Overblog Tous les blogs Top blogs Technologie & Science Tous les blogs Technologie & Science
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU
Publicité
Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Alerte ! Les cours d'eau français sont en danger ! (Rassurez-vous...)

3 Octobre 2024 Publié dans #Article scientifique, #Activisme

Alerte ! Les cours d'eau français sont en danger ! (Rassurez-vous...)

 

 

 

 

Fallait-il une gigantesque étude de l'INRAE pour conclure que la notion de « cours d'eau » fait l'objet d'une interprétation variable... alors que cela est expressément prévu par les instructions du Gouvernement ? Qu'un nombre important de sections hydrographiques n'ont pas été classées en « cours d'eau » ?

Que penser d'un article scientifique intitulé « Une cartographie réglementaire incohérente menace tranquillement les rivières et les cours d'eau » ? Science ou activisme ?

 

 

Reporterre publie un court article...

 

Reporterre a publié le 20 septembre un article au titre modérément alarmiste, « Des milliers de cours d’eau ont perdu leur statut protecteur » :

 

« Des milliers de ruisseaux ont disparu des cartes officielles. C’est le constat alarmant dressé par des chercheurs de l’Inrae, et publié le 19 septembre dans la revue Environmental Science & Technology.

 

Dès 2017, Reporterre avait alerté sur ce tour de passe-passe scandaleux. En effet, sous la pression de la profession agricole, nombre de petits cours d’eau ont été déclassés : en clair, ils ont perdu leur dénomination de cours d’eau pour devenir fossé, canal ou ravine. Or, sans ce statut protecteur, ces innombrables petits bras aquatiques se sont retrouvés hors des normes limitant les épandages phytosanitaires, les travaux de calibrage, les constructions et autres barrages hydrauliques. »

 

Deux autres paragraphes suivent. On y apprend notamment qu'il y a eu une application inégale des dispositions réglementaires et « qu’environ un quart des tronçons hydrographiques a été qualifié de non-cours d’eau. »

 

Mais on comprendra aisément qu'il s'agit de petits « tronçons hydrographiques » ; souvent intermittents ; souvent aussi anciens fossés, etc. requalifiée cours d'eau dans le cadre d'un zèle « écologique » passé et retournés à leur qualification d'origine. Notons ici que selon un document dont il sera plus largement question ci-dessous, le ministère de l’Agriculture a donné quatre définitions successives de la liste des cours d’eau BCAE en l'espace de 13 ans.

 

Pour les risques, il n'y a pas non plus de quoi s'affoler. Le cas échéant, les préconisations d'emploi fixent des zones de non traitement par rapport aux « points d'eau ». Et les agriculteurs ne sont ni idiots, ni irresponsables. Quant aux barrages hydrauliques...

 

 

...qui se fonde sur un article de chercheurs de l'INRAE...

 

Comme indiqué ci-dessus, Reporterre s'est appuyé sur un article de chercheurs de l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement. Et là, c'est une autre musique : « Une cartographie réglementaire incohérente menace tranquillement les rivières et les cours d'eau » !

 

Voici le résumé (découpé) de « Inconsistent Regulatory Mapping Quietly Threatens Rivers and Streams » de Mathis Loïc Messager, Hervé Pella et Thibault Datry :

 

« Même la législation environnementale la plus stricte ne peut protéger une rivière si ses affluents restent exposés à la pollution et à d'autres menaces en amont. L'exclusion d'un sous-ensemble de cours d'eau de la protection juridique menace donc d'altérer les écosystèmes d'eau douce de réseaux fluviaux entiers et les services qu'ils fournissent, tels que l'eau potable et la régulation des crues.

 

Une attention considérable a été accordée à la définition du champ d'application des lois environnementales protégeant les cours d'eau. Cependant, la manière dont ces définitions sont mises en œuvre par le biais de la cartographie réglementaire, c'est-à-dire la cartographie des masses d'eau qui sont légalement considérées comme des cours d'eau et donc protégées, n'a pas été étudiée en dehors des États-Unis.

 

Nous démontrons ici les conséquences de la cartographie réglementaire sur l'étendue des réseaux fluviaux protégés, en utilisant la France comme étude de cas.

 

En assemblant la première carte des cours d'eau français protégés par la loi sur l'eau, nous estimons qu'un quart des segments hydrographiques précédemment cartographiés ont été exclus de la protection et nous avons constaté de fortes variations géographiques dans l'étendue des écosystèmes protégés.

 

Les cours d'eau de tête et les cours d'eau non pérennes sont exclus de manière disproportionnée (28 %) par rapport à leur prévalence (67 %) dans l'ensemble du réseau hydrographique, ce qui peut avoir des conséquences considérables pour la biodiversité et les populations.

