraient un maillage d’énergie où les « nœuds » seraient source de danger, et des « cheminées cosmo-telluriques », reliant le noyau de la Terre à l’espace cosmique, permettraient des échanges avec le cosmos.

 

 

Complaisance des services de l’État

 

Un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER, sous l’égide du ministère de l’Agriculture), rendu public en décembre 2023 [2], s’est intéressé aux perturbations observées dans certains élevages situés à proximité d’équipements de production et de transport d’électricité ou d’infrastructures de télécommunications. Reconnaissant que la pratique de la géobiologie « est très contestée dans le milieu scientifique », le rapport préconise paradoxalement « d’une part que toute personne voulant revendiquer le titre de géobiologue suive un parcours de qualification reconnu par l’État reposant sur des compétences scientifiques adaptées et d’autre part que la profession continue à se structurer afin d’empêcher le charlatanisme ». Ce type de recommandation avait été formulé deux ans auparavant par un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst, alors présidé par Cédric Villani) avec le même argument paradoxal : pas scientifique mais néanmoins à structurer scientifiquement [3].

 

En 2021, la chambre d’agriculture des Pays de la Loire a signé avec la préfecture de Loire-Atlantique un protocole relatif à la prise en compte des activités d’élevage dans le cadre de projets d’implantation d’éoliennes [4]. Ce protocole stipule qu’avant toute implantation d’éolienne, l’entreprise en charge du projet pourra réaliser à ses frais une étude comprenant « un diagnostic géobiologique visant à optimiser le positionnement des éoliennes, des postes de livraison et le tracé de passage des câbles » ainsi qu’un diagnostic géobiologique des bâtiments d’élevage afin de « déterminer les veines d’eau souterraine, ainsi que les réseaux d’énergie naturelle de la terre (réseau Curry, réseau Hartmann, réseau grand diagonal, et le grand réseau global) ». Dans les rapports des géobiologues sollicités par ces entreprises, on trouve des préconisations surprenantes : déplacer de quelques mètres une installation pour éviter un « nœud défavorable », poser un dispositif supposé contrer les « ondes maléfiques »…

 

L’Anses, qui s’est penchée sur deux cas médiatisés de troubles dans des élevages de bovins à proximité d’installations éoliennes, a analysé les rapports remis par les géobiologues. La conclusion de l’agence est cinglante : « limites méthodologiques majeures », « manque de maîtrise des notions électromagnétiques élémentaires », « erreurs de calcul sur les chutes de tension », conclusion fondée sur un ressenti qui, par nature, « est difficilement contestable et objectivable, car il ne résulte pas d’une démarche scientifique » [5].

 

 

Des appels d’offres gangrénés par les pseudo-sciences

 

Une enquête publiée par le YouTubeur G. Milgram en octobre 2024 [6] montre que le recours à la géobiologie ainsi favorisée se développe aussi bien sur des chantiers de bâtiments agricoles, d’installation d’éoliennes que d’établissements scolaires 1. Notamment, plusieurs chambres d’agriculture proposent des formations en géobiologie et font la promotion de ces pratiques (voir par exemple celle des Pays de la Loire [4],[7]). Le préfet de Loire-Atlantique demande par ailleurs la sollicitation systématique de géobiologues en amont de l’installation d’éoliennes [3]. L’Afis dénonce la promotion de ces croyances infondées par un représentant de l’État.

 

Dans ce cadre, un adjuvant pour béton faisant appel aux principes ésotériques de l’anthroposophie rencontre un franc succès auprès des géobiologues. Commercialisé par une entreprise suisse, le Pneumatit® vise à restaurer « le lien du matériau béton avec les flux de la vie, comme lorsque le sang circule à nouveau dans un membre engourdi » [9]. L’Afis avait dénoncé les prétentions de ce produit en 2020 [9]. Cela n’a pas empêché son développement, et il pénètre désormais dans les marchés publics [10] (chantiers de construction d’écoles et collèges, notamment). Ces pratiques sont donc financées par de l’argent public.

 

Le Pneumatit® vendu en flacon est composé de sulfate de cuivre, de coquilles de nautile (un mollusque), du fémur droit d’un geai des chênes et d’écailles de papillon, préparés en lisant des textes religieux, dilués dans de l’eau selon les principes de l’homéopathie [6],[11]. Un colorant est ajouté, ce qui donne à l’eau une teinte bleue. Outre l’absurdité de la composition, compte tenu de la dilution effectuée et des quantités incorporées au béton, cet adjuvant « n’a aucune influence physique ni chimique sur le matériau de construction » comme l’explique son producteur [12]. Ce dernier se vante d’ailleurs que celui-ci « a la qualité d’une eau potable » [12].

