Cancers pédiatriques et pesticides autour de Saint-Rogatien : encore un exploit du journalisme d'insinuation
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Un lien de causalité est fait, ou suggéré, sans preuve entre cancers et pesticides... Par « pesticides », on entend aussi des produits à usage domestique... On a trouvé des « pesticides » dans les urines et cheveux d'enfants, mais sans points de référence sur la signification des « traces ». Au final, on découvre que la situation est instrumentalisée pour un activisme anti-agriculture « conventionnelle ».
Chronologiquement, cela tombait plutôt mal : les articles sur la fleuriste et sa fille décédée d'un cancer (9 octobre 2024 pour le Monde et FranceInfo et, à leur suite, l'AFP) n'avaient sans doute pas encore déployé tous leurs effets sur l'opinion publique qu'il a fallu traiter des pesticides dans la plaine d'Aunis, le 12 octobre 2024. Mais on peut aussi émettre l'hypothèse d'un bombardement médiatique.
Pour son édition électronique, le Monde a sorti le grand jeu : « Des pesticides interdits retrouvés dans l’organisme d’enfants près de La Rochelle, où se multiplient les cancers pédiatriques ».
En chapô :
« REPORTAGE Des familles de la campagne rochelaise ont fait analyser les cheveux et les urines de leurs enfants. Selon les informations du "Monde" et de Franceinfo, de nouveaux cas de cancers ont été identifiés dans la plaine céréalière d’Aunis. Plusieurs mineurs sont morts. »
Il est difficile de faire mieux pour la suggestion – totalement gratuite en l'absence de peuve de causalité – d'un lien entre pesticides et cancers, et décès.
FranceInfo a été plus mesuré pour le titre : « Néonicotinoïdes interdits, herbicides : des substances préoccupantes retrouvées dans les cheveux et les urines d'enfants près de La Rochelle ».
En chapô :
« Ces molécules ont été découvertes lors d'analyses toxicologiques menées sur 70 enfants de la plaine agricole d'Aunis, où le nombre de cancers pédiatriques se multiplie. Selon les informations de franceinfo et du journal "Le Monde", de nouveaux cas de cancers chez les plus jeunes ont été recensés. »
Là aussi, on a fait appel au flou pour les cas de cancer.
Le Figaro a repris une dépêche de l'AFP, apparemment sans changements, sous le titre : « La Rochelle : des familles inquiètes après la découverte de traces de pesticides dans les corps de dizaines d'enfants riverains de parcelles agricoles ».
En chapô :
« Une association de lutte contre les cancers pédiatriques alerte sur les relevés effectués sur des enfants âgés de 3 à 17 ans, vivant dans six communes de la plaine d'Aunis, près de La Rochelle. »
Et, bien sûr, le panurgisme médiatique a fait son œuvre. Sans recul, ni esprit critique.
Il y a une suspicion de cluster, ou d'agrégat, spatio-temporel de cancers pédiatriques autour de Saint-Rogatien, en Charente-Maritime. Il s'agit d'un nombre de cas qui, a priori, apparaît anormalement élevé. En l'occurrence, quatre fois plus de cas qu'attendu par rapport à la population.
Les services officiels et les épidémiologistes ont beau réfuter la thèse du cluster, notamment sur la base de la variété des cas de cancer ou encore de considérations statistiques (des écarts à la moyenne ne sont pas forcément anormaux – on parle parfois de « loi des séries » quand des avions s'écrasent à délais rapprochés), rien n'y fait. Au contraire, on les accuse souvent de ne rien faire et, pire encore, de « cacher quelque chose » ou d'être à la botte des « lobbies », de la FNSEA bien sûr.
Invariablement, et en partie à juste titre même si la situation ne correspond pas à la notion de cluster, on cherche une cause commune.
La psychose s'installe aussi, et est entretenue. Le Monde cite ainsi la maire de Périgny qui a reçu un mail d'un administré « mentionnant "quatre cancers, une tumeur cérébrale, deux Alzheimer, une sclérose en plaques" dans un rayon de 50 à 100 mètres en bordure de champs, dont quatre décès ». On est au niveau de l'homme qui a vu l'homme... qui a vu l'ours !
Cette situation est aussi instrumentalisée à des fins socio-politiques et militantes : alors que l'explication est souvent introuvable, un coupable est désigné a priori – « comme par hasard », les pesticides (de synthèse, pas ceux utilisables en agriculture biologique, lesquels ne sont pourtant pas anodins). Et les recherches tendent à faire l'impasse sur les autres causes possibles, ce qui, en dernière analyse, est proprement scandaleux.
Ici, l'association locale Avenir Santé Environnement a fait procéder à l'analyse de cheveux et des urines de 70 enfants (ou 72) de 3 à 17 ans de six communes de la plaine d’Aunis (Périgny, Saint-Rogatien, Montroy, Clavette, Bourgneuf et Dompierre-sur-Mer).
FranceInfo précise tout de même :
« "Ce n'est pas une étude scientifique à proprement parler, mais un projet citoyen de recherche", précise Franck Rinchet-Girollet [président de l'association], chauffeur de bus de profession, qui a récemment accepté de devenir attaché parlementaire du député écologiste de la circonscription, Benoit Biteau. "On sait qu'il y a trop de cancers chez nos enfants, mais les pouvoirs publics ne font rien, alors on fait à leur place, avec les moyens qu'on a, en espérant que ça finisse par les faire bouger". »
En bref, on a trouvé, au total 14 molécules différentes dans les urines et 45 dans les cheveux. Savoir qu'elles ont été excrétées dans le premier cas est plutôt une bonne nouvelle ; dans le second, les cheveux enregistrent des expositions sur plusieurs semaines ou mois.
