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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

La SAFER des Pays de la Loire a-t-elle discriminé de jeunes agriculteurs ?

2 Novembre 2024 Publié dans #critique de l'information, #Activisme

La SAFER des Pays de la Loire a-t-elle discriminé de jeunes agriculteurs ?

 

Petite leçon de journalisme d'influence du Monde

 

 

En pavé dans l'édition papier du Monde : « Ce choix est contesté par une partie du monde rural qui y voit là l’ombre du syndicat majoritaire »... Et voilà, vous avez une « information » digne du journal national qui fut de référence. Et une belle manipulation de l'opinion.

 

 

Le Monde a produit, en version électronique le 21 octobre 2024, « En Pays de la Loire, la Safer accusée de ne pas privilégier l’installation de jeunes agriculteurs ».

 

En chapô :

 

« Dans le Maine-et-Loire, 170 hectares vacants ont été confiés à des professionnels déjà implantés au détriment d’un projet d’agriculture bio. »

 

C'est faux ! Ce n'est pas (encore) fait) !

 

Dans l'édition papier datée du 23 octobre 2024, c'est : « Quand la Safer freine l'installation de jeunes agriculteurs ».

 

C'est encore faux. Enfin, pas tout à fait vrai.

 

 

Lecture naïve et lecture attentive

 

Lu avec une certaine naïveté, l'article présente plutôt bien. On peut cependant lui reprocher deux choses, plus éventuellement une troisième :

 

  1. Il s'ouvre par de la belle littérature, lyrique :

     

    « Perchée sur un coteau qui surplombe la Loire, isolée au milieu des grasses prairies qui l’entourent, la ferme de Bruno et Chantal Simon inspire douceur bucolique et apaisement de l’âme. [...] »

     

    Suit le bruit des canons :

     

    « Il ne faut pas s’y fier car cette exploitation agricole de Denée – bourgade rurale de 1 400 habitants située à 20 kilomètres au sud-ouest d’Angers, dans le Maine-et-Loire – fait souffler un vent de révolte dans la campagne d’Anjou. »

     

    Un vent de révolte ? Allons donc !

 

  1. Cela amène donc la question à 1.000 euros : quel objectif, cet article ?

     

  2. Si vous avez la tripe un peu, ou beaucoup, comploplo, vous noterez (comme le fait du restele Monde) que les élections aux chambres d'agriculture approchent (janvier 2025). Tout ce qui peut nuire à la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA) et favoriser la Coordination Rurale est donc bienvenu.

     

    Oups ! Pas la CR, classée (très) à droite. Mais la Confédération Paysanne, ce syndicat d'agriculteurs dont une activité importante consiste à vilipender... les agriculteurs – enfin, pas tous.

     

    Mais soyons réalistes : la ligne éditoriale hostile à l'agriculture qui nous nourrit, péjorativement qualifiée d'« intensive » ou d'« industrielle » dans nombre de milieux, est une constante chez le Monde. Pas besoin, donc, de théories du complot.

 

 

Petite leçon de journalisme d'influence

 

Quand une autorité attribue une chose à A plutôt qu'à B, cela peut être une information digne d'être rapportée : lorsqu'il s'agit par exemple d'un marché important et de prétendants connus (une concession d'autoroute par exemple) ; ou lorsqu'il y a quelque problème ou une péripétie méritant mieux qu'un articulet dans une feuille de chou locale, compte tenu de l'ensemble des circonstances.

 

Le titre de la version électronique nous met sur la voie de la deuxième éventualité : l'autorité est « accusée »...

 

Et voilà ! Enfin presque. Mais l'attribution contestée de 170 hectares devenus vacants est-elle un événement d'importance nationale ? Oui pour un journal qui ne dédaigne pas le formatage de l'opinion.

 

Empressons-nous cependant de préciser que la mayonnaise n'est pas montée : les autres médias n'ont pas suivi.

