Fleuristes, pesticides, cancers et manipulations de l'opinion
L'assaut a été bien coordonné, pas seulement par deux médias.
La présence de résidus de pesticides sur les fleurs est un véritable problème de santé des travailleurs. Mais établir un lien de cause à effet, dans un cas particulier, entre cette présence et un cas de maladie comme un cancer pédiatrique (à distinguer par exemple d'une dermatose chez la fleuriste) est impossible. Nous avons assisté à une vraie manipulation de l'opinion, par bêtise et aussi intention. Même la communication du Fonds d'Indemnisation des Victimes de Pesticides est défaillante.
Le 9 octobre 2024, aux aurores, le Monde publiait en version électronique « Les fleuristes, victimes ignorées des pesticides : "Si l’on m’avait mise en garde, ma fille serait encore là ». Et FranceInfo, « "Maman, tu dois te battre parce qu’on n’a pas le droit d'empoisonner des enfants" : exposée aux pesticides pendant sa grossesse, une fleuriste se bat pour la mémoire de sa fille morte ».
En mars 2022, une famille a perdu une fille à l'âge de 11 ans, victime d'un cancer, une leucémie aiguë lymphoblastique B, après un long et douloureux combat contre la maladie.
Nous ne pouvons qu'avoir de la sympathie et de la compassion pour la famille.
Et nous nous garderons bien de commenter les diverses déclarations qui ont été rapportées dans la presse. Mais nous n'en pensons pas moins de l'instrumentalisation de certaines d'entre elles, qu'elles aient été spontanées ou sollicitées.
La maman était fleuriste au moment de la grossesse. Elle manipulait des fleurs et, à n'en pas douter, certaines d'entre elles portaient encore des résidus de pesticides, lesquels pouvaient passer dans son organisme par la voie cutanée.
Sur les conseils de l'association Phytovictimes, la famille a donc saisi le Fonds d'Indemnisation des Victimes de Pesticides (FIVP), créé en 2020 par la loi de financement de la sécurité sociale.
La Commission d'Indemnisation des Enfants Victimes d'une Exposition Prénatale aux Pesticides (CIEVEP) a fait droit à la demande en juillet 2023. Mais il subsiste un contentieux qui en est aujourd'hui au stade de l'appel. Et c'est cet appel qui a suscité les articles d'une « cellule d'investigation » et de journalistes ayant une passion contre les pesticides.
Dans quels termes la décision a-t-elle été formulée ? Prenons-le d'un article du Figaro « avec AFP » :
« Le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) a reconnu "le lien de causalité entre la pathologie" d'Emmy et "l'exposition aux pesticides durant la période prénatale", a-t-il indiqué à l'AFP. »
Cette déclaration est extrêmement surprenante. Sans parler de l'exposition et de son niveau, et des produits phytosnitaires en cause et de leurs effets sur la santé, il est impossible d'établir un lien de causalité dans un cas particulier dans ce genre de situation. Il suffit de constater qu'il y a aussi des cas de la même maladie non liés à une exposition à des pesticides.
Dans une autre affaire, où les médias et les milieux de l'activisme ont mis le glyphosate en cause, la Commission avait écrit :
« Devant la profession exercée par la maman, la commission considère que l'exposition professionnelle aux pesticides, bien que limitée, est plausible, et retient la possibilité de lien de causalité entre la pathologie de l'enfant et l'exposition aux pesticides durant la période prénatale. »
Nous devons ce texte à un article de Mme Géraldine Woessner dans le Point, « Exposition prénatale au glyphosate : l’avis mal compris du Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides », un excellent démontage d'une manipulation de l'opinion.
La précision de la communication est d'autant plus importante qu'il s'agit d'un sujet sensible et sujet à polémiques et... manipulations de l'opinion.
On ne peut qu'être surpris de lire dans le rapport annuel du Fonds pour 2023 :
« Sur la totalité des 112 dossiers examinés concernant les pathologies désignées dans les tableaux de maladies professionnelles, les experts du CRMP ont reconnu le lien de causalité direct entre l’exposition et la pathologie déclarée pour près de 87 % des demandes (97 avis favorables) contre 75,6 % en 2022. »
Ou encore :
« La CIEVEPP a notamment reconnu le lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides des parents et les tumeurs cérébrales, leucémies, hypospadias, fentes labio-palatines, et des troubles du neuro-développement déclarée chez les enfants [...] »
Et si ces textes devaient refléter fidèlement les conclusions des experts, il faudrait s'interroger sur les compétences, ou peut-être les motivations, des experts.
FranceInfo rapporte les propos de la maman d'Emmy. Un responsable du Fonds lui aurait téléphoné pour lui annoncer que la commission « avaient reconnu à l'unanimité le lien de causalité entre le décès d'Emmy et [s]on métier de fleuriste. »
Et elle a ajouté : « Ce jour-là, la culpabilité a été énorme. Je me suis dit : comment j'ai pu être aussi naïve ! C'est moi qui ai empoisonné ma fille. [...] »
Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que ce genre de communication amplifie la détresse maternelle.
Les médias ont eu leurs papiers suscitant l'indignation, donc l'audience ; l'avocat de la famille, une indignation publique susceptible d'influence la Cour d'Appel (qui sait...) ; Phytovictimes, l'annonce de sa manifestation devant le Tribunal et sa minute de publicité... On passera sans doute vite à autre chose. Tenez, les pesticides et les cancers pédiatriques dans la plaine d'Aunis...
Mais le problème demeure. Une étude belge de 2016 laisse entendre que les fleurs peuvent être très chargées en résidus de pesticides (jusqu'à près de 100 mg/kg !), ce qui est tout à fait anormal. Qu'elle n'ait pas suscité de réactions, et surtout d'actions, laisse pantois.
Attention : l'échelle de l'ordonnée est logarithmique (Source)
Les articles que nous avons cités en introduction démontrent que les autorités nationales et européennes ont été négligentes et se sont livrées à un jeu de dupes. Aucune demande de législation n'aurait été faite selon la Commission... la France aurait alerté la Commission dès 2017...
Et il n'y a pas, ou peu, de contrôles. Or les dispositifs mis en place pour la sécurité alimentaire – que ce soit en matière de présence de substances et organismes indésirables, voire dangereux, dans les aliments ou d'hygiène dans l'agroalimentaire et la restauration – font la preuve de leur utilité quand ils sont bien conçus et bien appliqués.
Mais surtout, il y a, semble-t-il, un gros défaut d'information et de pédagogie. Il ne s'agit pas seulement de prévenir des cas graves, mais aussi des troubles « ordinaires » comme les affections de la peau ou celles des yeux quand on les frotte avec des mains non lavées.
Il incombe à tous les acteurs de la vie économique et sociale concernés de s'y attaquer. Bien sûr de manière efficace et proportionnée.