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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Une société savante de cancérologie sous l’influence d’un consultant de l’agrochimie ?

8 Novembre 2024 Publié dans #Le Monde, #critique de l'information, #Activisme, #Lobbying

Une société savante de cancérologie sous l’influence d’un consultant de l’agrochimie ?

 

Philippe Stoop*

 

 

 

 

C’est une nouvelle extrêmement grave, qui confirme l’emprise du lobbying exercé par l’industrie chimique pour dissimuler l’impact de ses produits sur notre santé. Selon mes informations, la Société Française du Cancer (SFC) a renoncé à s’associer à une tribune contre les pesticides publiée par Le Monde, sous l’influence de publications d’apparence scientifique, rédigées en fait par un consultant de sociétés agrochimiques. Contactée pour vérifier la véracité de cette information, la SFC n’a pas souhaité répondre.

 

 

Après cette introduction fracassante, il est temps de rendre à César ce qui est à César. Ce n’est pas moi qui suis à l’origine de ce scoop, mais le grand reporter et grande plume du Monde, Stephane Foucart, dans un article récent intitulé en toute sobriété « Plongée dans la boîte noire de la propagande mondiale en faveur des pesticides ».

 

J’ai donc découvert cette affaire tout simplement en lisant Le Monde, ce qui m’a doublement surpris :

 

  • D’une part parce que j’aurais cru que les membres de cette société savante, qui sont tous des scientifiques de haut niveau, n’ont pas besoin de l’avis de consultants pour interpréter les études sur les impacts sanitaires des pesticides ;

 

  • Mais surtout parce que j’ai appris à cette occasion que j’étais l’une des personnes qui auraient influencé la SFC !

 

En effet, quelques lignes après m’avoir présenté comme « consultant pour de grandes sociétés agro-industrielles », Stéphane Foucart explique : « En avril, par exemple, la Société française du cancer a, selon nos informations, renoncé à endosser une tribune soumise au Monde sur les liens entre pesticides et cancer, après que certains de ses membres ont fait circuler en interne des billets de MM. Heitz et Stoop comme éléments de relativisation des risques réels présentés par ces substances ».

 

Le mauvais côté de cette histoire était le risque que mon employeur prenne ombrage de découvrir, dans un journal aussi sérieux que Le Monde, que j’exercerais en douce des activités de consulting en marge de mon travail salarié. J’espère avoir réussi à le rassurer sur le fait que c’est absolument faux.

 

Reste le côté positif : si l’informateur de Stéphane Foucart sur la SFC a dit vrai, cela voudrait dire que (conjointement à André HEITZ, que je salue au passage), j’aurais eu une influence significative sur une société savante dont je n’ai jamais rencontré aucun membre, probablement grâce à quelques articles parus sur le site European Scientist [i].

 

Mais même ce bon côté peut avoir une face sombre. Cette anecdote est flatteuse si on l’interprète comme la preuve que mes articles (comme ceux d’André Heitz) ont été jugés scientifiquement valides par la SFC. Elle l’est beaucoup moins si les deux individus susnommés ont fait pression sur elle pour l’empêcher de s’associer à une tribune, qu’elle aurait signé sinon. Reste à savoir de quels moyens de pression occultes disposaient ces deux lobbyistes cachés. L’un étant retraité de la fonction publique internationale, et l’autre salarié d’une PME, la piste de la corruption paraît au-dessus de leurs moyens financiers. Auraient-ils des informations personnelles compromettantes sur les membres de la SFC ? Espérons que la taupe foucartienne a encore des révélations supplémentaires en réserve, pour crédibiliser la piste de pressions de nature non scientifique.

 

 

Société Française du Cancer : un silence qui en dit long, mais sur quoi ?

 

En attendant d’éventuels scoops supplémentaires, il y a au moins un protagoniste de l’histoire pour qui les deux hypothèses suggérées par l’insinuation du Monde sont désobligeantes, c’est la SFC : dans un cas, elle s’est laissé influencer scientifiquement par des lobbyistes cachés (comme les OGM du même nom) ; dans l’autre, elle a cédé à des pressions en se dissociant d’une tribune qui visait à dénoncer un grave problème sanitaire. La seule explication qui serait tout à son honneur n’est pas envisagée par S. Foucart : ce serait qu’elle ait refusé de s’associer à cette tribune, simplement parce que son contenu n’était pas conforme à la vérité scientifique.

