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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Pseudo-scandale « Bonus Eventus » : une leçon de journalisme manipulateur par Carey Gillam

27 Novembre 2024

Pseudo-scandale « Bonus Eventus » : une leçon de journalisme manipulateur par Carey Gillam

 

Pour rappel : le Monde de Stéphane Foucart a participé à cette sinistre farce

 

 

« Redéfinir le journalisme environnemental – Une initiative de l'EWG », tel est le slogan de The New Lede, un organe d'information de l'Environmental Working Group. Le « journalisme objectif est l'une de nos principales convictions » vient en premier dans son « code de conduite/principes fondamentaux » proclamé. Une plongée dans « “Defend or be damned” – How a US company uses government funds to suppress pesticide opposition around the world » (se défendre ou être damné – comment une entreprise américaine utilise des fonds gouvernementaux pour supprimer l'opposition aux pesticides dans le monde entier) montrera que la première affirmation est vraie, tout comme l'est probablement la seconde... mais en tant que simple croyance et élément de signalisation de la vertu. Dans cet article, nous mettrons l'accent sur une conférence qui a eu lieu au Kenya en juin 2019.

 

 

L'article a été rédigé par Carey Gillam, rédactrice en chef du New Lede. Il y a deux autres signatures, Margot Gibbs et Elena DeBre, de Lighthouse Reports, mais la stichting de « journalisme radicalement collaboratif » (une association de droit néerlandais bénéficiant d'une fiscalité légère) est manifestement et en grande partie un paravent dans cette affaire.

 

 

Un mauvais titre pour bien commencer !

 

« Se défendre ou être damné » pourrait être un ordre de marche approprié pour l'industrie agrochimique au vu de l'activisme déployé par une industrie de lobbying anti-pesticides florissante, bien financée et bien connectée.

 

Mais, comme nous l'avons déjà vu ailleurs, la petite société de communication v-Fluence, principale cible de cet article, n'utilise pas de fonds publics et n'a pas pour mission de « supprimer l'opposition aux pesticides », encore moins dans le monde entier.

 

 

Des contrats gouvernementaux ?

 

Passons maintenant à une histoire assez détaillée sur une conférence organisée à Nairobi, au Kenya, du 18 au 21 juin 2019.

 

Premier exemple de journalisme manipulateur : Affirmer quelque chose que l'on sait être faux (A) et le faire suivre d'un démenti (B) :

 

« Une région clé pour le travail de v-Fluence a été l'Afrique. Selon les contrats gouvernementaux, v-Fluence devait collaborer avec le programme de l'USAID afin de renforcer les messages en faveur des cultures génétiquement modifiées en Afrique et de contrer les opposants aux OGM. Elle s'est concentrée en particulier sur le Kenya.

 

Byrne nie que v-Fluence ait eu ou ait encore des contrats avec le gouvernement américain. Il affirme que les États-Unis financent “d'autres organisations avec lesquelles nous travaillons” et que, depuis plus de 20 ans, “nous avons eu de nombreux projets financés par les États-Unis et d'autres gouvernements ».

 

Le lecteur n'a plus qu'à croire ce qui est clair (A), ou bien ce qui est quelque peu confus (B). Le journalisme objectif est l'un de leurs principes fondamentaux proclamés...

 

 

Une conférence organisée par « une organisation qui dispense un enseignement sur les technologies agricoles » ?

 

Il faut dévoiler ici plus que ce qu'annonce le titre de cette partie :

 

« Dans le cadre de sa campagne au Kenya, Byrne et v-Fluence ont participé aux efforts visant à saper une conférence qui devait se tenir à Nairobi en juin 2019, organisée par le World Food Preservation Center, une organisation qui fournit une éducation sur la technologie agricole dans les pays en développement. Parmi les intervenants prévus figuraient des scientifiques dont les travaux ont mis en évidence les effets des pesticides sur la santé et l'environnement, et ce alors que les législateurs kényans s'apprêtaient à lancer une enquête parlementaire sur les pesticides dangereux. »

 

Deuxième exemple de journalisme manipulateur : Embellir les faits lorsque cela convient à la narration.

 

Il semble qu'il ne reste aucune trace de l'annonce originale de la conférence par le World Food Preservation Center LLC. Mais elle a été reprise par le Forum Mondial sur la Sécurité Alimentaire et la Nutrition (FSN Forum) de la FAO.

 

 

Il ne s'agit que du haut de la page.

 

 

Le premier paragraphe se lit comme suit

 

« Le “1er Congrès africain sur les pesticides de synthèse” organisé par le World Food Preservation CenterÒLLC fusionne avec la conférence d'Afrique de l'Est sur “l'élargissement de l'agroécologie et du commerce biologique écologique” organisée par Biovision Africa Trust, IFOAM Organics International et leurs partenaires pour devenir la “1ère Conférence internationale sur l'agroécologie transformant l'agriculture et les systèmes alimentaires en Afrique ».

