Zembla, une émission de télévision néerlandaise et l'interminable glyphystérie
Comment un documentaire d'actualité néerlandais a enfreint toutes les règles de la décence
David Zaruk, the Firebreak*
Lundi dernier [30 septembre 2024], les téléspectateurs néerlandais ont pu se divertir avec un documentaire intitulé « Glyphosate, the PR Machine » (glyphosate, la machine à relations publiques). Ce documentaire avait pour but de montrer que le monde entier a été dupé par les experts en relations publiques de Monsanto. Peu importe que Monsanto n'existe plus depuis huit ans, que la plupart des affirmations soient sans fondement ou que le tournage, la musique et le ton soient destinés à vous tromper et à vous empêcher d'effectuer des analyses claires et critiques. L'objectif de ce journalisme de choc était de vous mettre en colère, de vous faire perdre confiance dans l'industrie et les gouvernements et d'exiger des changements.
L'émission, qui ressemblait davantage à un lobotomentaire militant, a été produite par Ton van der Ham pour Zembla et diffusée sur la chaîne néerlandaise Vara (qui fait partie du réseau de radiodiffusion publique Nederlandse Publieke Omroep – NPO) le 30 septembre 2024.
La fabrique du doute
Tout a commencé avec Naomi Oreskes qui affirme, avec son sourire suffisant et chafouin : « Ce n'est pas si difficile de trouver des scientifiques pour faire votre sale boulot ». C'est ce que dit une professeure d'histoire des sciences qui a fait le sale boulot pour des cabinets d'avocats comme Sher Edling et a été payée pour leurs procès contre l'industrie des combustibles fossiles.
Le beau jardin de Naomi
L'émission s'est fortement appuyée sur le point de vue de Jennifer Moore, une avocate qui poursuit Monsanto. Elle a tenté d'en faire un combat de David contre Goliath, avec l'argument que deux femmes, luttent, seules, sans cesse, contre « 40 avocats de Monsanto dans une salle d'audience ». Vraiment ? J'aimerais bien voir une photo et savoir quel genre de juge permettrait à autant de loups de se relayer à la barre. Van der Ham n'a pas donné suite à cette affirmation scandaleuse, mais lui a accordé une confiance aveugle puisque, enfin voyons... c'est du sensationnel.
La conclusion de Moore, selon laquelle « e règlement de 11 milliards de dollars par Bayer est une preuve suffisante qu'ils savaient que leur produit était dangereux », est naïve et surprenante pour quelqu'un qui est censé être une avocate de haut niveau bien formée ; van der Ham n'a pas abordé l'assaut incessant des avocats américains avides de gains de la responsabilité civile qui payent des scientifiques du CIRC et des ONG pour fabriquer le récit que « le glyphosate est un agent cancérigène ». Où est passé le règlement de 11 milliards de dollars ? Il n'est pas allé aux plaignants. van der Ham aurait dû regarder de plus près les énormes diamants sur les doigts de Jennifer Moore.
Oreskes met en avant son thème de Merchants of Doubt (2010) pour montrer comment l'industrie du tabac a semé le doute sur la science des risques du tabagisme. Mais ce qu'elle et quelques autres personnes issues des sciences molles tentent de faire, c'est de semer le doute sur la position scientifique largement répandue selon laquelle le glyphosate n'est pas cancérigène. Le doute est le produit d'Oreskes et elle le pousse à fond.
L'ancien directeur du programme des monographies du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), Kurt Straif, a qualifié l'attaque de Monsanto de plus longue attaque jamais menée contre le CIRC – « plus que la consommation de tabac ou de viande... ». Ce qu'il n'a pas révélé, c'est que ce sont lui et son agence qui ont attaqué agressivement tous ceux qui osaient remettre en question les méthodes ou les conclusions du CIRC. Il a prétendu être intimidé par les avocats de Monsanto qui voulaient obtenir des documents internes du CIRC, mais c'est le CIRC qui a ordonné à tous les scientifiques du groupe de la monographie 112 (qui incluait le glyphosate) de refuser de coopérer à toute demande de ce type ou à toute demande au titre de la loi sur la liberté de l'information (FOIA). En d'autres termes, Kurt Straif a refusé d'être transparent.
