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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Agriculture biologique ou conventionnelle ? Quel système préserve le mieux notre fragile population d'insectes ?

5 Octobre 2024 Publié dans #Biodiversité, #Agriculture biologique

Agriculture biologique ou conventionnelle ? Quel système préserve le mieux notre fragile population d'insectes ?

 

Jon Entine, Genetic Literacy Project*

 

 

Crédit : Matt Dorfman. Source photographique : Bridgeman Images.

 

 

Une série d'études fragmentaires sur une sorte d'Armageddon, étalée sur trois ans, avait amorcé les pompes journalistiques et fixé le cadre médiatique sur l'avenir de la population mondiale d'insectes : l'agriculture moderne nous menait à la catastrophe.

 

Mais les scientifiques restaient inquiets face à ce qu'ils considéraient de plus en plus comme un récit simpliste. Aucune des études aboutissant à des « conclusions catastrophiques » n'était exhaustive. Toutes reposaient sur des hypothèses susceptibles de fausser radicalement les données. La plupart des centres de population d'insectes du monde n'ont même pas été étudiés. Et les déclins sont loin d'être uniformes. Dans certaines localités, des rapports font état d'une augmentation de la population globale d'insectes, et certains types d'insectes sont de plus en plus abondants dans le monde.

 

Ce qui nous amène à la méta-étude de 2020 portant sur 166 études à long terme, réalisée par M. Roel van Klink, du Centre allemand de biologie intégrative, et son équipe de 30 scientifiques. Pour la première fois, les scientifiques disposaient d'un plateau complet d'études couvrant une grande partie du monde. Ces données pourraient permettre de répondre à des questions qui, jusqu'alors, étaient devenues très idéologiques.

 

Roel van Klink

 

Les quelques journalistes qui se sont intéressés à la publication de l'étude ont noté que le déclin des insectes était bien moindre que ce qui avait été rapporté dans les études à plus petite échelle, et qu'en fait, aucune catastrophe n'était imminente. En fait, les insectes d'eau douce comme les éphémères et les libellules ont augmenté au fil des ans, et le déclin des insectes aux États-Unis, en particulier dans les régions agricoles du Midwest, a commencé à se stabiliser au début du siècle.

 

Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas un problème réel et important, comme M. van Klink a pris la peine de le souligner – il a qualifié la situation de « terriblement alarmante ». Mais la différence entre une apocalypse imminente et un problème sérieux, c'est qu'on a le temps, dans le second cas de figue, de mieux comprendre les causes et, on l'espère, de prendre des décisions rationnelles pour y remédier de manière constructive.

 

Et c'est précisément sur la question de la causalité que la nouvelle étude a fondamentalement remis en question le « récit convenu » selon lequel l'agriculture moderne et l'utilisation excessive de pesticides sont à l'origine des déclins observés.

 

 

Effets de l'agriculture moderne

 

Le fait que M. van Klink ait trouvé une corrélation entre la « couverture végétale » [« cropcover »] , expression qu'il utilise pour décrire les terres agricoles, et l'augmentation des populations d'insectes va directement à l'encontre des spéculations – le plus souvent présentées comme des faits – selon lesquelles l'agriculture moderne, en particulier l'utilisation d'OGM et de pesticides, serait à l'origine du problème.

 

Le deuxième fléau allégué, le changement climatique, ne figure pas non plus sur la liste des suspects ; il n'y a tout simplement pas de corrélation, qu'elle soit positive ou négative. Le principal facteur est l'urbanisation, probablement due à la destruction de l'habitat naturel par l'assèchement des marais, la canalisation des rivières, le défrichement des forêts et l'artificialisation des terres pour la construction de lotissements, de routes et de centres commerciaux.

 

« Nous avons trouvé des preuves modérées d'une relation négative entre les tendances de l'abondance des insectes terrestres et l'urbanisation à l'échelle du paysage, potentiellement expliquée par la perte d'habitat et la pollution lumineuse et/ou chimique associée à l'urbanisation. En revanche, les tendances de l'abondance des insectes ont été positivement associées à la couverture végétale à l'échelle locale (mais pas à l'échelle du paysage) dans les deux domaines. Plus précisément, dans le domaine terrestre, les tendances temporelles sont devenues moins négatives avec l'augmentation de la couverture végétale. [...] »

 

Bien entendu, l'association positive entre l'agriculture et l'augmentation des populations d'insectes s'applique aux champs existants, et non aux forêts ou aux prairies naturelles défrichées pour être cultivées. Comme l'a souligné M. van Klink lors d'interviews, la conversion des terres en vue d'une plus grande exploitation agricole détruirait également l'habitat.