 

L'objectif n'était donc pas de fournir une « éducation sur la technologie agricole », mais de dénoncer les pesticides (uniquement ceux de synthèse) et de promouvoir l'agriculture biologique – une forme d'agriculture moins productive dans un pays et une région qui luttent pour atteindre la sécurité alimentaire.

 

Et l'organisateur n'était pas le seul World Food Preservation Center LLC. Alors que le Biovision Africa Trust n'aurait pas éveillé l'attention des lecteurs, l'IFOAM Organics International, l'organisation chef de file de l'agriculture biologique, aurait soulevé de sérieuses inquiétudes. Carey a donc choisi d'être sélective...

 

Troisième exemple de journalisme manipulateur : Deux poids, deux mesures.

 

Il y a eu des « efforts visant à saper une conférence »... mais il n'y a aucun commentaire négatif sur les efforts déployés par des personnes extérieures au pays pour influencer l'enquête parlementaire. Pour Carey, il se trouve que, sans doute par un heureux hasard, la conférence s'est tenue au bon moment...

 

Et bien sûr, dans le journalisme environnemental redéfini, il y a le bon et le mauvais, et le reportage doit être adapté à cette distinction. Il n'y a aucun problème à essayer d'influencer un processus parlementaire, mais il y en a un à essayer d'empêcher une telle influence...

 

 

« Des scientifiques dont les travaux ont mis en évidence les effets des pesticides sur la santé et l'environnement » ?

 

J'ai la chance de m'être penché sur ce scandale à l'époque et d'avoir produit deux articles sourcés (ici et ici), le second étant une traduction de l'Alliance pour la Science, Verenardo Meeme, avec un complément. Car le Web a été largement purgé !

 

La liste des orateurs comprenait Hans Herren et Tyrone B. Powers comme orateurs principaux, Judy Carman, Don M. Huber, André Leu (IFOAM) et Gilles-Éric Séralini. Bref, la crème des scientifiques qui ont basculé du côté obscur.

 

Il reste cependant quelques vestiges : un site qui compile les vidéos des deux premiers jours postées sur Youtube (ici, ici, ici, et hci), et quelques messages sur Twitter.

 

 

Robert Wager a fourni une liste des faussetés dans ce fil de discussion. C'est époustouflant ! (Source)

 

 

Il y a aussi un communiqué posté par le World Food Preservation Center LLC qui montre de quoi il s'était agi : précisément ce que Margaret Karembu, directrice de la division AfriCenter de l'ISAAA, craignait. Le point 3 – bien caché entre des déclarations à la mode ou moins discutables – se lit comme suit :

 

« 3. La Conférence REJETTE la promotion de pratiques nocives, en particulier les pesticides très dangereux, les pesticides nocifs interdits, les OGM, et l'acheminement vers l'Afrique de produits alimentaires d'exportation rejetés. »

 

Carey Gillam ne pouvait pas ignorer au moins certains des éléments décrits ci-dessus. Il s'agit là du quatrième exemple de journalisme manipulateur : Passer sous silence les éléments qui ne s'intègrent pas dans le récit.

 

 

« Nous devons élaborer une stratégie »

 

v-Fluence a bien entendu repéré l'annonce de la conférence et a fourni quelques détails que Carey Gillam a décrits de manière appropriée. Elle a donc agi strictement dans les limites de sa mission.

 

Mais voici le cinquième exemple de journalisme manipulateur : Ne perdez jamais une occasion d'impliquer votre cible :

 

« Le lendemain du jour où il [Jay Byrne] a envoyé le courriel, des membres éminents du réseau Bonus Eventus sont passés à l'action.

 

Margaret Karembu, une influente responsable politique kenyane et membre de la première heure de Bonus Eventus, a envoyé un courriel d'alerte à un groupe comprenant des employés de l'industrie agrochimique et des fonctionnaires de l'USDA, dont beaucoup étaient également membres de Bonus Eventus. »

 

 

Carey Gillam a intégré ce courriel dans son article. (Source)

 

 

L'histoire se poursuit avec des citations tirées de divers courriels : de Margaret Karembu, d'un « agent de Bayer », d'un agent de l'USDA...

 

Voici, de Carey Gillam : « ...planifier des stratégies d'atténuation”, a suggéré Jimmy Kiberu de Bayer. » Mais elle a omis son avis accablant : « Habilement déguisé (choix du lieu, titre, intervenants, etc.) pour ne pas attirer l'attention si on le lui demandait ! » Cela ne correspond pas à l'histoire ! Pire, cela l'aurait fait capoter.

 

 

Pour être honnête, Carey Gillam a fourni un lien vers cet e-mail. (Source)

 

 

La grande conspiration dévoilée

 

Le lecteur naïf verra dans cette description les prémices d'une grande conspiration visant à faire échouer une conférence ou, comme l'indique le titre de l'article de Carey Gillam, à supprimer l'opposition aux pesticides. Le lecteur rationnel, lui, surtout lorsqu'il voit le nom de Séralini dans l'email de Karembu, trouvera son alerte parfaitement à propos.

