OGM et NGT : Le Monde de M. Stéphane Foucart contribue à la décrédibilisation de l'EFSA
(Source)
Pour le Monde, que des prix Nobel interpellent (en janvier 2024) les députés européens pour qu'ils s'orientent en fonction de la rationalité scientifique plutôt que des ténèbres de l'alarmisme antiscientifique n'était pas une information digne d'être rapportée à ses lecteurs. Contrairement aux récentes élucubrations de Testbiotech sur de prétendus conflits d'intérêts d'experts...
Comment faire quand des experts sont vraiment experts dans un organe dont « on » n'apprécie pas – lire : conteste pour cause de conflit avec son fonds de commerce – les travaux ? « On » leur trouve des conflits d'intérêts !
C'est ce qu'a fait le 5 septembre 2024 une officine allemande de lobbying anti-OGM – de désinformation, si vous voulez –, Testbiotech.
Selon « Conflicts of interest taint the independence of EFSA – Experts linked to industry dominate the new GMO panel » (des conflits d'intérêts entachent l'indépendance de l'EFSA – Les experts liés à l'industrie dominent le nouveau groupe d'experts sur les OGM) :
« En juillet, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a nommé de nouveaux experts pour le "panel OGM", qui est responsable de l'évaluation des organismes génétiquement modifiés. Les recherches menées par Testbiotech ont révélé que le panel comprend désormais un grand nombre de chercheurs impliqués dans le développement de plantes génétiquement modifiées (GM), dont certains ont des liens avec l'industrie et font activement pression en faveur de la déréglementation du nouveau génie génétique (NGT). »
Cette « sortie » n'a pas fait grand bruit, ni sur les réseaux sociaux, ni dans la presse.
Deux médias français font exception : RfI avec « OGM: au sein de l’autorité européenne de sécurité alimentaire, des soupçons de conflits d’intérêt » et, surtout, le Monde, avec « OGM : l’Autorité européenne de sécurité des aliments mise en cause pour conflits d’intérêts ».
Dans l'édition papier, c'est : « OGM : des experts européens soupçonnés de conflits d'intérêts ».
On peut – doit – s'arrêter un instant sur ce titre : de quelle éthique journalistique est-il le reflet ? Des « soupçons » méritent-ils un quart de page dans l'édition papier ?
En chapô dans l'édition électronique :
« Dans une analyse rendue publique jeudi, l’ONG allemande Testbiotech estime que près de la moitié du nouveau groupe d’experts est liée à l’industrie. »
Dans l'édition papier, c'est :
« Près de la moitié du nouveau panel nommé par l'Autorité européenne de sécurité des aliments serait liée à l'industrie »
Ces énormes soupçons sont expédiés en un paragraphe, après un laïus selon lequel « [l]a question est sensible à plusieurs titres [...] » :
« Selon Testbiotech, sept des seize experts du nouveau panel OGM de l’EFSA sont "activement engagés dans le développement de plantes génétiquement modifiées, dont certaines obtenues par les 'nouvelles techniques génomiques'." Cinq d’entre eux sont ou ont été impliqués dans des projets industriels avec les firmes Limagrain, Syngenta ou Corteva, ajoute l’ONG dans son analyse. Cinq sont listés comme inventeurs de brevets déposés par l’industrie ; six sont, ou ont été, parties prenantes dans des activités de lobbying en faveur des biotechnologies, la plupart en lien avec la dérégulation des plantes issues des NGT. »
Notons qu'il ne s'agissait pas de « dérégulation des plantes issues des NGT », mais d'une réglementation différente de celles des variétés transgéniques (OGM) et des variétés obtenues par des méthodes dites traditionnelles.
Utilisateur doué du Yin Yang journalistique (de bon aloi), l'auteur – ce n'est pas l'habituel relayeur des articles relayant la littérature militante des « ONG » – s'empresse de citer l'EFSA :
« Nous évaluons soigneusement les intérêts de tous nos experts conformément à notre politique d’indépendance, qui est reconnue comme l’une des plus strictes de tous les organismes publics en Europe, répond-on à l’EFSA. Si nous constatons un conflit d’intérêts potentiel lors de nos vérifications, nous appliquons des mesures strictes pour exclure l’expert de tout travail scientifique connexe. Mais il est important de souligner que le fait d’avoir un intérêt n’implique pas nécessairement l’existence d’un conflit d’intérêts. »
L'EFSA ajoute plus loin un propos qu'il faut livrer dans son jus :
« En outre, l'agence assure qu'il n'est pas "réaliste" de se reposer sur des experts "n'ayant aucune expérience ou compréhension de la manière dont les OGM et les NGT sont développés et utilisés". »
Comment faut-il interpréter le fait d'avoir isolé « réaliste » ?