 

Mais c'est précisément ce qui importe si la durabilité est la clé : l'utilisation de la technologie pour augmenter les rendements des cultures existantes – c'est-à-dire pour produire plus de nourriture sur moins de terres – est l'action la plus importante que nous puissions entreprendre pour protéger l'habitat et la biodiversité.

 

Et c'est ce qui se passe. Dans un article de 2013 intitulé « Peak Farmland and the Prospect for Land Sparing » (le pic des terres agricoles et la perspective d'épargner les terres), trois chercheurs de l'Université Rockefeller ont calculé que l'augmentation mondiale des rendements des cultures grâce aux technologies de pointe, y compris le génie génétique, signifiait qu'il fallait environ un tiers de la superficie des terres cultivées en 2010 pour produire la même quantité de nourriture qu'en 1961.

 

Les graphiques ci-dessous, extraits de l'article, mettent en évidence un phénomène qui s'est reproduit dans le monde entier : après la Seconde Guerre Mondiale, la production agricole totale, qui était jusqu'alors largement limitée par la superficie des terres cultivées, a commencé à grimper en flèche à mesure que l'agriculture entrait dans l'ère moderne.

 

 

 

 

[Pour voir ce processus se dérouler dans le temps, consultez les graphiques animés sur les rendements des cultures sur le site Our World in Data (notre monde en données)].

L'essor s'est produit presque simultanément dans le monde entier, du riz en Chine au blé en France et en Égypte.

 

 

 

 

L'origine de ces gains de productivité spectaculaires n'est pas un mystère. Après la Deuxième Guerre Mondiale, un grand nombre des principaux intrants agricoles – en particulier les pesticides modernes, les engrais de synthèse et les variétés hybrides de pointe – ont été mis en oeuvre de manière importante. Cette progression s'est accélérée avec l'avènement de la Révolution Verte au début des années 1960 et a commencé à être largement diffusée dans le monde entier, sauvant ainsi de nombreux pays, comme l'Inde, du bord de la famine.

 

C'est ce découplage historique sans précédent de la production et de la terre – ce que l'on appelle désormais l'agriculture intensive – que tant de membres du mouvement écologiste diabolisent et cherchent à inverser. L'une de leurs principales affirmations est que l'agriculture intensive est le principal responsable de la perte de biodiversité et du déclin des insectes.

 

Pourtant, un examen attentif des données montre que le discours vantant les mérites de l'agriculture biologique à petite échelle comme alternative nécessaire est dépassé, voire réactionnaire, écrit Ted Nordhaus du Breakthrough Institute :

 

« Les systèmes alimentaires à faible productivité ont des effets dévastateurs sur l'environnement. Les trois quarts de la déforestation mondiale ont eu lieu avant la révolution industrielle, presque entièrement en raison de deux utilisations connexes : le défrichement pour l'agriculture et l'utilisation du bois pour l'énergie.

 

[...] tenter de nourrir un monde de sept à neuf milliards d'habitants avec un système alimentaire préindustriel entraînerait presque certainement une expansion massive de l'impact humain par la conversion accélérée des forêts, des prairies et d'autres habitats en terres cultivées et en pâturages.

 

[...] nous devons accélérer les processus à long terme visant à produire plus de nourriture sur moins de terres. [...] l'augmentation des rendements tout en réduisant les incidences sur l'environnement exigera que nous pratiquions l'agriculture avec une précision toujours plus grande. L'augmentation des rendements grâce à une meilleure application de la technologie s'est souvent traduite par une augmentation des pesticides, des engrais et de l'eau. Mais avec l'amélioration des technologies, ces tendances ont commencé à s'inverser. »

 

 

Le déficit biologique

 

Le charme des marchés fermiers, écrit M. Nordhaus, ne suffit pas à abandonner un système qui limite l'utilisation des terres pour contrer les effets de l'urbanisation et qui fait baisser les niveaux de toxicité des produits chimiques. Il convient de noter que les rendements de l'agriculture biologique sont en moyenne inférieurs de 10 à 40 % à ceux de l'agriculture sans OGM, qui est elle-même inférieure d'environ 15 % à ceux des exploitations utilisant des biotechnologies avancées. Une étude récente menée par l'IDDRI, un groupe promouvant l'agriculture biologique, a montré que si l'Europe adoptait des pratiques de production alimentaire agro-écologiques, la productivité diminuerait en moyenne de 35 %, ce qui signifie qu'il faudrait plus 50 pour cent de terres cultivées en agriculture biologique en plus pour produire la même quantité de nourriture que celle produite de manière conventionnelle.