L'attention des journalistes s'est ensuite portée sur Gary Ruskin, fondateur de l'association US Right to Know et militant de longue date contre les OGM. Son premier commentaire a été une avalanche de mensonges et d'affirmations infondées. Non seulement Monsanto savait que le glyphosate était cancérigène, affirme-t-il avec assurance, mais il provoque également des maladies du foie, est un perturbateur endocrinien « et d'autres choses ». Des preuves, s'il vous plaît !
Van der Ham a laissé Ruskin raconter comment Monsanto a obtenu d'un scientifique qu'il écrive pour eux. Il n'a pas demandé à Ruskin combien d'universitaires il avait lui-même financés pour qu'ils écrivent des articles pour US Right to Know (ironiquement sur la façon dont Coca-Cola utilise des universitaires pour publier des articles favorables). Il a reçu 300.000 dollars de la Fondation Arnold pour tenter de dénigrer Coca-Cola dans des revues à comité de lecture. Qu'a dit Oreskes ? Ah oui : « Ce n'est pas si difficile de trouver des scientifiques pour faire votre sale boulot ».
Pendant une grande partie du lobotomentaire, Ruskin a écrit son propre scénario et Ton van der Ham a été complice de sa mise en œuvre. Il a dit que le travail de Reuters était du journalisme bâclé (sans donner de détails) ou que le Genetic Literacy Project était un site extrêmement influent pour l'industrie (sans se pencher sur ses finances ou ses effectifs). Quelqu'un n'aurait-il pas dû mentionner que l'un des articles de Kate Kelland qu'ils ont attaqué avait remporté un prix mondial de journalisme scientifique ?
Les propos du militant anti-industrie n'ont fait l'objet d'aucun examen approfondi ; aucune recherche n'a été effectuée sur l'argent russe qui se cache derrière US Right to Know ou sur ce qu'il pense réellement des vaccins. La plupart des financements de Gary sont cachés derrière des fonds affectés de donateurs non transparents ; je suppose donc que nous n'avons pas le droit de savoir.
Est-ce le meilleur de ce que les médias néerlandais puissent trouver pour un tel programme d'information ?
Le portrait que fait van der Ham d'un agriculteur californien utilisant du glyphosate est honteux. Une musique sinistre encadrait une courte image d'eau s'écoulant d'une buse de pulvérisation à la fin d'un traitement, comme pour laisser entendre qu'elle s'écoulait négligemment. L'agriculteur avait un accent local prononcé qui, pour l'élite néerlandaise sophistiquée (c'est-à-dire les verts urbains), se traduisait par « pas très malin ». Le pauvre agriculteur pensait sincèrement qu'il était utile et instructif, alors qu'il n'a fait que participer à la stratégie de dénigrement de Ton van der Ham. Dans une autre prise de vue par drone, ils ont montré un tracteur avec un pulvérisateur près d'une route de campagne, alors qu'une voiture passait par là.
Il y a eu un moment insidieux dans le lobotomentaire de Zembla, lorsque des étudiants de l'Université de Leiden ont reçu des extraits d'auditions de commissions néerlandaises sur le glyphosate, extraits que l'on a cyniquement catégorisés comme un exercice de propagande. Non seulement le système éducatif néerlandais est devenu un endoctrinement, mais il semble qu'il n'ait que faire de la pensée critique. En mettant en avant certains arguments bien exprimés par l'agriculteur néerlandais Michiel van Andel, ces étudiants innocents ont suivi l'exemple de leur professeur et ont allègrement rejeté son raisonnement en arguant que les commentaires de van Andel sur le glyphosate ont un classement Twitter (X) élevé. Une musique plus sinistre en arrière-plan encadrait le rabaissement de ce que pensent des agriculteurs. J'aimerais bien inventer tout ça.