 

Nous nous attendons à ce que les cadres réglementaires de la plupart des pays soient également sensibles à l'interprétation locale des définitions juridiques. »

 

Le titre et le résumé sont à notre sens non seulement militants, mais aussi choquants.

 

En quoi y a-t-il une « menace », qui plus est « tranquille » ? N'est-il pas logique que les « cours d'eau de tête » et les cours d'eau intermittents soient davantage exclus de la notion juridique de « cours d'eau » ? Et pourquoi évoquer des « conséquences considérables » qui ne sont que potentielles ?

 

 

...et un communiqué de presse de l'INRAE

 

Cocorico ! « Une cartographie inédite révèle les inégalités de protection des cours d’eau en France ». En chapô :

 

« COMMUNIQUÉ DE PRESSE - Pour protéger les écosystèmes d’eau douce, la loi sur l’eau régule les activités et installations pouvant impacter les cours d’eau qui sont définis légalement depuis 2015. Des chercheurs d’INRAE ont établi la première carte nationale des cours d’eau, qui révèle des inégalités entre départements dans l’application de cette définition, au détriment des petits ruisseaux de tête de bassin, souvent riches en biodiversité, et des ruisseaux intermittents. Des résultats publiés le 19 septembre dans la revue Environmental Science & Technology»

 

Le communiqué est plutôt descriptif sur les résultats des travaux, mais...

 

« Les ruisseaux intermittents (qui cessent de couler et/ou s’assèchent une partie de l’année) et les ruisseaux les plus en amont des bassins versants, essentiels pour la qualité de l’eau et la bonne santé des écosystèmes, sont les plus exposés aux disqualifications. En effet, les chercheurs estiment par analyse cartographique que les ruisseaux intermittents représentent 60 % de la longueur du réseau hydrographique cartographié mais constituent environ 80 % des tronçons hydrographiques disqualifiés comme non-cours d’eau. Pour les ruisseaux les plus en amont selon les cartes de l’IGN, les chiffres sont de 42 % et 56 %, respectivement.

 

Des différences de classification entre les départements et au sein des départements ont été observées. 18 départements ont construit une cartographie dans laquelle la longueur totale des cours d’eau était plus importante que dans la base de données de l’IGN en recensant de nouveaux cours d’eau, tandis que 15 autres départements ont disqualifié au moins 50 % de la longueur totale du réseau hydrographique en non-cours d’eau.

 

Ces variations entre départements et par rapport aux bases de données peuvent s’expliquer par des interprétations différentes de la définition de cours d’eau, notamment sur la notion de débit suffisant, par une hétérogénéité des moyens d’expertises et par l’implication des parties prenantes locales dans le processus de cartographie. Les chercheurs ont par ailleurs observé 1 500 cas de discontinuité dans la cartographie, avec par exemple un cours d’eau entouré de non-cours d’eau et inversement.

 

Cette étude souligne donc la complexité de l’évaluation et de la qualification en cours d’eau des tronçons hydrographiques en France et la nécessité d’une mise en cohérence à l’échelle nationale, qui plus est dans le contexte du changement climatique où de nombreux ruisseaux pourraient s’assécher une partie de l’année. »

 

...Mais « disqualifié » est-il le mot approprié ?

 

 

Des quasi-récriminations injustifiées

 

En juin 2015 a été publiée une « Instruction du Gouvernement du 3 juin 2015 relative à la cartographie et l’identification des cours d’eau et à leur entretien » (descriptif ; texte). En voici un long extrait :

 

« Présente dans plusieurs codes, la notion de cours d’eau n’a cependant été définie ni par la loi, ni par le règlement, mais a été laissée à l’appréciation du juge, s’adaptant à la diversité des situations géographiques et climatiques rencontrées.

 

Si l’identification des principaux cours d’eau est partagée par l’ensemble des usagers, la différence entre certains cours d’eau et des fossés ou des canaux est parfois plus délicate. Or, cette distinction emporte des conséquences administratives substantielles. Ainsi une intervention sur un fossé pourra se faire sans démarche administrative particulière au titre de la loi sur l’eau alors qu’une intervention sur un cours d’eau allant au-delà de l’entretien courant par le propriétaire riverain (modification du profil en long ou en travers du cours d’eau), ne pourra se faire que dans le cadre d’une déclaration ou d’une autorisation "loi sur l’eau". Cela peut entraîner des tensions avec certains usagers, et notamment le monde agricole ou les collectivités.