 

 

L'agriculture biologique utilise plus de terres que l'agriculture intensive de conservation des sols [sans labour], comme on peut le voir ici. Crédit : Shutterstock

 

 

Le calcul de l'économie de terres grâce à l'utilisation de technologies modernes est si convaincant et les déficits de rendement de la production biologique si bien répertoriés qu'il est impossible de les contredire. Les partisans de l'anti-technologie préfèrent généralement éviter complètement le sujet, en se concentrant plutôt sur les affirmations de type Goulson concernant les effets néfastes des pesticides chimiques et en ignorant la dépendance des agriculteurs biologiques à l'égard du labour à l'aide d'un équipement à forte émission de carbone comme forme de contrôle des mauvaises herbes, qui est massivement destructeur pour la santé et la biodiversité des sols et qui contribue de manière importante à la pollution par le carbone.

 

La principale contribution de l'agriculture conventionnelle au développement durable est l'avènement de l'agriculture de conservation des sols [sans labour], qui a commencé avec l'utilisation d'herbicides chimiques tels que l'atrazine et s'est accélérée avec l'apparition, en 1996, de cultures GM tolérantes à des herbicides, notamment au glyphosate. La culture sans labour des OGM a entraîné une réduction massive des émissions de carbone, estimée à 37 % par l'institut de recherche belge VIB.

 

L'abandon d'une agriculture efficace et intensive pour répondre à la mode idéologique de notre époque pourrait être un désastre pour la fragile population d'insectes. La croissance démographique et l'affluence croissante dans les pays en développement au cours des prochaines décennies nécessiteront une forte augmentation des calories alimentaires nécessaires, ce qui ne peut se faire qu'en étendant les surfaces cultivables – ou en augmentant les rendements sur les surfaces actuellement disponibles.

 

Tous ces faits rendent la méta-étude allemande très inconfortable pour les défenseurs de l'agriculture biologique. La corrélation entre l'augmentation des populations d'insectes et les cultures remet en question les dommages considérables qu'ils prétendent être causés à la biodiversité. C'est peut-être la raison pour laquelle la plupart des grands médias qui ont rendu compte de l'étude, comme la BBC, ont tout simplement ignoré les résultats, tandis que d'autres – le Guardian, Reuters, Smithsonian – ont inclus des attaques contre les pesticides qui n'ont pas été soulevées par les auteurs de l'étude et qui ont été rédigées de manière à ce que le lecteur moyen puisse supposer qu'elles étaient étayées par des recherches.

 

 

Quelle est la rapidité du déclin ? Quelle est la réalité du déclin ?

 

Il est très difficile d'essayer de déterminer un taux de déclin global lorsque les données sont si inégales et que, comme le disent les auteurs, presque tous les effets sont locaux et que les variations sont si importantes même entre des sites adjacents. Néanmoins, la nouvelle étude établit le taux de déclin des insectes terrestres à un peu moins de 1 % par an, ce qui correspond à un déclin de 8,3 % par décennie.

 

Les auteurs de l'étude s'interrogent sur l'ampleur du déclin mondial allégué, expliquant qu'il a été fortement influencé par ce qu'ils appellent des études « aberrantes » [« "outlier" studies »] dont les résultats sont anormalement élevés. Selon eux, si l'on exclut ces études aberrantes, le déclin des populations d'insectes serait bien moindre, de l'ordre de 15 % sur 25 ans.

 

Cela aussi n'est pas bon, mais ce n'est pas l'apocalypse ; et il y a du temps pour renverser la vapeur, même si les tendances estimées sont exactes. Ce point de vue optimiste est en fait étayé par un autre résultat important, bien que largement ignoré, de l'étude, à savoir que le déclin des insectes terrestres en Amérique du Nord n'a plus été négatif après 2000 et que les insectes d'eau douce ont augmenté de façon spectaculaire.

 

Le fait que les tendances nord-américaines aient commencé à se stabiliser ou à s'améliorer il y a environ 20 ans suggère que nous allons dans la bonne direction dans ce qui était jusqu'alors, selon les auteurs, la région du monde la moins performante. D'un point de vue statistique, une fois les données nord-américaines exclues, l'étude indique qu'il n'y a que de « faibles preuves d'une tendance moyenne négative » dans les populations mondiales.