 

Ce produit est désormais couramment utilisé dans les massifs de fondation d’éoliennes pour que leur béton soit « à nouveau en harmonie avec les forces naturelles » [13]. L’entreprise qui commercialise ce produit est partenaire de la Fédération française de géobiologie [14]. Le coût d’achat de Pneumatit® est de 180 € le litre [15], plus cher qu’une bouteille de vin haut de gamme. Incorporé dans du béton, il revient à un peu plus de 20 € par m3 de béton. Sachant qu’une éolienne nécessite quelques centaines de m3 de béton pour son support, cela représente quelques milliers d’euros. Selon le YouTubeur G. Milgram, le parc éolien de Chenu, en Sarthe, a dépensé entre 20.000 et 30.000 € pour ces flacons d’eau colorée.

 

De plus, la composition réelle du Pneumatit® et ses fondements ésotériques sont parfois cachés aux clients. Le journal Le Télégramme [16] rapporte le cas d’agriculteurs qui ont dépensé 4.000 € pour acheter du Pneumatit® sans savoir précisément de quoi il s’agit. Il leur est alors expliqué que la recette est « secrète ». « Si on avait su, on n’aurait jamais signé » regrettent-ils après avoir découvert la nature réelle de leur achat.

 

L’Afis tient à dénoncer ces pratiques. Les potentiels clients devraient être correctement informés sur les fondements pseudo-scientifiques de la géobiologie. Et les services de l’État n’ont pas à promouvoir et financer des pratiques ésotériques sans effet validé.

 

 

Références

 

1| Brugère H, « La géobiologie, une pseudo-science en expansion », Sciences et pseudo-sciences n° 277, mai 2007.

 

2| Clément T, Tremblay D, « Caractérisation de l’impact sur les activités d’élevage des antennes téléphoniques, installations électriques et éoliennes », Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, décembre 2023.

 

3| Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, « L’impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d’élevage », Rapport, mars 2021.

 

4| Chambre d’agriculture Pays de la Loire, « Protocole pour la prise en compte des activités d’élevage dans le cadre des projets d’implantation de parcs éolien », 2021.

 

5| Anses, « Imputabilité à un champ d’éoliennes d’effets rapportés dans deux élevages bovins », Rapport d’expertise collective, octobre 2021.

 

6| « Une arnaque ésotérique soutenue par l’État ... (Enquête) » 9 octobre 2024 sur youtube.com

 

7| Chambre d’agriculture Pays de la Loire, « Géobiologie : accompagner le développement de nouvelles technologies sur votre territoire », 16 mai 2024.

 

8| Quirant J, « On n’arrête pas le progrès : un adjuvant biodynamique pour le béton… », Sciences et pseudo-sciences n° 330, octobre 2019.

 

9| Carte des chantiers ayant utilisé le Pneumatit®

 

10| Réseau Anti Arnaques d’UFC-Que Choisir, « Le béton biodynamique de PNEUMATIT : quels effets thérapeutiques ? », Info-Alerte n° 1860 du 19 décembre 2018.

 

11| « https://pneumatit.ch/fr/fondement/ ». Sur pneumatit.ch

 

12| « Emploi ». Sur pneumatit.ch

 

13| « Le béton, un projet de l’humanité ». Sur pneumatit.ch

 

14| « Les partenaires de la Fédération Française de Géobiologie ». Sur federation-francaise-de-geobiologie.org

 

15| « Autorisations ». Sur pneumatit.ch

 

16| Denial D, « Si on avait su, on n’aurait jamais signé” : ces agriculteurs bretons ont utilisé Pneumatit », Le Télégramme, 14 novembre 2024.

 

1 Des géobiologues cités dans son enquête ont fait bloquer sa vidéo sur YouTube, durant deux semaines en novembre 2024.

 

______________

 

* Source : Bâtiments et travaux publics : les services de l’État n’ont pas à promouvoir des pratiques ésotériques - Afis Science - Association française pour l’information scientifique

 

 

Post scriptum

 

On lira aussi avec très grand intérêt : « “Élus ne cédez pas à la géobiologie” S. Point (Interview) » sur European Scientist.

 

 

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U
Un Préfet ...
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