 

 

Un choix de la SAFER a priori rationnel

 

Poursuivons avec le Monde :

 

« Le 24 septembre, la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) des Pays de la Loire a décidé de confier l’exploitation des 170 hectares laissés vacants par le couple Simon à leurs voisins, des agriculteurs déjà bien établis, au nez et à la barbe de quatre jeunes candidats à l’installation. Un choix immédiatement contesté par une partie du monde rural (la Confédération paysanne et les groupements d’agriculteurs bio notamment) qui y voit là l’ombre du syndicat majoritaire, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), plutôt rangé du côté de l’agriculture "conventionnelle". Et qui occupe accessoirement douze des vingt-quatre sièges du conseil d’administration de la Safer régionale. »

 

Lisant la suite – après le blabla destiné à créer l'ambiance et chauffer le lectorat – on apprend que la SAFER a trouvé que le projet écarté n'était « pas assez mûr », faisant fi du « pedigree » des quatre candidats évincés (âgés de 28 à 32 ans). Niché dans d'autres considérations, on apprend aussi que l'un d'eux seulement avait accompli son parcours d'installation, une importante condition préalable.

 

Quant aux six « lauréats », ils profiteraient de l'occasion pour restructurer leurs exploitations dans le cadre d'un « projet plus prosaïque ». Mais :

 

« Ces quadragénaires avaient néanmoins associé à leur projet une bergère de 26 ans désireuse de créer un élevage de 250 brebis et deux jeunes femmes qui cherchaient un espace de trois hectares pour faire pousser des fleurs. Ils promettaient aussi de rendre 93 hectares de leurs terres afin qu'elles profitent à d'autres agriculteurs. »

 

Bref – et sans entrer dans les artifices rédactionnels –, la situation n'est pas aussi manichéenne que ne le prétendent les titres du Monde.

 

Mais pour le Monde, il est de bonne ligne éditoriale d'assister la Confédération Paysanne et les milieux du bio – un secteur du reste en profonde crise économique et sociétale – dans leurs tentatives de forcer une décision en faveur des leurs.

 

 

Ce qu'en dit Ouest-France

 

Nous sommes donc les 21 et 23 (ou plutôt 22, l'édition papier du Monde étant... antidatée) octobre 2024.

 

Ouest-France, en quelque sorte le régional de l'étape, s'était intéressé au dossier quand il était encore chaud et avait notamment produit un article le 8 octobre 2024, « Agriculture. Ferme des Joncs à Denée, la Safer appelle à l’apaisement et assume son choix » (en accès libre).

 

En chapô :

 

« Montrée du doigt pour sa "partialité" dans le dossier de reprise de la ferme des Joncs à Denée, la Safer Pays-de-la-Loire assure avoir agi dans les règles et en transparence. Ses responsables appellent à l’apaisement. »

 

Ouest-France est aussi bien plus précis :

 

« Cinq jours après la manifestation organisée devant ses bureaux angevins, la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) des Pays de la Loire a choisi de s’exprimer pour la première fois publiquement dans le dossier contesté de reprise de la ferme des Joncs à Denée, au sud d’Angers. Dans cette affaire, rappelons-le, deux projets agricoles se sont retrouvés en concurrence pour l’attribution de 170 hectares de terres agricoles. "[Un] Projet 1, porté par une dizaine d’agriculteurs locaux désireux de faciliter l’installation de trois jeunes agricultrices, de restructurer leurs exploitations dans un secteur non remembré", précise la Safer dans un communiqué cosigné par la Fédération nationale des Safer, "[Un] Projet 2 porté par un agriculteur candidat à l’installation, Simon Coutant. Il devait être rejoint par la suite par trois autres associés, également candidats à l’installation en cours de finalisation de leur parcours à l’installation." »

 

Tiens donc ! Ce ne sont plus six candidats retenus, mais une dizaine, et pas quatre candidats évincés, mais un, devant certes être rejoint par trois autres...

