Pseudo-scandale « Bonus Eventus » : Corporate Europe Observatory et Cie réclament une enquête - sur la base, notamment, des élucubrations du Monde
sur la base, notamment, des élucubrations du Monde
(Source)
Elles se disent « organisations de la société civile ». Elles écrivent au Parlement Européen avec des revendications... C'est une stratégie éprouvée de création du chaos et de manipulation.
Nous verrons aussi dans cet article comment des faits (allégués) sont tordus pour convenir aux différents récits des participants à ce consortium d'« investigation ».
Nous avons vu dans deux articles – « La paille de v-Fluence et M. Jay Byrne... et la poutre de M. Stéphane Foucart et le Monde » et « Pseudo-scandale "Bonus Eventus" : le volet 3 de la "grande enquête" du Monde et Cie fait pschitt » – qu'une vaste opération de communication, relevant au final du dénigrement et de la désinformation, a été menée contre une petite entreprise de communication états-unienne, v-Fluence.
En particulier, le Monde a fait état d'une entreprise de sabotage – tout à fait imaginaire – des projets européens liés au Green Deal en matière d'agriculture et de biodiversité. Elle aurait été ourdie par le Département Américain de l'Agriculture et pilotée par la société White House Writers Group (WHWG) et par v-Fluence. Celle-ci est également accusée d'établir des portraits d'acteurs sur la scene des OGM et des pesticides d'une manière qui pose(rait) problème.
Tout cela est, évidemment, pain bénit pour l'activisme anti-OGM et anti-pesticides européen.
Le Corporate Europe Observatory (CEO) a donc écrit au Parlement Européen en s'assurant le concours d'une clique d'entités avec lesquelles il est souvent en cheville et quelques illustres inconnues qui cherchent par leur signature à devenir connues.
C'est « Scandal exposed: targeted undermining of the farm to fork strategy by US PR firms – An open letter to the EP from CSOs » (scandale révélé : sape ciblée de la stratégie « de la ferme à la table » par des agences de relations publiques américaines – lettre ouverte des OSC au Parlement Européen).
Selon sa fiche du Registre de Transparence de l'Union Européenne, le CEO est une stichting de droit néerlandais, faisant ainsi de l'optimisation fiscale. Ce n'est bien sûr pas interdit, mais l'essentiel de ses opérations se déroule tout de même à Bruxelles.
Il n'a pas de membres, ce qui ne l'empêche pas de se revendiques « organisation de la société civile ». Soyons clairs : c'est une entreprise... de communication et d'influence, bref de lobbying.
Il disposait en 2023 d'un budget de près de 1,2 millions d'euros, et de 15 personnes représentant 5,5 équivalents temps plein, sans personne accréditée auprès du Parlement Européen. Les plus gros donateurs sont des fondations : Adessium Foundation, Energy Transition Fund, Open Society Foundation, Polden Puckham Charity Fund, etc. (ces quatre pour plus de 100.000 euros chacun).
Sa fiche est aussi une sorte de catéchisme sur les pratiques de transparence que devraient appliquer les lobbyistes – sa mission déclarée n'est-elle pas de surveiller et d'admonester les lobbyistes ?
Enfin certains... car notre petit doigt nous dit que certaines des organisations co-signataires qui aspirent à être connues ne sont pas enregistrées. Pour les autres, on a par exemple Friends of the Earth Europe, Pan Europe (mais aussi Pan Germany), Testbiotech et Générations Futures.
Au total, elles sont environ deux douzaines.