 

Le naïf est servi par la suite de l'histoire : peu après, la Banque Africaine de Développement a retiré son soutien et son financement.

 

 

La Banque Africaine de Développement retire son soutien

 

Cette information a bien sûr été rapportée par Jay Byrne dans sa lettre d'information, ainsi que dans des échanges personnels privés. Bon sang de bonsoir ! Des échanges personnels privés...

 

« Il a ensuite partagé l'information personnellement avec certains employés de l'USAID et de l'USDA. »

 

Mais...

 

« Byrne a déclaré qu'il n'était pas impliqué dans la perte du financement de la conférence. »

 

Il s'agit là du sixième exemple de journalisme manipulateur (ou n° 1 bis) : Placer un démenti dans le récit, en laissant le lecteur naïf croire qu'il y a tout de même quelque chose de louche.

 

Et suggérer encore que des forces cachées sont à l'œuvre :

 

« Ni l'USDA ni l'USAID n'ont répondu aux questions concernant la conférence. »

 

Pourtant, l'enchaînement des événements est simple, mais le reportage donne le vertige :

 

« Un porte-parole de la BAD a déclaré que la direction de la banque avait pris la décision de retirer le financement de la conférence après avoir été contactée par Syngenta, qui s'inquiétait du caractère “unilatéral” de la conférence. »

 

Et, avant cela, on nous a servi ceci :

 

« Martin Fregene, directeur de l'agriculture et de l'agro-industrie à la Banque Africaine de Développement (BAD), leur a écrit : Je crains que la conférence susmentionnée ne soit unilatérale et n'envoie un message erroné quant à la position de la BAD sur les technologies agricoles dont l'utilisation est approuvée par les organismes de réglementation ».

 

Voici le septième exemple de journalismemanipulateur : perdre le lecteur dans un labyrinthe de faits contradictoires ou sans rapport entre eux.

 

 

Un organisateur de conférence naïf ?

 

Le fil conducteur de l'histoire doit bien sûr être maintenu. La parole est donc donnée à Charles Wilson, directeur du World Food Preservation Center LLC, qui « a été surpris d'apprendre les détails » des « forces invisibles » auxquelles il a dû faire face. Et à Million Belay, « coordinateur général de l'association ougandaise à but non lucratif Alliance for Food Sovereignty in Africa », qui a essentiellement exprimé ce que l'on attend d'un activiste.

 

Selon M. Wilson,

 

« En qualifiant certains intervenants d'« anti-science », cette société semble emprunter à un vieux jeu de l'industrie pour tenter d'écraser des domaines légitimes de recherche scientifique avant qu'ils ne s'enracinent. »

 

Que savait-il de l'implication de v-Fluence pour faire une déclaration aussi audacieuse, qui, sans aucun doute, est venue comme le miel légendaire aux oreilles de Carey Gillam ?

 

Mais, plus important encore, était-il possible pour un ancien chercheur scientifique de l'USDA d'ignorer que sa sélection d'orateurs était inappropriée ? (Vandana Shiva avait également été pressentie !) D'être imperméable aux critiques de la BAD – et sans doute aussi du Centre International de Physiologie et d'Écologie des Insectes (ICIPE) et de Swissaid, dont nous savons qu'elle a également retiré son soutien ? D'être aveugle aux présentations désastreuses de certains orateurs ?

 

 

Et à la fin, la vérité...

 

Nous devrions poser ces questions et d'autres encore aux universités et institutions membres du World Food Preservation Center LLC. Approuvent-elles leur participation indirecte à un événement qui, sous couvert de promouvoir des réponses légitimes aux préoccupations liées aux pesticides, a été conçu pour promouvoir une forme d'agriculture qui ne remplit pas les assiettes et les ventres des Africains ?

 

La Direction du Développement et de la Coopération Suisse et la Société Allemande de Coopération devraient également être interrogées. En tout état de cause, la conférence n'a pas porté sur le développement.

 

L'article de Carey Gillam a délibérément ignoré cet aspect pour pouvoir présenter v-Fluence et son directeur Jay Byrne comme diaboliques.

 

Revenons au titre de son article : « [...] une entreprise américaine utilise des fonds gouvernementaux pour supprimer l'opposition aux pesticides dans le monde entier ».

 

Son histoire se poursuit avec d'autres prétendus exploits. Le nôtre se terminera par sa transition :

 

« En plus de tenter de saper la conférence, des associés de v-Fluence et des membres de Bonus Eventus ont cherché à répandre des affirmations contestées sur les pesticides et des tentatives de limiter leur utilisation. »

 

Nous contesterons bien sûr la dernière partie de la phrase.

 

Le résultat est que, alors que v-Fluence a été dépeinte comme la force du mal, l'histoire se résume à des actions entreprises par des personnes qui se trouvent être liées d'une manière ou d'une autre à v-Fluence.

 

La manipulation est un art. Mais pratiquez-le avec exagération et même l'experte Carey Gillam creusera son trou.

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