 

 

Géographie et modèles

 

Nous sommes tous naturellement attirés par les chiffres qui ressortent de ces études. Ils sont simples, faciles à retenir et nous donnent une impression de concret. Malheureusement, ce sont probablement les résultats les moins fiables et les moins significatifs. Si la pandémie actuelle de Covid-19 nous a appris quelque chose, c'est qu'il faut considérer les modèles statistiques complexes pour ce qu'ils sont : un générateur d'hypothèses ou une « meilleure supposition » sophistiquée, compte tenu des connaissances actuelles, qui peut, au fur et à mesure que d'autres faits sont mis en lumière, s'avérer assez proche de la réalité ou complètement à côté de la plaque.

 

Il suffit de regarder les cartes de la répartition géographique des études incluses dans l'analyse de M. van Klink pour se rendre compte à quel point toute conclusion sur les tendances mondiales est problématique, compte tenu de l'absence de données sur la majeure partie du monde. La grande majorité des études proviennent d'Amérique du Nord et d'Europe (d'après mon décompte, près de 2/3 de toutes les études).

 

 

 

 

Au total, deux études ont été réalisées en Afrique, relativement peu en Asie et aucune en Asie du Sud (Inde, Pakistan et Bangladesh). Il n'y a qu'une seule étude sur l'Amazonie, l'une des sources les plus riches en insectes de la planète.

 

Ces lacunes sont amplifiées par le fait que la plupart de ces études ne concernent qu'un ordre ou une famille spécifique d'insectes, ou une autre subdivision (par exemple, les guêpes parasitoïdes). Or, nous savons que les réactions des différentes espèces d'insectes aux changements climatiques, aux conditions météorologiques, aux maladies, à la pollution et à la destruction de l'habitat varient énormément. Il n'est tout simplement pas plausible qu'un modèle puisse compenser ce qui est, malheureusement, une quantité massive d'inconnues, y compris, pour emprunter une expression, de « nombreuses inconnues inconnues », lorsqu'il s'agit des tendances des populations d'insectes. En d'autres termes, la probabilité d'une erreur d'échantillonnage est immense.

 

Il convient de souligner qu'il ne s'agit en aucun cas de minimiser le travail prodigieux de l'équipe de recherche van Klink. Presque toutes les critiques formulées ici sont reconnues et discutées par les auteurs eux-mêmes.

 

En fait, l'un des aspects les plus rafraîchissants de cette étude est l'humilité avec laquelle cette équipe, qui a réalisé l'un des travaux les meilleurs et les plus approfondis à ce jour pour tenter d'établir les tendances mondiales en matière d'insectes, a présenté ses résultats. Dans un article accompagnant l'étude dans Science, adressé aux chercheurs non associés au projet, l'équipe indique la voie à suivre pour les autres dans ce domaine, et en fait dans toute entreprise scientifique.

 

 

L'amélioration de nos connaissances sur les changements actuels de la biodiversité et de notre capacité à prédire les changements futurs nécessitera l'intégration de couches de nuances dans les modèles de changement et les moteurs de ce changement.

 

La tentation de tirer des conclusions trop simples et sensationnelles est compréhensible car elle capte l'attention du public et peut potentiellement catalyser des actions indispensables dans les domaines de l'élaboration des politiques et de la recherche. Toutefois, les messages fondés sur la peur se retournent souvent contre eux. Cette stratégie risque fort de saper la confiance dans la science et peut conduire au déni, à la lassitude et à l'apathie. La nuance nous permet d'équilibrer les informations précises sur les pertes inquiétantes avec des exemples de victoires pleines d'espoir. L'espoir est un moteur de changement plus puissant que la peur.

 

_______________

 

Jon Entine est le directeur exécutif du Genetic Literacy Project et un journaliste de longue date qui a reçu 20 grands prix de journalisme. Suivez-le sur X @JonEntine.

 

* Source : Organic or conventional farming? Which system better preserves our fragile insect population - Genetic Literacy Project

 

Ma note : Le Monde a évoqué la méta-étude de van Klink en janvier 2021 dans « Vive controverse autour du déclin des insectes ». En chapô :

 

« Une étude récemment publiée dans la revue "Science", qui relativise le rythme de disparition des insectes et qui passe désormais pour une référence, suscite des critiques méthodologiques sévères, auxquelles les auteurs ne répondent que partiellement. »

 

Devinez qui en est l'auteur... un seul essai autorisé...

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H
Personnellement, moins il y a d'insectes dans mes cultures, mieux elles se portent.
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