Un signataire aspirant à être connu... (Source)
« Nous, en tant que réseau d'ONG travaillant à la réduction de l'utilisation et des impacts négatifs des pesticides et des organismes génétiquement modifiés sur la biodiversité et la santé humaine, nous nous adressons à vous avec une demande urgente. Comme vous l'avez peut-être vu, les récentes révélations d'une enquête de Lighthouse Reports ont montré comment l'administration de Trump a mis en place une stratégie pour torpiller le Green Deal de l'UE (notamment la stratégie Farm to Fork) en utilisant des campagnes d'influence et de désinformation pour saper la qualité alimentaire de l'Europe. Les entreprises de relations publiques à l'origine de cette stratégie étaient également chargées de dresser le profil de centaines de scientifiques, de journalistes et de militants écologistes du monde entier, y compris d'Europe. »
Les signataires demandent aux eurodéputés « d'utiliser votre voix en tant que députés européens pour faire part de vos préoccupations à l'ambassade des Etats-Unis à Bruxelles et à la Commission Européenne » et, notamment :
-
de demander une enquête immédiate sur les violations possibles des règles européennes du GDPR liées à l'archivage [au fichage] des citoyens européens, etc. ;
-
d'exhorter les institutions européennes à relancer le travail ambitieux sur le F2F de l'UE ;
-
« d'exiger du gouvernement américain et des institutions européennes la transparence sur les tentatives extérieures d'interférer avec le Green Deal et la stratégie Farm to Fork de l'UE, ainsi que sur le financement et les opérations des sociétés de relations publiques impliquées, en se concentrant sur leur influence sur les politiques de l'UE et la manipulation de l'opinion publique. »
-
« de plaider en faveur d'un registre de transparence juridiquement contraignant, de meilleures règles contre les conflits d'intérêts pour les députés européens et d'une autorité dotée de ressources et de compétences suffisantes pour contrôler et faire respecter les règles, afin d'exposer l'influence secrète ou manipulatrice sur les processus démocratiques. »
S'agissant du premier point, le CEO ne pouvait pas ignorer que les accusations de Lighthouse Reports (reprises par le Monde) avaient été expressément démenties.
Mais pourquoi le CEO se priverait-il d'un argument susceptible de faire réagir des eurodéputés à la fibre complotiste ? C'est une bonne stratégie de création du doute et de la suspicion, bref, de lobbying.
Analyser les deux points pour lesquels nous avons cité le texte complet revient à se heurter à la loi de Brandolini – l'énergie nécessaire pour réfuter du bullshit est d'un ordre de grandeur supérieure à celle qu'il a fallu pour le créer.
Mais, comme le CEO s'épanche sur des « études scientifiques sur le Green Deal [qui] ont été payées et instrumentalisées par des acteurs commerciaux de l'industrie agroalimentaire », on devrait s'interroger sur la portée de la « transparence » qui serait exigée « du gouvernement américain et des institutions européennes ». Idem pour « le financement et les opérations des sociétés de relations publiques... »
Bien entendu, cela ne s'appliquerait pas à des opérations dont l'acteur central aura été, par exemple, Lighthouse Reports...
Quant au registre de transparence devant in fine « exposer l'influence secrète ou manipulatrice sur les processus démocratiques », cela relève de l'oxymore !
Mais encore une fois, le lobbying de ce genre d'entités peut se permettre des écarts de conduite par rapport à la rationalité. Il s'agit d'« activer » quelques eurodéputés ou un ou plusieurs groupes parlementaires... et la machination sera sur les rails.
Tout le monde connaît ce jeu où un message est transmis dans une chaîne de joueurs en chuchotant à l'oreille de l'un à l'autre et où on compare à la fin le message final à l'initial.
Donc ici, c'est très direct : le travail initial a sans doute été réalisé par Mme Carey Gillam, puis Lighthouse Reports et le Monde ont produit des « informations », et le CEO les a en quelque sorte accommodées à sa sauce.
Ainsi, selon le CEO,
« Comme l'a décrit Lighthouse/Le Monde, un événement spécifique le 29 juillet 2020, organisé conjointement par l'USDA et le WHWG avec le groupe parlementaire ECR, a servi de coup d'envoi à une campagne qui a finalement contribué à saper la stratégie F2F en changeant le récit et le débat politique. »
Non, ce webinaire n'a pas été organisé par le White House Writers Group, comme nous l'avons vu dans un article précédent. Il a encore moins été organisé par l'USDA. Ce n'est pas seulement grotesque, c'est démenti par l'article mis en lien par le CEO !
Mais tout est bon dans une stratégie d'influence pour certaines entités...
Le CEO écrit encore :
« L'enquête de Lighthouse révèle qu'en 2020, le gouvernement américain a attribué un contrat d'une valeur de 4,9 millions de dollars au White House Writers Group et à v-Fluence, dans le cadre de la stratégie américaine visant à saper la stratégie "de la ferme à la table" de l'UE.[...] »
En fait, l'information principale ne vient pas de Lighthouse Reports, mais de Mme Carey Gillam et The New Lede, une métastase de l'Environmental Working Group états-unien.
Il est parfaitement clair chez elle que le contrat n'était qu'avec le WHWG. Mais la stratégie de lobbying du CEO exigeait sans doute de lui associer v-Fluence – comme dans le Monde où l'auteur a quelque peu ramé pour établir un lien. Ici, c'est direct !