 

Ouest-France poursuit après un intertitre sur le respect strict des règles observé par la SAFER :

 

« Comme Le Courrier de l’Ouest l’a déjà écrit, l’arbitrage s’est opéré le 24 septembre lors d’un conseil d’administration. "À bulletins secrets" et "à une large majorité en faveur du Projet 1", assure la Safer Pays de la Loire, soulignant un "respect strict des règles". Les raisons de cette préférence ? "Une restructuration foncière nécessaire" pour "consolider durablement les exploitations familiales, notamment dans le cadre d’activités d’élevage et favoriser l’installation immédiate de trois jeunes agricultrices […] contribuant ainsi à la relève générationnelle." »

 

Problème : Ce n'est pas conforme au schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) :

 

« Ce document […] fixe un ordre de priorités lorsqu’une exploitation est convoitée par plusieurs candidats. Il vise ainsi à privilégier les projets d’installation de jeunes, en agriculture biologique, à maintenir l’élevage et surtout à maintenir le siège d’exploitation en place, c’est-à-dire éviter un démantèlement de la ferme à céder. »

 

Oui, mais problème : c'est un schéma directeur, pas un ordre de marche impératif qui, du reste, aurait des effets potentiels dévastateurs.

 

 

Une irresponsabilité administrative ?

 

Les deux articles citent encore la FDSEA et la SAFER.

 

Le Monde écrit notamment :

 

« "La Safer n'est pas aux pieds et aux décisions de la FDSEA », expliquait-il [M. Emmanuel Lachaize, président de la FDSEA de Maine-et-Loire] dans le Courrier de l'Ouest, le 28 septembre. »

 

Preuve que l'auteur de l'article du Monde a eu des informations dont une partie a été éliminée par tri sélectif...

 

Et après une explication complémentaire de M. Emmanuel Lachaize, le texte de l'article du Monde se poursuit par : « Il n'empêche... » De l'art de jeter la suspicion...

 

Ouest-France – rappelons la date : 8 octobre 2024 – relève, de la SAFER :

 

« Les quatre jeunes agriculteurs du projet n°2 seront accompagnés […] pour trouver des terres. »

 

Cela aussi jette une ombre sur un article du Monde foncièrement à charge contre la SAFER.

 

Mais le journal du soir apporte une autre information :

 

« Il n'empêche. Face à la pression populaire, la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt des Pays de la Loire s'est penchée sur le dossier. Le 11 octobre, le commissaire du gouvernement a tranché et demandé à la Safer de trouver une issue qui satisfasse tous les demandeurs. »

 

Il est difficile de commenter cette décision en l'absence de données précises sur la situation. Deux remarques s'imposent toutefois :

 

  • Est-ce raisonnable – ou une politique de Gribouille – de céder à la pression (« populaire » selon le Monde) et, tout compte fait, de désavouer une instance collégiale de décision qui, à en croire les médias proches du dossier, a fait un travail honnête ?

     

  • Est-ce raisonnable – ou une politique de Gribouille ou peut-être de Ponce Pilate – de demander à la SAFER de procéder à ce qui ressemble vraiment à une quadrature du cercle ?

 

On peut remercier le Monde à ce stade d'avoir ajouté :

 

« Mais réunir tous les protagonistes autour d'une table s'avère délicat. "Mettez-vous à la place de ceux qui ont été insultés et qu'on a traités de pollueurs et de magouilleurs", relève Alain Denieulle, éleveur et président de la Safer de Maine-et-Loire [...] »

 

Rappel du pavé de la version papier de l'article, maintenant qu'on en sait plus sur les circonstances de la décision de la SAFER :

 

« Ce choix est contesté par une partie du monde rural qui y voit là l’ombre du syndicat majoritaire »

 

 

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F
Le véritable scandale c’est surtout l’existence même des SAFER qui piétinent allègrement le droit de propriété. Des bureaucrates qui décident qui peut acheter des terres et qui peut y cultiver quoi, selon des critères plus ou moins obscurs…
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