Écophyto et « fraude démocratique » au Monde
(Source)
Le 12 mai 2024, dans sa chronique dans le Monde, M. Stéphane Foucart osait un « Le nouveau plan Ecophyto constitue une authentique fraude démocratique » (c'est une citation de son texte). La raison de son courroux : le remplacement d'un indicateur national par un indicateur européen pour un plan... qui a fait la preuve de son inefficacité. Question fraude, on peut poser la question de l'éthique du journal.
J'ai du retard dans mes vitupérations ! Mais cela ne tombe pas si mal, en ces temps de chaos politique – et surtout politicien – entretenu par un déluge d'accusations diverses et variées.
Le 12 mai 2024, dans sa chronique dans le Monde, M. Stéphane Foucart osait un « Le nouveau plan Ecophyto constitue une authentique fraude démocratique » (c'est une citation de son texte). Dans l'édition papier du quotidien, c'est devenu : « Plan Ecophyto, une fraude démocratique », contrainte de la double-colonne oblige.
En chapô de la version électronique :
« Avec le plan Ecophyto 2030, annoncé par le gouvernement le 6 mai, s’envole l’ambition d’une réduction des usages des pesticides. En cause : le nouvel indicateur, frauduleux, observe, dans sa chronique, Stéphane Foucart, journaliste au "Monde".
L'accusation est aussi grave que mal fondée et, en dernière analyse, infondée. Il n'est en fait pas inconvenant d'évoquer un autre type de fraude.
Rappelons brièvement qu'Écophyto et sa mesure phare – réduire l'usage des pesticides à l'horizon x (« si possible » tout de même) – est issue du Grenelle de l'Environnement de fin 2007. L'année de référence (x) était alors 2018.
Cet objectif avait été adopté sans études préalables de faisabilité et d'impact. Il y eut, certes, une « Expertise scientifique collective » (ESCo), « Pesticides, agriculture et environnement : Réduire l'utilisation des pesticides et en limiter les impacts environnementaux », de décembre 2005, de l'INRA et du CEMAGREF, mais elle avait eu vocation à occuper un grand nombre d'agents de la fonction publique et à caler ensuite une armoire.
On ne commande pas aux parasites, maladies et mauvaises herbes de refluer, ni aux agriculteurs de subir des pertes de récoltes, en quantité ou en qualité, et de revenus. L'ESCo avait du reste un chapitre : « Un niveau d'utilisation des pesticides conforme à la rationalité économique »...
Nous en sommes donc aujourd'hui à la quatrième itération, Écophyto 2030, après l'Écophyto 2018 initial, Écophyto II (ou 2) et Écophyto II+ (ou 2+).
C'est après l'adoption de l'objectif initial que l'on s'est avisé de définir... l'indicateur. Le choix se porta – non sans récriminations des mouvances anti-pesticides – sur le NODU, le nombre de doses unités. En bref, 10 kilos de matière active d'un produit de protection des plantes dont la dose homologuée est de 1 kilo à l'hectare produisent 10 NODU.
En décembre 2023, à l'Assemblée Nationale, une « Commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire » a rendu un rapport dont un élément de la recommandation 2 se lisait :
« Soutenir l’adoption d’un indicateur européen de mesure des utilisations de produits phytopharmaceutiques qui soit pondéré par le risque ».
Cet indicateur, c'est le HRI-1 (harmonised risk indicator for pesticides), utilisé dans le cadre de la directive 2009/128. Il est fondé sur les masses affectées d'un coefficient : 1 pour les produits à faible risque ; 8 pour les produits autorisés qui ne sont pas classés CMR (cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques), 16 pour les produits classés CMR, « candidats à la substitution » et 64 pour les produits interdits qui seraient utilisés à titre dérogatoire.
Cette modification d'indicateur a été introduite le 6 mai 2024, après une série de manœuvres du gouvernement, des mouvances anti-pesticides et des médias également anti-pesticides ou panurgiques laissant croire que c'était une concession à un monde agricole qui fut en ébullition au début de l'année.
Nous pouvons maintenant entrer dans la chronique et l'examiner pas à pas.
Selon le chapô, l'indicateur est « frauduleux ».
Il n'y a pas l'ombre d'une preuve – mais il n'est pas interdit de trouver l'indicateur simpliste, inefficace, etc. Ou encore inopportun.
Mais c'est en fait l'élément en cause du plan Écophyto (l'objectif affiché de réduction des usages de pesticides par un « plan ») qui est inopportun quant au fond, quel que soit l'indicateur. Répétons : on ne commande pas aux parasites, maladies et mauvaises herbes de refluer, ni aux agriculteurs de subir des pertes de récoltes, en quantité ou en qualité, et de revenus.
En outre, les décideurs politiques (politiciens et démagogues) initiaux et subséquents n'aveient pas saisi la différence entre réduction des quantités (mesurées avec une pondération par les NODU) et des risques (mesurés par le HRI-1 de manière assez grossière).