Comme souvent, on nous a aussi annoncé les nombres maximums, selon la méthode bien rôdée du pire cas : six dans les urines d'un enfant, dix dans les cheveux d'un autre.
Et, bien sûr, aucune indication des doses. Elles n'auraient, du reste, pas ou guère de signification, sauf à nous démontrer qu'on navigue souvent dans le domaine de l'infinitésimal. En bref, pour diverses raisons, ce qui a été produit est sans signification et inexploitable (et ce n'est pas la première fois).
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Mais les noms, souvent difficiles à prononcer et suscitant de ce fait la suspicion, claquent, avec les qualificatifs idoines : « préoccupants », « interdits », « cancérigène, mutagène, reprotoxique », etc.
Et les médias, tout particulièrement le Monde de M. Stéphane Mandard, ne se privent pas de citer les réactions de parents catastrophés par ce qu'ils ont appris, ou plutôt ce qu'on leur a raconté.
Les activistes ont aussi été... actifs. Une manifestation – qui a/aurait réuni 400 personnes – a été organisée à La Rochelle le samedi 12 octobre 2024, « [p]our une véritable transition agricole et un plan de sortie des pesticides de synthèse ! » L'instrumentalisation des cancers pédiatriques est consommée...
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Quoi de plus efficace, après l'évocation des souffrances des enfants malades ou décédés et des angoisses et indignations des parents, que celle des effets prétendument nocifs des pesticides « interdits » et, de surcroît, dangereux ? Le choix s'est porté sur un néonicotinoïde, l'acétamipride.
Sous l'intertitre « On empoisonne les enfants » (une citation d'un parent), le Monde donne la parole à Mme Laurence Huc, directrice de recherche à l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement... mais aussi membre de Scientifiques en Rébellion et militante anti-pesticides.
Les effets neurotoxiques pour le développement du cerveau seraient signalés depuis 2013 par l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA), et Mme Laurence Huc suspecte un épandage illégal.
Autre témoin à charge : M. Jean-Marc Bonmatin, chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) – disons –, notoirement critique des néonicotinoïdes. FranceInfo cite deux propos, dont l'un en pavé :
« [C]ette molécule est interdite depuis 2018, c'est inexplicable de la retrouver dans les urines. […] Pour moi, ça veut sans doute dire qu'il y a eu un usage illégal de ce pesticide, qui est un neurotoxique puissant. »
Tout ça fait pschitt !
L'acétamipride – pour des usages agricoles – a bien été interdite en France en 2018, comme tous les néonicotinoïdes, par une loi adoptée par une Assemblée Nationale qui a succombé à un intense lobbying sur le thème : « Il faut sauver les abeilles ». Elle reste autorisée pour des usages non agricoles, y compris domestiques (par exemple contre les blattes et les fourmis) ; et aussi pour des usages agricoles dans l'Union Européenne jusqu'en 2033.
Quant aux risques pour la santé humaine, il va de soi que ce « neurotoxique puissant » – pour les insectes – n'aurait pas franchi les fourches caudines de l'EFSA et des instances de décision européennes s'il avait présenté des risques inacceptables.
En fait, la France a essayé de faire interdire l'acétamipride au niveau européen – de rétablir la compétitivité de l'agriculture française par un nivellement par le bas de l'agriculture européenne, au détriment des productions pour lesquelles cette substance est utile, voire indispensable. L'EFSA n'a pas accepté les arguments français, se bornant à relever « de grandes incertitudes dans le corpus de preuves concernant les propriétés de neurotoxicité pour le développement (DNT) de l'acétamipride » et à recommander de ce fait un abaissement de certaines valeurs toxicologiques, par précaution.
Il y a d'autres éléments de cette opération de formatage de l'opinion qui mériteraient une analyse. Certains sont assez faciles à démonter.
Ainsi pour : « La molécule la plus présente est un insecticide, le DEET (86,1% du panel) », de l'AFP – admirez la précision du pourcentage... Le DEET est un anti-moustiques, pas un produit phytosanitaire ! C'est du reste précisé par FranceInfo. Mais il figure dans les comptages, histoire de gonfler les chiffres.
D'autres relèvent de la loi de Brandolini, selon laquelle : « La quantité d'énergie nécessaire pour réfuter du baratin est supérieure d'un ordre de grandeur à celle nécessaire pour le produire. »
Tous, malheureusement, « percutent » auprès des lecteurs non avertis. Et il ne se trouvera guère de médias pour offrir un démontage, lequel arriverait de toute façon trop tard.
Terminons sur cet élément repris du Monde et pris pour exemple :
« Tous [les enfants] présentent des traces de pesticides. Certains sont particulièrement préoccupants. »
Ce que cela implique, c'est qu'on ne peut pas faire confiance aux mécanismes de gestion des risques et, en particulier à l'EFSA, à l'ANSES, aux Agences Régionales de Santé, à Santé Publique France...
Et ces agences se taisent. En Allemagne, l'Institut Fédéral d'Évaluation des Risques (BfR) aurait produit une réponse pédagogique.