 

Pour l’application des dispositions des articles L. 214-1 à L. 214-6 du code de l’environnement, on s’appuiera sur la jurisprudence du 21 octobre 20111 du Conseil d’État : "constitue un cours d’eau, un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant une majeure partie de l’année".

 

Trois critères cumulatifs doivent ainsi être retenus pour caractériser un cours d’eau :

1. la présence et permanence d’un lit, naturel à l’origine ;

2. un débit suffisant une majeure partie de l’année ;

3. l’alimentation par une source.

 

Néanmoins, ces critères généraux, valables sur l’ensemble du territoire national, doivent s’apprécier en fonction des conditions géographiques et climatiques locales. Les caractéristiques d’un ruisseau de la plaine de Beauce, d’un torrent de montagne ou d’un cours d’eau méditerranéen ayant des assecs, seront très différentes.

 

En outre, ces critères jurisprudentiels sont parfois difficiles à apprécier à un instant donné. Dans ces cas, le juge administratif a pris en compte des indices complémentaires, tels que la présence d’une faune et d’une flore aquatique, pour caractériser si l’écoulement était un cours d’eau.

 

Une approche locale pragmatique, tenant compte des usages locaux et largement partagée est donc adaptée pour faire connaître si les écoulements sont des cours d’eau ou non. »

 

L'hétérogénéité des décisions est donc expressément prévue !

 

 

Et pour la protection des points d'eau...

 

En juillet 2019 a été publiée une étude du CGAAER (Conseil Général de l'Alimentation, de l'Agriculture et des Espaces Ruraux) et du CGEDD (Conseil Général de l'Environnement et du Développement Durable), « Évaluation de la protection des points d’eau vis-à-vis des produits phytopharmaceutiques ».

 

Là, comme indiqué plus haut et dans le titre du rapport, on est dans le domaine des « points d'eau ».

 

Ils sont définis comme suit dans l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime :

 

« " Points d'eau " : cours d'eau définis à l'article L. 215-7-1 du code de l'environnement et éléments du réseau hydrographique figurant sur les cartes 1/25 000 de l'Institut géographique national. Les points d'eau à prendre en compte pour l'application du présent arrêté sont définis par arrêté préfectoral dûment motivé dans un délai de deux mois après la publication du présent arrêté. »

 

Les deux auteurs du rapport ont, eux aussi, relevé des divergences dans la mise en œuvre des dispositions légales, et ce, sur la base d'une étude partielle, en quelque sorte par sondage, largement suffisante pour conclure.

 

Parmi leurs recommandations, il y a ceci :

 

« – une étude sur la faisabilité d’inscrire les cartographies produites à partir du futur référentiel TOPAGE, dans la réglementation (cours d’eau "police de l’eau", arrêté ministériel ZNT, zones tampons pour les bonnes conditions agricoles et environnementales - BCAE) en remplacement de la cartographie IGN 1/25 000ième actuelle ;

 

la poursuite, dans l’attente, de la livraison dans le registre parcellaire graphique de l’information sur les cours d’eau BCAE tout en indiquant que les zones de non traitement phytosanitaire ne se limitent pas aux BCAE ;

 

le développement de guides de bonnes pratiques pour la protection des fossés dans les zones à enjeux. En cas d’échec d’imposer, par arrêté préfectoral, l’interdiction d’épandre à moins d’un mètre des éléments linéaires non identifiés sur les cartographies, en bord de champs ou de route ;

 

– le renforcement de la communication envers la profession agricole pour expliquer les enjeux et mieux faire accepter les contrôles. »

 

La bureaucratie est décidément d'une grande inventivité. Mais aussi capable de pragmatisme.

 

 

Un « cours d'eau » est « déclassé » ? Et alors ?

 

Le rapport contient une note importante :

 

« Nota : Le débouché d’un fossé est un point de rejet en milieu naturel

 

Le déclassement de cours d’eau en fossé ne règle pas non plus l’enjeu de la pollution diffuse par les intrants épandus ou pulvérisés à proximité.

 

En effet, si le classement en fossé exonère des règles relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales et celles relatives à la bonne utilisation des pesticides, l’écoulement d’intrants ne se produit pas moins et peut faire l’objet d’un contrôle et d’une verbalisation au point de débouché dans un cours d’eau, le point pouvant être qualifié de rejet en milieu naturel, ce que n’est pas la confluence d’un cours d’eau avec un autre.

 

Le déclassement en fossé ne fait donc que déplacer le point de contrôle. »

 

Cela nous semble éroder dans une large mesure les considérations militantes et alarmistes que l'on trouve ici ou là.

 

 

Publicité
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article