 

On aurait donc pu s’attendre à ce que la SFC réagisse à cette mise en cause par Le Monde. Cela n’a pas été le cas à ce jour. C’est pourquoi j’ai essayé de la contacter pour avoir son avis sur les accusations du journal. Après un e-mail accusant réception de ma demande, elle n’a pas donné signe de vie malgré mes relances. Faut-il en conclure qu’elle ne voit aucun inconvénient à ce qu’un journal aussi négligeable que Le Monde mette en cause son indépendance et sa probité ?

 

Ce genre d’insinuation n’a pourtant rien d’un dérapage ponctuel : c’est une constante du travail de fond de ce journal, qui lui a permis progressivement de décrédibiliser auprès de son lectorat influent les agences sanitaires et les Académies scientifiques, comme en témoigne l’ouvrage cosigné par S. Foucart, « Les Gardiens de la raison » [ii]. C'est ce qui justifie qu’il leur substitue comme référence scientifique des organisations plus compatibles avec sa ligne politique, comme Générations Futures pour les pesticides, et la Ligue contre le cancer pour les causes de cancer. Si la SFC espère passer entre les gouttes en courbant l’échine, souhaitons-lui bonne chance !

 

Dans un article récent sur « La fabrique de la science alternative », et à propos du livre « Les illusionnistes » de Géraldine Woessner et Erwan Seznec [iii], nous avions déjà souligné le rôle ambigu des organisations de recherche publique dans le développement de théories pseudoscientifiques, qui tendent pourtant à saper leur crédibilité. C’est ainsi que l’INRAE s’abstient de critiquer, mais « cancelle » dans ses expertises collectives des publications douteuses, qui avaient pourtant été mises en avant lors de leur parution par son service de presse, et continuent à être citées par certains de ses chercheurs [iv]. C’est ainsi qu’AgroParisTech ne juge pas utile de contredire les étudiants qui clament que son enseignement « pousse globalement aux ravages sociaux et économiques en cours » [v]. En se taisant quand le Monde insinue qu’elle se laisse influencer par des lobbyistes, la Société Française du Cancer alimente l’extension du domaine du dénigrement des institutions scientifiques, qui est le fil rouge de l’œuvre de Stéphane Foucart [vi].

 

______________

 

[i] Pesticides et cancers chez les agriculteurs : la fuite en avant vers l’irréfutabilité (première partie)

et

Pesticides et cancers chez les agriculteurs : la fuite en avant vers l’irréfutabilité (2ème partie)

 

[ii] Un diplôme de désinformation décerné par S. Foucart (Le Monde) | LinkedIn

 

[iii] « Les Illusionnistes » : un portrait décapant de l’écologie politique | LinkedIn

Sur ce blog : « Les Illusionnistes » : un portrait décapant de l’écologie politique - Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

 

[iv] Le monde merveilleux de l’agroécologie par corrélations, III : La fabrique de la science alternative | LinkedIn

Sur ce blog : Le monde merveilleux de l’agroécologie par corrélations, III : La fabrique de la science alternative - Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

 

[v] Courage, fuyons : AgroParisTech face à ses « déserteurs » | LinkedIn

Sur ce blog : Courage, fuyons : AgroParisTech face à ses « déserteurs » - Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

 

[vi] Pour quelques exemples récents, voir :

 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/07/ni-la-crise-ecologique-ni-l-aggravation-de-ses-effets-n-ont-converti-les-academies-scientifiques-a-une-culture-de-la-precaution_6209492_3232.html

 

https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/10/01/nouveaux-ogm-un-rapport-denonce-les-conflits-d-interets-entre-experts-scientifiques-et-industrie_6143967_3244.html

 

et l’article qui résume le fondement de sa pensée : https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/10/27/en-matiere-de-sante-publique-le-rigorisme-scientifique-est-une-posture-dangereuse_5375460_3232.html

 

Directeur Recherche & Innovation ITK – Membre de l'Académie d'Agriculture de France

 

Source : Une société savante de cancérologie sous l’influence d’un consultant de l’agrochimie ? | LinkedIn

 

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A
L"ARC aussi a une position ambigue
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