Et, pour bien enfoncer le clou, selon l'aphorisme de M. Olivier de Kersauson,
« Toutes les idéologies politiques qui ont voulu modifier le monde paysan ont échoué parce que le monde agricole ne peut être géré par des théories, il est régi par la réalité. »
(Source)
Cette extraordinaire accusation de fraude est aussi dirigée contre les instances européennes qui ont mis le HRI-1 au point pour les besoins de sa réglementation sur les pesticides.
Voilà une nouvelle accusation gravissime... et sans fondement. Car elle vient avec un complément explicatif :
« ...l’abandon de toute ambition de réduction des usages de pesticides, à la fois problème de santé publique et principale cause d’effondrement de la biodiversité sous nos latitudes. Et ce, indépendamment des efforts des agriculteurs. »
Le gouvernement, maintenant démissionnaire, se ficherait donc de la santé publique et de l'environnement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire, a fermement démenti cette sinistre intention alléguée – bien sûr largement évoquée par les médias – en évoquant des « fausses informations ».
Et notre chroniqueur d'opiner :
« Des propos d’une singulière légèreté qui reviennent à accuser d’affabulation le conseil scientifique et technique du plan Ecophyto – des chercheurs et des ingénieurs des organismes publics de recherche et des instituts techniques, nommés pour leur connaissance du sujet. »
Voilà, pour commencer, le sophisme de l'argument d'autorité...
Et voici l'explication :
« ...Une prépublication rendue publique début mai, signée par la grande majorité des membres du conseil, montre en effet que le nouvel indice européen chargé de suivre les usages et les risques des pesticides, dit "HRI », pour Harmonised Risk Indicator, ne rend compte en réalité ni de l’usage ni des risques de ces produits. [...] »
La prépublication, c'est « Evaluation of two indicators according to the objectives of the Sustainable Use of pesticides Directive (SUD). A French case study » de Maxime Garnault et al.
Après le sophisme de l'appel à l'autorité, voici donc le non sequitur.
Démentir une volonté gouvernementale alléguée d'abandonner la santé publique et l'environnement à leur triste sort, également allégué, et démontrer que le HRI-1 n'est pas à la hauteur sont dans deux registres tout à fait différents.
Et cet article – en tout cas son résumé – ne contient aucune affirmation qui, à l'aune des « fausses informations » de Mme Agnès Pannier-Runacher, serait une « affabulation ».
Une partie de cette équipe avait publié le 21 février 2024, dans The Conversation, un article pédagogique, « Plan Ecophyto : tout comprendre aux annonces du gouvernement ».
En voici un extrait :
« La mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des politiques publiques nécessitent la définition d’indicateurs quantitatifs. Mais pour construire des indicateurs pertinents, il faut faire des choix quant à la nature de ce que l’on mesure, et à la façon dont on le définit.
Du fait de ces choix, les indicateurs, y compris agro-environnementaux, sont par nature imparfaits. Une quantification des ventes décrira imparfaitement la toxicité et l’écotoxicité des produits, mais même un indicateur spécifique de la toxicité pose le problème de la définition des écosystèmes et espèces touchées : humains, insectes, faune du sol ou des cours d’eau… tous sont différents par leur exposition, mais surtout par leur sensibilité aux différentes substances actives.
Face à cette complexité, il est utile de se rappeler qu’un indicateur doit éclairer une décision. Il faut trouver un compromis entre pertinence et accessibilité des données mobilisées pour le calculer. »
Qu'un indicateur soit – globalement ou dans un but spécifique – meilleur qu'un autre est une question qui peut s'analyser objectivement. Notre chroniqueur se place sur un autre plan, avec à nouveau une accusation grave :
« Il est d’ailleurs très difficile de savoir de quoi il [le HRI-1] rend compte exactement. Une chose est sûre : c’est un thermomètre lourdement truqué. »
Nous devons répéter ici : c'est une accusation grave portée contre l'Union Européenne.
Que HRI-1 soit contestable ne peut être contesté. M. Stéphane Foucart tient cependant à persuader ses lecteurs que c'est une abomination sur la base d'un cas théorique laborieusement construit.
Le problème de base est que, pour que les comparaisons inter-annuelles soient signifiantes, il faut gommer les évolutions réglementaires. On recalcule donc les résultats précédents sur la base des conditions de l'année étudiée.
Mais, selon un autre article paru dans le Monde, le 3 mai 2024 (date sur la toile) et cité par M. Stéphane Foucart, il y a une arnaque : « Pesticides : comment le changement d’indicateur permet artificiellement d’atteindre les objectifs du plan Ecophyto ». C'est, en principe, fondé sur la pré-publication précitée de Maxime Garnault et al.
Mais on recalcule (ou recalculait) aussi le NODU ! Selon l'article publié dans The Conversation :
« Chaque année, le NoDU est calculé avec les doses unités de l'année et les NoDU des années précédentes sont recalculés avec ces doses unités pour éviter que les changements réglementaires affectent les tendances observées.