D'autre part, il s'agissait d'un « blanket purchase agreement », d'une convention d'achat globale, activable à la demande (et activé une fois seulement pour un montant estimé à quelque 50.000 dollars). M. Stéphane Foucart avait décrit la situation assez fidèlement.
Le CEO a éliminé les détails, laissant entendre que le gouvernement américain avait investi – et donc aussi dépensé – 4,9 millions de dollars pour des opérations barbouzardes.
The New Lede – reproduisant la tactique de l'USRTK en soutien des avocats prédateurs qui veulent faire les poches de Bayer/Monsanto – a reproduit le contrat. L'original utilise des fenêtres déroulantes, mais il est possible de capter le texte complet (les 250 caractères maximum) de l'objet du contrat. Cela donne :
« Soutien en matière de contenu des communications pour les objectifs de la politique internationale des États-Unis en faveur 1) d'une réglementation des produits agricoles et des intrants technologiques fondée sur la science, 2) d'un commerce non discriminatoire fondé sur des règles, et 3) de l'adoption de mesures favorables au marché et à l'innovation. »
En un mot comme en cent : il ne s'agissait pas de « saper la stratégie "de la ferme à la table" de l'UE » comme le prétend le CEO – comme l'a aussi laissé entendre Mme Carey Gillam de façon, disons, incorrecte.
On doit reconnaître à Mme Carey Gillam un talent certain pour décrire des faits ou des événements avec suffisamment d'ambiguïtés pour conforter son récit. Ainsi :
« Alors que les premiers clients de la société comprenaient Syngenta et Monsanto, elle [v-Fluence] a ensuite obtenu un financement gouvernemental dans le cadre d'un contrat avec une tierce partie. Les registres des dépenses publiques montrent que l'USAID a passé un contrat avec l'Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires (IFPRI), qui gère une initiative gouvernementale visant à introduire des cultures génétiquement modifiées dans les pays du Sud. À son tour, l'IFPRI a versé à v-Fluence un peu plus de 400.000 dollars entre 2013 et 2019 pour des services qui comprenaient la lutte contre les critiques des « approches de l'agriculture moderne » en Afrique et en Asie. »
Bref : l'USDA finance l'IFPRI, à en croire le récit de manière dédiée pour l'exécution d'un programme précis ; l'IFPRI fait appel à v-Fluence ; et, bingo... v-Fluence « a […] obtenu un financement gouvernemental ». Mais un lecteur attentif reconnaît facilement la manœuvre.
Il n'y a, en effet, absolument rien d'anormal dans cette chaîne d'événements.
M. Stéphane Foucart est aussi expert en la matière :
« […] Celle-ci [l'IFPRI] a sous-traité des missions d’influence à v-Fluence entre 2013 et 2019. Au total, selon nos informations, v-Fluence aura touché un peu plus de 400 000 dollars d’argent public américain. Interrogé, M. Byrne dément tout contrat avec l’Usaid. »
Tout est ici dans l'« argent public américain ».
Lighthouse Reports raconte une histoire différente : le financement est direct !
« Notre enquête révèle que le gouvernement américain a financé v-Fluence dans le cadre de son programme de promotion des OGM en Afrique et en Asie. Entre 2013 et 2019, l'Agence Américaine pour le Développement International (USAID) a versé plus de 400.000 dollars à v-Fluence pour des services tels que la "surveillance renforcée" des critiques des "approches de l'agriculture moderne" – et pour la construction de Bonus Eventus. »
Et pour le CEO ?
« Les conclusions font partie d'une enquête plus large qui a révélé qu'entre 2013 et 2019, l'Agence Américaine pour le Développement International (USAID) a acheminé [channelled] plus de 400.000 dollars à v-Fluence dans le but de "traquer les parties prenantes" [traquer ou suivre à la trace – "stakeholder tracking"] des détracteurs de l'agriculture industrielle. Dans le cadre de cette "surveillance", v-Fluence a créé un réseau social privé appelé Bonus Eventus, qui a dressé le profil de plus de 500 personnes, dont des scientifiques, des experts des droits de l'homme de l'ONU, des environnementalistes et des journalistes, ainsi que de plus de 3.000 organisations. »
Que faut-il entendre par « acheminé » [channelled], sinon une opération clandestine et irrégulière. Et l'objet de la mission devient, là aussi, illicite.
Le lobbying est un art !