...pour mieux la critiquer – avec le concours du président de la cnDAspe
On peut laisser la question en suspens : l'auteur a redonné la parole à une représentante de Testbiotech et appelé longuement à la rescousse M. Denis Zmirou, président de la Commission Nationale de Déontologie et des Alertes en Santé Publique et Environnement (cnDASpe).
Bref, Testbiotech formule ce qu'il faut comprendre comme des accusations ; le Monde, fort complaisant, relaie en mettant quelques éléments de prudence dans la titraille de la version papier ; et conclut par une mise en cause.
M. le président de la cnDAspe s'est tout de même permis d'opiner que :
« […] dès que la pression extérieure se distend, qu'il s'agisse des ONG ou des parlementaires européens, la nature reprend ses droits, et l'EFSA se remet à se compromettre avec les lobbys en tournant le dos à ses propres textes. [...] »
Cette accusation grave à l'assise et la portée larges est sans doute un indicateur de l'impartialité (ironie) de cette commission. M. Gil Rivière-Wekstein pourra compléter son « Les avis pas toujours équilibrés de la cnDAspe »...
Mais que reproche Testbiotech à ces experts, outre le fait qu'ils sont experts dans les nouvelles techniques génomiques ? Voici, extrait de l'« étude de cas », M. Jean-Luc Gallois :
« Jean-Luc Gallois est directeur de recherche à l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement (INRAE). Selon sa déclaration d'intérêts de l'EFSA, il se concentre sur "la recherche basée sur l'édition du génome, en particulier sur CRISPR-Cas9 et les dérivés tels que le système d'édition de base". [traduit de l'anglais]
La déclaration indique également que :
-
il est activement impliqué dans le développement de plantes NGT ;
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nombre de ses projets sont cofondés [faute de frappe dans l'original – c'est sans doute : « cofinancés »] par l'industrie (Limagrain, Syngenta) ;
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il a reçu le Prix Limagrain ;
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il est cité comme inventeur dans une demande de brevet déposée par Limagrain (WO2024023207A1).
Il travaille sur « nombre de » projets cofinancés par l'industrie... il est marqué du sceau de l'infamie... à jamais !
On trouvera des éléments de la demande de brevet ici. Elle porte sur un variant d'une protéine pouvant conférer une résistance à la maladie de la nécrose létale du maïs (MLND).
Quant au prix Limagrain – l'énorme somme de 1.600 euros –, il lui a été décerné en 2021 par... l’Académie d’Agriculture de France, certes en collaboration avec le Groupe Limagrain. Il récompense des chercheurs français ou ceux ayant mené l’essentiel de leurs travaux au service de l’agriculture française.
Par Toutatis, quel scandale !
À d'autres, il est aussi reproché d'être actif – ou tout simplement membre – d'une entité comme l'EPSO (European Plant Science Organisation), une organisation « représentant 70 membres institutionnels regroupant plus de 200 instituts de recherche, départements et universités de 31 pays d'Europe et d'ailleurs ». Ou, autre exemple, de l'Association for Responsible Research and Innovation in Genome Editing (ARRIGE). Ces organisations ont-elles par exemple dit du bien de la proposition de réglementation des NGT de la Commission... vous avez un conflit d'intérêts...
Horresco referens, deux nouveaux membres ont signé une lettre ouverte de WePlanet – voir « 37 Nobel laureates and over 1,500 scientists call on MEPs to support new genomic techniques » – dont les premiers signataires sont Mmes Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna et dont les paragraphes opérationnels sont comme suit :
« Nous vous demandons de prendre en considération l'ensemble de preuves scientifiques solides qui soutiennent les NGT, et de prendre vos décisions dans l'intérêt de l'Union européenne et de ses citoyens. Votre soutien aux NGT ne favorisera pas seulement l'innovation, mais positionnera également l'UE en tant que leader dans l'élaboration de politiques responsables et fondées sur des données fiables dans le monde entier. Les dirigeants africains, par exemple, suivent de près votre décision, tout comme les scientifiques africains qui ont mis au point des variétés de manioc, de banane, de maïs et d'autres cultures de base résistantes au climat et prêtes à être cultivées.
Nous vous remercions de l'attention que vous portez à cette question, et sommes convaincus qu'avec votre soutien, le Parlement européen pourra rejeter les ténèbres de l'alarmisme antiscientifique et se tourner vers la lumière de la prospérité et du progrès. »
our l'écho médiatique, voir sur ce site : « 35 prix Nobel et plus de 1.200 scientifiques s'investissent pour les nouvelles techniques génomique dans l'Union Européenne... ...dans l'indifférence médiatique ».
Voilà, voilà...
Pour le Monde aussi, que des prix Nobel interpellent les députés européens pour qu'ils s'orientent en fonction de la rationalité scientifique plutôt que des ténèbres de l'alarmisme antiscientifique n'était pas une information digne d'être rapportée à ses lecteurs.
Contrairement aux élucubrations de Testbiotech...