[…]
Cependant, et malgré les évolutions de surfaces de culture et de réglementation d'une année à l'autre, l’utilisation des doses unités d’une année ou d’une autre ne font varier la valeur du NoDU que de quelques pourcents au niveau national. »
L'expérience de pensée de M. Stéphane Foucart, fondée sur un scénario de pire cas, ne permet pas de juger de l'ampleur de la variation globale du HRI-1 qui serait due à une modification de la réglementation.
Cela a toutefois le mérite d'impressionner le lecteur. Et de permettre d'embrayer :
« On comprend mieux que les calculs du conseil scientifique et technique [de Maxime Garnault et al. qui, sauf erreur, ne constituent pas l'intégralité du Conseil et n'ont pas écrit en tant que Conseil] montrent une baisse du HRI de quelque 33 % entre 2011-2013 et 2021, sans aucune politique volontariste du gouvernement. Ces calculs permettent d'ores et déjà d'anticiper une baisse supplémentaire de 10 points en 2022, grâce à l'interdiction, cette année-là, d'un unique produit, le mancozèbe.]
« ...sans aucune politique volontariste du gouvernement » ? Encore une allégation infondée ! Il y a une politique, certes peu efficace pour les raisons déjà citée, et une politique qui nous coûte cher.
Sur le fond, que le HRI baisse avec les interdictions de substances CMR et les restrictions d'usages, quoi de plus normal !
Et quoi de plus désirable !
Dans l'article sur The Conversation, la baisse est évoquée, mais sur la base du NODU :
« Or, le NoDU pour les CMR1, les plus dangereuses, a baissé de 88 % entre 2009 et 2020 (voir graphe ci-dessous), avant d’approcher 0 % en 2022. Les CMR dans leur ensemble ont vu leur NoDU diminuer de 40 % entre 2009 et 2020. Cette baisse met en évidence les changements importants permis par l’évolution réglementaire d’une part, et par l’adaptation des agriculteurs à ces évolutions d’autre part. »
L'« évolution réglementaire » est sans conteste le fruit d'une « politique volontariste du gouvernement ». Celle-ci se déploie aussi d'autres manières, mais se heurte, pour évoquer à nouveau M. Olivier de Kersauson, au mur des réalités.
Ou produit des effets néfastes. On a ainsi interdit des matières actives, y compris sur des bases foireuses, et mis en péril des filières de production comme la betterave à sucre, la carotte, la cerise ou encore la noisette.
(Source)
Avant de tenter de convaincre les lecteurs que « Cela s'appelle tromper l'opinion », le chroniqueur assène encore :
« L'inertie réglementaire est telle que bon nombre de produits aujourd'hui catégorisés 2 [substances autorisées, non CMR] finiront par être interdits et remplacés, alimentant ainsi une baisse trompeuse et éternellement reconduite du HRI. »
Si des substances finissent par être interdites – pour des raisons diverses et variées, pas toujours très honnêtes (mais c'est un autre débat) –, c'est bien parce qu'il n'y a justement pas d'inertie réglementaire.
Quant à l'effet sur le HRI – qui serait une « authentique fraude démocratique », nous serons très, très sceptiques.
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Écophyto et les initiatives similaires – de nature politicienne et démagogique – font l'impasse non seulement sur la faisabilité et les impacts, mais aussi sur la définition même de l'objectif. Bis repetita...
Avec le NODU, on mesure essentiellement des quantités en éliminant le biais induit par les doses d'emploi. Cela convenait plutôt bien pour les mouvances qui s'opposent aux pesticides (sauf, évidemment, aux pesticides utilisables en agriculture biologique). Et l'expérience montre que les progrès, s'il y en a, sont lents... Cela convient tout aussi bien à ces mouvances : leur fond de commerce n'est pas entamé...
Avec le HRI-1, on s'aligne sur les standards européens et on mesure – mal, faute d'avoir mis en place une usine à gaz – des dangers.
Ce ne sont pas des risques pour la santé, car ceux-ci dépendent des doses auxquelles on – les utilisateurs ou les consommateurs – est exposé, compte tenu des mesures de protection (de gestion des risques). L'élimination des substances classées préoccupantes – à tort ou à raison – et les restrictions d'usages entraîneront sans nul doute des constats de progrès mesurés par le HRI-1.
Cela est intolérable pour les mouvances précitées. Et aussi pour le Monde, un quotidien qui gagnerait à examiner sa ligne éditoriale. Car avec « fraude démocratique », il a franchi un palier.
La décision du gouvernement aura permis une flambée de protestations et de gesticulations. Et puis on est passé à autre chose.
À juste titre. Car, quel que soit l'indicateur retenu, quels que soient les programmes d'activités dans le cadre d'Écophyto destinés à prouver qu'on est actif, c'est la réalité qui commande.
Dans cette réalité, il y a l'agronomie, la génétique (en particulier les variétés transgéniques et issues des nouvelles techniques génomiques), la robotique, big data et l'intelligence artificielle. Mais dans ces domaines, il faut une certaine dose de courage...
Du courage et aussi de la rationalité...
(Source)