Oreskes affirme ensuite, de manière incroyable, que l'industrie recrute des agriculteurs pour leur faire croire qu'ils ont besoin de pesticides. Mais où est la preuve de ce recrutement ? Cela fait plus de dix ans que je dis que les agriculteurs doivent se lever et se battre pour pouvoir continuer à exercer leur métier, car l'industrie ne les protège pas. L'industrie agit constamment contre les intérêts des agriculteurs. Enfin, cette année, ils se sont levés, seuls, et les gens les ont écoutés, à juste titre.
Une fanatique cosmopolite comme Naomi Oreskes n'a absolument aucune idée de l'origine de sa nourriture.
En ce qui concerne la science du glyphosate, l'attention s'est portée sur un scientifique âgé et insignifiant, Kenny Crump, qui n'intervient que très peu dans la littérature. Son nom a été communiqué au journaliste par Oreskes parce qu'il avait également publié sur d'autres sujets, du diesel à l'amiante, mais ils se sont concentrés sur un article sans grand intérêt comme s'il signifiait quelque chose. Ce qu'ils ont fait, c'est mettre devant la caméra une vieille caricature d'homme sans méfiance, puis le malmener jusqu'à ce qu'il bégaie et tremble (en amplifiant le son à un moment donné pour capter le cliquetis de la glace dans son verre). Van der Ham a utilisé des mots comme « sûr » et « certain » en sachant qu'aucun scientifique respectable ne pourrait utiliser de tels absolus fondés sur l'émotion à propos de quelque substance que ce soit. Il s'agit là d'un journalisme de goujat, d'une manipulation et d'un harcèlement honteux.
van der Ham a en quelque sorte ignoré les 2.400 documents que l'EFSA avait examinés pour conclure, sur 180.000 pages, que le glyphosate n'était pas cancérigène. Lorsque, dans un moment d'intense satisfaction, il a évoqué le fait que Crump avait témoigné contre rémunération il y a plusieurs décennies dans une affaire d'amiante, van der Ham a négligé de mentionner le nombre de scientifiques du CIRC ayant participé à la monographie sur le glyphosate qui ont été payés par des avocats spécialisés dans la responsabilité civile (au moins 500 dollars de l'heure) pour témoigner contre Monsanto. Quel hypocrite sans cœur !
À la fin de cet affreux Ersatz de journalisme, je me suis demandé ce qui manquait à ce qui aurait pu être une analyse objective :
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Une véritable recherche crédible aurait été la bienvenue.
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Aucun scientifique des agences gouvernementales d'évaluation des risques n'a expliqué pourquoi elles n'acceptaient pas la science militante qui sous-tend l'évaluation des risques du CIRC.
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Il n'y a pas eu de critiques du business américain du droit de la responsabilité civile expliquant comment il a investi massivement dans la fabrication de cette campagne en suivant le La Jolla Playbook de Naomi Oreskes.
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Aucune mention n'a été faite de la façon dont le CIRC a commis plus de 30 transgressions des normes scientifiques et des pratiques éthiques dans la seule monographie du glyphosate.
J'aurais aimé que les écoles de journalisme utilisent ce programme particulier comme étude de cas pour enseigner aux étudiants ce qu'il ne faut pas faire. Mais on n'enseigne plus guère le journalisme dans les universités. Nous n'avons plus que des activistes qui cherchent à obtenir de plus grands microphones et qui se font passer pour des journalistes. Il semble que Zembla n'ait même pas de rédacteur en chef sérieux.
Le doute est le produit de Ton van der Ham, et il l'a produit de manière spectaculaire.
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* Source : Zembla and the Never-Ending Glyphysteria Show (thefirebreak.org)